L’immigration, une responsabilité partagée entre l’immigrant et la société d’accueil par Doudou SOW*
Les politiques publiques d’intégration et la fermeture des ordres professionnels ne sont pas les seules causes de l’échec de l’intégration des immigrants. Certaines personnes immigrantes ont une part de responsabilité dans les difficultés de leur intégration à la société québécoise francophone.
Elles tirent en effet souvent des conclusions hâtives sur leur situation socioprofessionnelle sans avoir pris le temps d’interroger les outils de recherche d’emploi et les démarches de réseautage.
Une maîtrise des bonnes pratiques de réseautage et stratégies d’approche des employeurs : la clé d’une intégration professionnelle
L’ignorance des codes culturels québécois constitue un véritable frein à l’intégration des immigrants et plus particulièrement des minorités visibles. Ces dernières sont confrontées dans leurs démarches de recherche d’emploi à des codes culturels différents, à une nouvelle façon d’intégrer le marché caché de l’emploi et à une méthode de recherche d’emploi différente, trois obstacles ignorés ou sous-estimés. La faiblesse de réseaux locaux accroît l'isolement de ces chercheurs d'emploi, entraînant ainsi un retard dans leur intégration sur le marché du travail.
Certaines de ces personnes sombrent dans un défaitisme désabusé qui les amène à évoquer des raisons parfois injustifiées. Même si la majorité des immigrants en quête d'emploi font preuve de persévérance et de débrouillardise dans leurs démarches, d’autres parmi eux répètent souvent que « cela ne sert à rien de chercher un emploi; de toute façon ça ne marchera pas; la recherche d’emploi ne donnera pas des résultats escomptés, et on perd trop de temps avec les ateliers de recherche d’emploi ».
Ces personnes subissent généralement l’influence négative d’un mauvais entourage qui leur déconseille de suivre des sessions d’information et des ateliers de techniques de recherche d’emploi. Certaines vont même jusqu’à invoquer le racisme et les préjugés comme des obstacles majeurs dans leur intégration en emploi. Il faudrait certes être naïf pour minimiser le problème de discrimination à l’embauche : dont l’exemple le plus populaire est celui de Kamal El Batal (Candidature acceptée sous le nom d’emprunt de Marc Tremblay par la Coopérative fédérale agricole de Québec).
La discrimination patronymique existe certainement comme en témoigne le phénomène du CV « au bas de la pile », le terme « le bas de la pile » étant utilisé par certains employeurs qui n’arrivent pas à prononcer le nom du chercheur d’emploi immigrant. Mais, il serait certainement exagéré ou même malhonnête de dire que toutes les entreprises québécoises font de la discrimination. L’utilisation abusive du concept de racisme employé à tort et à travers finit par lui faire perdre tout son sens.
Les personnes de minorités visibles ne doivent pas continuellement se positionner comme des éternelles victimes pointant systématiquement leur origine comme un handicap à leur intégration sur le marché du travail. Dans leurs démarches de recherche d’emploi, elles doivent plutôt susciter l’intérêt pour leur profil professionnel et démontrer leur capacité d’adaptation à chaque fois qu’elles sont devant leur interlocuteur, en l’occurrence les employeurs. On dit souvent que la culture organisationnelle québécoise est basée sur la relation de confiance. Certaines personnes immigrantes qui projettent l’image du racisme à tout bout de champ se découragent plus facilement.
Certaines personnes fatalistes ne se donnent même plus la peine de chercher un emploi dans leur domaine et concluent injustement qu’elles n’arriveront pas à trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences. Cette attitude déplorable mine davantage leurs chances d’embauche. Avoir une telle posture est contreproductif dans une dynamique active d’intégration et de maintien en emploi. Avec de tels comportements, l’immigrant s’auto-exclut du marché du travail québécois.
La bande dessinée conçue et réalisée par le Centre culturel algérien à Montréal: « Intégration…Dites vous ! » devrait inspirer tout chercheur d’emploi immigrant. Nabila, de passage « dans un café arabe » ayant décrit à son mari, Madjid, «la déprime» [des gens ayant des difficultés à se trouver un emploi] en l’exhortant à ne pas écouter « les commérages, les gémissements » de ces derniers, Madjid lui répondit en ces termes : «Je n’ai pas ramené ma famille ici pour passer ma vie à pleurnicher sur mon sort et à regretter d’avoir quitté mon pays. Ce n’est jamais facile de s’intégrer dans une nouvelle société. Mais tout cela dépend de la volonté de chacun » (p.12).
Le taux de chômage trop élevé chez les immigrants (en 2009, selon l'Institut de la statistique du Québec, le taux de chômage chez les immigrants dont la durée de résidence est inférieure ou égale à 5 ans était de 22,4%) ne doit pas pousser les nouveaux arrivants à conclure systématiquement au racisme. La question est plus complexe qu’elle ne paraît.
Les difficultés d’intégration au marché du travail québécois ne peuvent pas être aussi exclusivement attribuables à l’immigrant lui-même. Une hypothèse plausible irait dans le sens que les échecs de l’intégration seraient plutôt dus à la conjugaison de plusieurs facteurs : la non-reconnaissance des diplômes et des acquis par certains employeurs, le cercle vicieux « pas d’expérience canadienne, pas d’emploi et vice versa », la barrière linguistique, la discrimination raciale à l’embauche à l’égard de certaines communautés culturelles, le faible réseau et le manque de connaissance du marché du travail québécois, les problèmes d’attitude, la méconnaissance des codes culturels, le temps nécessaire à l’adaptation, l’inadéquation actuelle entre les offres d’emploi et les profils due à la grille de sélection des immigrants, le sous-financement des organismes communautaires, la fermeture des ordres professionnels, la déqualification professionnelle etc.
L’intégration socioprofessionnelle des immigrants : un véritable parcours du combattant
Il est tout aussi vrai que le cheminement d’un nouvel arrivant correspond à un combat titanesque. De la recherche de logement à la recherche d'emploi en passant par les démarches de reconnaissance des diplômes et des acquis, les défis sont énormes. Les nouveaux arrivants ont souvent l’impression qu’à chaque étape franchie, se présentent de nouveaux défis.
Pour les familles immigrantes nouvellement arrivées, la recherche d’un milieu de garde pour les enfants constitue un autre casse-tête. Les médecins et ceux voulant exercer dans des professions réglementées conjuguent toutes les difficultés rencontrées par les personnes immigrantes. Mais le mauvais arrimage entre les besoins de main-d’œuvre des employeurs et le profil des immigrants sélectionnés ne peut être seul responsable de tous les obstacles à l’intégration des immigrants. La responsabilité sociale des entreprises est également à questionner. La véritable et satisfaisante intégration des personnes immigrantes au marché du travail ne peut se réaliser qu'à condition qu'à tous les niveaux du processus se fasse un sérieux examen de conscience de la part des différentes parties impliquées.
Si toutefois des immigrants dont les qualifications professionnelles sont reconnues par les ordres professionnels ne parviennent pas à obtenir un emploi, on se trouve alors malheureusement dans la logique de ce que j’appelle la « métaphore de la souris (ou du hamster) » tournant en rond dans une cage. L'un des maillons de la chaîne des intervenants concernés fait défaut il importe de l'identifier pour briser le cercle infernal. D'où l'importance de ne jamais oublier que l’intégration des immigrants est une responsabilité partagée entre plusieurs acteurs (gouvernement, immigrant, ordres professionnels, employeurs, institutions d’enseignement, syndicats, société civile). La cause des difficultés ou de l'échec est donc rarement unique.
Soutenir et accompagner les PME dans la politique d’embauche des immigrants
L’économie du Québec est dominée par les petites et moyennes entreprises (PME). Selon la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI), 95% des entreprises québécoises sont des PME (50 employés et moins). « 76 % d’entre elles comptent moins de 5 employés », pourrait-on lire sur le site Internet d’Immigration-Québec. En général, les employeurs ne veulent pas embaucher des immigrants qui n’ont pas une expérience québécoise. Cette exigence d’une expérience locale est une contrainte majeure pour une intégration rapide des immigrants. Il importe donc que les acteurs qui interviennent dans le domaine de l’employabilité des immigrants refusent de baisser les bras. Ils doivent au contraire structurer davantage leur argumentaire auprès des PME afin de convaincre les employeurs du potentiel de l’apport des immigrants dans leur contexte organisationnel (créativité, innovation, taux de roulement du personnel moins élevé, etc.). La bataille de la promotion des avantages offerts par la diversité est certes une tâche herculéenne mais devenue inévitable dans un contexte de plus en plus marqué par le nombre important de personnes arrivant des quatre coins du monde (53 981 en en 2010). (Lire à ce sujet: Le Réseau national des organismes spécialisés dans l’intégration en emploi des nouveaux immigrants (ROSINI) : une valorisation d’une approche interculturelle en entreprise.). Face à la pénurie de main-d’œuvre, les PME demandent de plus en plus à être accompagnées et soutenues pour mieux faire face aux défis en matière de gestion de la diversité ethnoculturelle en entreprise.
Les gestionnaires et/ou directeurs doivent maintenant, tout à la fois, recruter, sensibiliser et franciser les nouveaux employés. Même si ces responsables deviennent, par la force des choses, polyvalents en raison des multiples tâches accomplies, ils n’ont pas beaucoup de temps pour s’occuper des tracasseries administratives, d’où la nécessité d’alléger leurs démarches. Le cas du Programme d'aide à l'intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME) constitue un bon exemple illustrant l'utilité et la nécessité d’accompagner les responsables des ressources humaines dans la question de la gestion de la diversité. Cette mesure incitative, financée par le programme des immigrants investisseurs, soutient les entreprises québécoises pour les inciter à embaucher des personnes immigrantes. Il s'agit d'un outil qui permet à un nouvel arrivant d’obtenir une première expérience québécoise, une question qui revient souvent dans les entrevues de sélection.
Nécessité d'intégrer les immigrants
M. Louis Roquet, directeur général de la ville de Montréal, démontrait l’importance du « programme de l'intégration de l'immigration à Montréal [comme] « enjeu social (…), enjeu démographique important (…), enjeu économique majeur pour le Québec » . Dans cette perspective, il révélait, statistiques à l’appui, des chiffres qui remettaient en cause certaines conclusions sur la natalité des auteurs du livre Le Remède imaginaire-Pourquoi l'immigration ne sauvera pas le Québec, de Benoît Dubreuil et Guillaume Marois. « 50 % des femmes qui, sur l'Île de Montréal, sont en état d'avoir des enfants, sont en âge d'avoir des enfants, ne sont pas nées au Québec. 50 % des mères de demain. Autrement dit, l'usine à fabriquer la main-d’œuvre du Québec, si vous me permettez une expression qui est disgracieuse, elle est située à Montréal, et, à 50 %, c'est une usine d'immigration. Si on ne réussit pas à intégrer ces gens-là, si on permet qu'il y a[it] des taux de décrochage scolaire qui sont astronomiques chez les garçons, encore plus élevés chez ceux de l'immigration, c'est tout le Québec qui n'aura pas de main-d’œuvre qualifiée, pas seulement Montréal, prévient-il.»
Dans le même champ de réflexion, le président du conseil d’administration du Service d'aide aux Néo-Canadiens, Denis Marceau, en parlant des difficultés d’intégration socioéconomique des immigrants tirait la sonnette d’alarme. « Mais nous devons réussir cet accueil et cette intégration des personnes immigrantes. La société, dont l'Estrie, ne tolère pas et ne tolérera pas de moins en moins d'échecs. Elle est informée et elle est de plus en plus exigeante. Il en est ainsi pour les personnes immigrantes qui veulent être un apport pour le développement de la société, pour le développement de l'Estrie tout entier et de Sherbrooke. (…) Le ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles aide financièrement, mais selon nous pas à la hauteur des responsabilités données et des attentes de la société. (…)
Aujourd'hui, l'aide du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles et celui des bénévoles, qui dépasse la centaine, (…) nous amène donc à faire aujourd'hui ce qu'on appelle le minimum du minimum dans toute cette question de l'accueil et de l'intégration socioéconomique. C'est dangereux de maintenir ça toujours au niveau minimum du minimum. Nous ne souhaitons pas déraper. La société ne nous le pardonnerait pas, conclut-il.»
Cette intervention de M. Marceau démontre l’ampleur des défis d’accueil et d’intégration dans une région considérée comme modèle en matière d’intégration des communautés culturelles au niveau de la fonction publique municipale (0,6% en 2004 ; 2,5% en 2009 ; 3,14 % en 2010 ; 3,86 % en 2011-« La Commission des droits de la personne a fixé à 3,32 % le nombre d’immigrants qui devraient se trouver à l’intérieur de la fonction publique québécoise.» ). « La Ville embauche 600 % plus d'immigrants qu'il y a 5 ans » titrait le journal sherbrookois (La Tribune du 18 février 2009, David Bombardier). Une ville qui a toujours pris des initiatives qu’il faut saluer même si un article récent de Ghislain Allard critique le fait que « très peu d’immigrants travaillent à la Ville de Sherbrooke comme cadres, comme policiers ou comme pompiers.»
Donc, si des acteurs régionaux d’une ville exemplaire dans le domaine de la gestion de la diversité culturelle crient au secours, le gouvernement doit de son côté redoubler d’efforts pour mieux informer les immigrants avant leur arrivée sur les réalités culturelles, linguistiques et économiques du Québec pour ensuite les accueillir, franciser, accompagner et intégrer sur le marché de l’emploi. Il faut associer la question de l’attraction à une véritable politique de rétention, surtout en région, avec les moyens nécessaires à l’intégration en emploi et à la rétention sur le sol québécois de ces immigrants désirés. L’apport de l’immigration à la société québécoise est tout à la fois, économique, démographique, linguistique et socioculturel.
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L’auteur est conseiller en emploi et conférencier.
L’immigration, une responsabilité partagée entre l’immigrant et la société d’accueil
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Sociologue de formation, spécialisé en Travail et organisations, l’auteur
est actuellement conseiller en emploi pour le projet Mentorat
Québec-Pluriel au Carrefour jeunesse-emploi Bourassa-Sauvé
(Montréal-Nord).
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
15 décembre 2011Il est vrai que le Québec n'est pas les Etats-Unis.Il est vrai que les québécois n'ont pas été consulté. Mais il est également vrai que sur la question de l'immigration , les indiens n'ont pas été consulté, lorsqu'ont débarqué les premiers colons.
Finalement, je crois que les seuls qui doivent se plaindre de cette immigration invasive sont les premiers peuples, parce que tous ceux qui sont venus par la suite sont des immigrants ou descendants d'immigrants.Qu'ils soient venus ils y a 100 ans ou 1 mois.
Archives de Vigile Répondre
28 octobre 2011Monsieur Sow,
Le Québec n'est pas comme les USA. Les Québécois n'ont jamais été consultés, par élection ou référendum, sur l'immigration; elle a plutôt fait l'objet d'un consensus initié par dieu sait qui ? Cette immigration débridée que nous subissons, nous est imposée. Nous n'avons rien à dire.
Je trouve d'ailleurs assez scandaleux d'inviter des gens et ensuite de les laisser à eux-mêmes. Bien sûr, le lobby des marchands de guenilles est content, content.
Je continue de penser qu'une réflexion sérieuse devrait être initiée sur l'immigration parce que la situation ne peut qu'empirer. Il faut voir ce qui se passe en Europe...