La pandémie et la possibilité de faire du télétravail ont accéléré le rythme auquel des Montréalais vont s’établir dans les couronnes et dans les régions périphériques, si bien que le nombre de transactions immobilières et les prix de vente y ont explosé.
Aude Marie Marcoux est du nombre. C’est « coincée » dans son condo du Plateau-Mont-Royal en mai vivant un « sentiment d’étouffement et d’être prise en ville » qu’elle a décidé de faire « le saut en nature » après avoir vu la maison coup de cœur à Bromont, à la frontière des Cantons-de-l’Est.
Ça s’est fait « très rapidement » : elle s’y est rendue lors de la première semaine durant laquelle les courtiers étaient autorisés à faire des visites et a déménagé cet été.
Le télétravail a « absolument » permis ce déplacement, que ce soit dans le cadre de son doctorat ou de la charge de cours qu’elle entame à l’UQAM mercredi prochain.
« Mes 64 étudiants seront à la maison et moi aussi, raconte-t-elle. Point de vue télétravail, il n’y a aucun problème en autant que j’aie accès à l’internet. »
Pour le moment, elle n’est pas retournée sur l’île depuis son emménagement le 29 juillet, mais elle compte y venir à l’occasion. « Je ne suis pas partie à Chicoutimi non plus », a-t-elle rappelé.
De juin à août, il y a eu de 41 % plus de transactions dans les régions qui entourent la métropole, qui elle n’a connu qu’une hausse de 20 %, révèlent des statistiques compilées par l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) à partir des données du système Centris à la demande de La Presse Canadienne.
« Il se passe quelque chose, c’est certain », résume Charles Brant, le directeur du service de l’analyse du marché à l’APCIQ. Si ce n’est pas une tendance, c’est minimalement un phénomène selon lui. La COVID a été « un catalyseur » qui a exacerbé l’engouement pour la banlieue qu’il observait depuis 2019 en raison de la hausse des coûts des logements sur l’île.
Les agglomérations situées à environ une heure de route du centre-ville de Montréal ont connu une véritable explosion des transactions. Sainte-Agathe, Saint-Sauveur et Saint-Adèle : des municipalités des Laurentides mènent le classement. La Rive-Sud ne fait pas exception. À Granby, par exemple, l’activité immobilière a augmenté de 72 %.
Explosion des prix
Le mouvement considérable vers les régions rurales et de villégiature a un impact très important sur les prix si bien que « les hausses de prix à plus de deux chiffres, ce n’est plus l’apanage de Montréal, c’est aussi en région périphérique de Montréal », a résumé M. Brant.
C’est Mont-Tremblant, dans les Laurentides, qui décroche la palme. Et de loin. Le prix médian des propriétés y a bondi de 56 % en un an.
À Saint-Jean-sur-Richelieu, où les résidences se vendent 24 % plus cher cet été par rapport à la même période en 2019, il est désormais « monnaie courante » de voir des agents de Montréal qui viennent avec leurs clients, note Alexandre Desrochers, le président de l’agence Royal LePage de cette municipalité.
Il estime que les Montréalais représentent au moins le tiers des nouveaux acheteurs dans cette municipalité de la Montérégie située à moins d’une heure de route de l’île. Et ils n’hésitent pas à allonger des dizaines de milliers de dollars de plus que ce que le vendeur demande, si bien que ça entraîne une pression à la hausse sur les prix.
« En bas de 350 000 $, c’était la norme, raconte-t-il. Maintenant, en bas de 500 000 $, c’est la norme. »
L’augmentation des prix est renforcée par le faible inventaire. Autrement dit : beaucoup de gens hésitent à vendre leur maison ou reportent leur projet de vente à plus tard en raison de la COVID-19. Il s’agirait de 14 % des vendeurs potentiels au pays, selon une étude menée récemment par Mortgage Professionnal Canada.
En parallèle, la même étude révèle que le nombre de non-propriétaires qui envisagent d’acheter une habitation au cours des trois prochaines années a doublé par rapport à 2019, passant de 7 % à 14 %.
L’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) « anticipe » pour sa part que les Montréalais vont se ruer vers les banlieues/couronnes, particulièrement la Rive-Sud.
Leur bilan des mises en chantier publié vendredi ne permet pas de mesurer ce mouvement de population étant donné que les projets entamés ont été planifiés bien avant la crise sanitaire. « Il faut attendre un peu », insiste Paul Cardinal, le directeur du service économique de l’APCHQ.
M. Cardinal assure cependant que l’attrait pour la banlieue va inévitablement se répercuter sur la construction de maisons neuves en raison de la masse de gens qui auront la possibilité de faire du télétravail sur une base permanente.
« C’est donc moins un impératif d’être collé sur son emploi pour ceux qui travaillent au centre-ville entre autres, explique-t-il en entrevue. Ensuite, on veut avoir une propriété qui est plus grande. Parfois, les deux conjoints ont besoin d’un espace pour faire du télétravail. La copropriété toute petite est peut-être moins appropriée pour certains ménages. »
L’étude de Mortgage Professionnal Canada indique que 12 % des propriétaires qui s’attendent à déménager ont expliqué que le fait de travailler de la maison entraîne un besoin d’espace additionnel.
L’APCHQ s’apprête d’ailleurs à mener un sondage sur les intentions d’achat et de vente en immobilier des Québécois. Des questions seront posées afin de déterminer si la COVID-19 a des conséquences sur leurs choix d’emplacements et leurs critères. Les personnes seront interrogées sur la possibilité de faire du télétravail, l’importance qu’ils accordent à ce qu’il y ait un espace pour un bureau à domicile, etc.
Les experts demeurent toutefois prudents quant aux prochains mois. Le vent pourrait tourner ou encore ils pourraient être surpris par d’autres programmes gouvernementaux qui viennent soutenir les ménages et augmenter leur revenu disponible, des mesures qui ne sont pas étrangères à ce boom immobilier.