La complexité du fédéralisme belge tient au fait que les entités fédérées y sont définies, soit par leur territoire (les Régions), soit par la langue (les Communautés). Ces langues sont le français et le néerlandais (sans oublier l'allemand que je laisse de côté par méthode). Le français est parlé en Wallonie, le néerlandais en Flandre. Bruxelles est officiellement bilingue: français (à plus de 90 %) et néerlandais. Les Communautés (revendication flamande), ont été instituées en 1970. Comme Communauté, la Flandre, même s'il y a peu de Bruxellois néerlandophones, a un« pied» à Bruxelles dont elle a d'ailleurs fait sa capitale! Elle y exerce des compétences culturelles, d'enseignement et d'autres dans le domaine social liées aux personnes (santé, handicapés, protection de la jeunesse etc.).
Les Wallons ont toujours été régionalistes
Les Wallons, surtout les plus autonomistes (mais il y a vraiment un large consensus en Wallonie sur le fait que la Belgique est« à trois»), ont toujours été majoritairement favorables à une Belgique tripartite. Et le plus souvent, sinon opposés au concept de Communauté, du moins le maniant mal. Mais dès que les Communautés ont été instituées, du côté unitariste bruxellois, une campagne a été lancée pour que les parlements des communautés demeurent à Bruxelles! Seul lieu où l'on pouvait légiférer en Belgique! Le monde politique a stupidement obtempéré. Un argument de poids s'est rajouté à l'argument unitariste: puisque les Flamands s'installaient à Bruxelles (en la prenant comme capitale), il fallait faire de même, pour ne pas «leur laisser» Bruxelles. Mais surtout pour ne pas pas aller dans le sens d'une décentralisation qui aurait placé les nouveaux centres de pouvoirs en Wallonie, hors de Bruxelles. Jusqu'en 1980, les Régions n'exerçèrent aucune compétence. A partir de 1980, leurs compétences se sont de plus en plus étendues (économie, territoire, énergie, environnement, pouvoirs locaux etc.). Et ça, c'est en Wallonie ou en Flandre et à partir de 1989 à Bruxelles aussi (que les Flamands ne voulaient pas voir devenir une Région).
Des Wallons veulent supprimer la Communauté française
Dès 1983, un groupe d'intellectuels wallons signaient un Manifeste pour la culture wallonne pour accompagner sa naissance bien réelle (notamment le cinéma). Mais aussi pour que les compétences en matière d'enseignement et de culture soient exercées par les Régions. Leur argument - constant depuis lors - a été de dire qu'un pays se dirige tant par des compétences dans le domaine «matériel» (routes, économie, transports etc.), que dans le domaine «immatériel» (enseignement, culture etc.). Particulièrement dans le monde francophone bruxellois unitariste, on leur a toujours opposé la nécessité de maintenir «l'unité» de l'enseignement et de la culture non pas wallons mais «francophones». La Communauté francophone étant en somme un reliquat de la Belgique de papa (autrefois à 100% francophone et unitaire). Même si beaucoup de Bruxellois ont rejoint les régionalistes wallons depuis et veulent aussi une Belgique à trois Régions. Rien n'y a fait. On voit dans la caricature ci-dessous, un homme important comme Robert Collignon traité de fou par Le Soir parce qu'il estime que l'enseignement et la culture devraient être de la compétence de la Wallonie. Il existe au moins une autre caricature de ce type, de neuf ans plus vieille dont le thème est identique et vise un autre homme politique wallon. Une caricature est une caricature mais révèle aussi l'état d'esprit de ceux qui la publient. Une triste mentalité.
Quand LE SOIR était contre le régionalisme
Caricature de Robert Collignon in LE SOIR du 18/7/1998j.
Collignon, alors Président du Gouvernement wallon, emprisonné dans une camisole de force est veillé par deux "psychiatres" : Laurette Onkelinx, députée bruxelloise et Présidente alors de la Communauté française et Charles Picqué (un homme devenu très sensible aux revendications wallonnes), alors président du gouvernement (régional) bruxellois. Ils échangent des propos sur sa maladie mentale suite à ses déclarations sur la souhaitable régionalisation de l’enseignement (Dessin de Royer)
Les Bruxellois unitaristes virent leur cuti!
Or, avec les négociations gouvernementales en cours, le triomphe des nationalistes flamands qui veulent transférer un nombre considérable de compétences vers les entités fédérées, on assiste à un incroyable renversement de la position unitariste bruxelloise dont Le Soir prend la tête. Certains craignent que si, par exemple, la politique en matière d'allocations familiales est transférée aux Communautés, la Flandre pourra, à l'intérieur même de la Région bruxelloise, comme responsable des compétences transférées aux Communautés, utiliser son poids économique pour proposer aux Bruxellois des politiques sociales plus généreuses que celles que mènera la Communauté française ( compétente en Wallonie et à Bruxelles comme la Communauté flamande l'est en Flandre et à Bruxelles). Le quotidien bruxellois s'enflammait hier - sur six pages! - à propos de ce thème. Prenant résolument parti pour une Belgique à trois, la vieille thèse wallonne que Le Soir combat depuis des décennies quand les Wallons veulent que l'enseignement et la culture soient transférées aux Régions. J'admets que si des compétences comme la politique familiale étaient transférées aux Communautés et non aux Régions, Bruxelles serait écartelée entre le pouvoir communautaire français et le pouvoir communautaire néerlandais (ou flamand). Il y aurait encore plus deux politiques (dans le domaine social, culturel et scolaire), l'une flamande, l'autre francophone, divisant ainsi gravement la société bruxelloise. D'autant que, en sus, Bruxelles exerce, comme Région, des compétences d'Etat fédéré dans les domaines «matériels» (économie, territoire etc.). Mais je ne crois pas que les faux jetons du "Soir" s'en prennent seulement à cela. Voici pourquoi.
Pourquoi je suis en colère
Je suis en colère, car cet argument de l'unicité politique ou gouvernementale pour une Région devrait s'appliquer tout autant à la Wallonie. Or Le Soir a été depuis 1983 (l'année du Manifeste pour la culture wallonne), l'adversaire résolu du principe du régionalisme à trois quand il s'agissait de la culture et de l'enseignement en langue française. Nous n'avons jamais réussi à persuader le monde politique wallon qu'il fallait réunifier les compétences matérielles et immatérielles (enseignement et culture), dans les mains du seul gouvernement wallon et supprimer la Communauté (au moins pour Bruxelles et la Wallonie). L'argument que l'on a nous asséné depuis près de trente ans, c'était... qu'il ne fallait pas laisser tomber les Bruxellois et maintenir une seule et même Communauté française, quitte à ce que cela complique le fonctionnement de la gouvernance wallonne et rende la Wallonie incompréhensible et amputée de pouvoirs qui lui reviennent. Y a-t-il un seul pays, un seul Etat fédéré au monde - et même une seule commune - où l'enseignement, la culture sont gérés par un pouvoir différent du pays, de l' Etat, de la commune? Pourtant, c'est ainsi en Wallonie...
Maintenant, parce que le principe de la Communauté n'arrange pas les Bruxellois cornaqués par Le Soir, il faudrait que tout le monde devienne régionaliste, pour «sauver Bruxelles» (*). Ces gens ne voient qu'eux! Je me souviens de la réflexion d'un sage comme Michel Molitor, chef de cabinet du roi pendant près de vingt ans, qui a écrit dans ses très beaux Souvenirs qu'il était resté étranger à cette mentalité que l'on rencontre à Bruxelles et selon laquelle seule Bruxelles existe dans le pays. On le voit bien au déchaînement du "Soir".
Nombrilisme des Bruxellois unitaristes
Il y a peu de temps - vraiment très peu! - les très récents convertis bruxellois au régionalisme le combattaient. Certes, je suis à 100 % d'accord avec le principe du régionalisme - et sa défense par les Bruxellois - concernant par exemple la politique familiale à Bruxelles qui doit rester une et ne peut se diviser en une communauté française et flamande. Mais je me méfie énormément du régionalisme des gens du "Soir". Je pense que ce qui les énerve au plus haut point, c'est surtout le fait que l'on va retirer beaucoup de pouvoirs à cet Etat fédéral dont Bruxelles est la capitale. Car le même écartèlement imposé à la Wallonie en matière d'enseignement et de culture, les Bruxellois unitaristes s'en sont toujours aimablement foutus. Et pour se victimiser, ils sont forts, très forts, d'autant qu'ils sont très riches.
S'ils obtenaient que les nouvelles compétences à transférer le soient à Bruxelles en tant que Région, ils continueraient quand même à toujours s'opposer au fait que la Wallonie rapatrie selon le même principe et avec le même argument des compétences dans les domaines de la culture et de l'enseignement qui intéressent la Wallonie. Aussi régionalistes qu'ils soient quand cela les arrange, les Bruxellois unitaristes ne le sont plus quand cela ne les arrange pas. Bruxelles concentre un grand nombre de hautes écoles, d'universités, de prestigieuses institutions culturelles. Mais c'est la Wallonie qui paye les dettes de l'ensemble du budget qui les fait vivre, assurant ainsi une prééminence bruxelloise évidente sur le pays wallon : 200 millions d'€ l'an passé. A cela s'ajoute le fait que Bruxelles détient presque toutes les clés de la communication en Belgique francophone (télés, journaux etc.).
Nous les payons donc pour qu'ils nous dominent. Je souhaite qu'il y ait un accord avec les nationalistes flamands , que la Belgique se défasse lentement, et je veux rester solidaire des Bruxellois sincèrement régionalistes. Mais ils doivent comprendre que les Wallons savent aussi que la Belgique centralisée à Bruxelles, c'est la cause fondamentale de la misère et de la servitude en pays wallon. Et l'un des atouts du nationalisme flamand. Les milieux bruxellois unitaristes admettent que la Belgique soit fédérale à condition que la capitale belge garde tous les avantages d'une capitale d'Etat unitaire.
C'est cela qui coince.
(*) Côté flamand la Communauté a tout absorbé parce que, aux six millions de Flamands de Flandre ne s'opposent que 100.000 Bruxellois néerlandophones, alors que côté francophone il y a 3, 5 millions de Wallons mais 900.000 Bruxellois francophones qui ne se veulent pas des Wallons. La raison implique que Bruxelles et la Wallonie forment deux entités distinctes? Mais il faudrait que ce soit dans l'équité. On en est loin. Et chacun se sent frustré quand il se trouve dans un système absurde, comme aujourd'hui.
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1 commentaire
José Fontaine Répondre
17 août 2010Je suis par contre bien d'accord avec Philippe Van Parijs. Qui est un régionaliste bruxellois convaincu et qui souligne qu'il est illégitime que Bruxelles s'étende à la Flandre ou à la Wallonie comme certains l'ont proposé sur la base de ce qu'est l'agglomération bruxelloise réelle. Et qui a aussi insisté sur le fait que la Belgique n'est pas une nation.
http://www.rtbf.be/info/matin-premiere/philippe-van-parijs-est-linvite-de-matin-premiere-245852
Même si j'avoue ne pas beaucoup croire en la proposition du groupe Pavia qui serait d'élire quand même des députés de toutes origines dans une circonscription belge fédérale.
Mais il est clair que Bruxelles n'a pas à être gérée par la Flandre et la Wallonie. Personne d'ailleurs ne demande cela en Wallonie. C'est même le contraire.
J'ai donc bien fait de parler des Bruxellois unitaristes. Je soutiens à fond les Bruxellois régionalistes. Il n'y a pas ici de querelles entre la province et sa capitale. la Wallonie n'est d'ailleurs pas une province puisqu'elle est autonome, comme le Québec (mais j'entends le mot "province" au sens qu'il a en France: la province et Paris).