L’impasse du camp national français et le combat culturel

7a0affb194a3eca1f21a58843f64f135

Exemple de l’Irlande : la libération nationale doit être à la fois culturelle et politique


41,5 % des voix. C’est le score du camp national au second tour de la présidentielle 2022. L’écart entre le score d’Emmanuel Macron et celui de Marine Le Pen est passé de 10 millions de voix, en 2017, à 5,5 millions, en 2022. Une progression notable pour les nationaux, mais qui n’a rien de révolutionnaire. Au train où vont les choses, 2027 est bien parti pour reproduire le même schéma de second tour. D’autant que le successeur idéologique d’Emmanuel Macron jouira très certainement, à ce moment-là, du bénéfice de la « nouveauté » et d’un bilan personnel moins clivant. Il apparait donc de plus en plus patent que la voie seule des urnes est une impasse pour le camp national. La politique politicienne (boutiquière) et le commentaire à chaud des actualités ne suffiront pas à faire progresser notre camp.


Les Irlandais ont vécu, par bien des aspects, une situation similaire. Quand Charles Stewart Parnell, en 1886, ne parvint pas à obtenir le Home Rule (l’autonomie) proposé par le Premier ministre britannique William Gladstone, nombre de ses soutiens perdirent espoir. Usé, et attaché malgré tout au parlementarisme, Parnell refusa de basculer dans la révolution. Malade, plein d’amertume, il mourut en 1891 à Brighton, laissant derrière lui une Irlande paralysée pour vingt ans, incapable de défendre politiquement ses intérêts.


L’historienne Alexandra McLennan, à la suite de Francis Lyons, nous explique alors qu’un « extraordinaire transfert d’énergie de la politique vers la culture » s’opéra en Irlande. Une seconde renaissance littéraire, après celle de Thomas Davis dans les années 1840, vit le jour à l’initiative de Standish O’Grady qui souhaitait fournir à son peuple un modèle de vie héroïque inspiré de la mythologie celtique. Suivi par William Butler Yeats, Lady Gregory, Edward Martyn, George Russell, George Moore et Bernard Shaw, le mouvement aspirait, devant la faillite des espérances irlandaises, à faire fructifier l’imaginaire national en vue, à terme, d’un changement politique – Gramsci n’a rien inventé.


Le combat culturel s’enrichit très vite d’une renaissance linguistique à travers la création de la Ligue gaélique en 1893. Fondée par Douglas Hyde, celle-ci entendait régénérer la langue irlandaise, à travers notamment sa littérature. D’après Pierre Joannon, la Ligue souhaitait dissuader les jeunes d’imiter le mode de vie et de penser des Anglais, et se tint officiellement à l’écart des débats politiques et confessionnels, bien que certains de ses membres fussent ouvertement liés à l’Irish Republican Brotherhood, groupe révolutionnaire armé. Contrairement à la seconde renaissance littéraire de Standish O’Grady, la Ligue ne s’adressait pas aux élites mais à l’ensemble des couches populaires. Sous son impulsion, la jeunesse embrassa la cause de la renaissance linguistique. Le mouvement ouvrait des établissements, imprimait des journaux, des livres, organisait des lectures, des concours littéraires, des festivals, des bals où garçons et filles se rencontraient, remettait à l’honneur l’histoire nationale, les légendes populaires oubliées, la musique, les arts et les sports de l’Irlande celtique. Des coutumes tombées en désuétude refleurirent progressivement. Ce fut, nous dit Joannon, une véritable révolution culturelle. Douglas Hyde souhaitait par-dessus tout préserver son pays des dérives du capitalisme, de l’industrialisation et des valeurs marchandes portées par les Anglais. Alexandra McLennan nous dit que c’est non seulement la langue, mais encore l’homme gaélique qu’il s’agissait de faire renaître. D’où l’exaltation du Gaël athlétique, sobre, vertueux et à l’esprit radical.


La Ligue gaélique fut formatrice d’une jeunesse patriote qui s’illustra tout au long du XXe siècle, notamment parmi les volontaires de la Première Guerre mondiale (le pays n’ayant pas pris part au conflit mondial) et lors de l’insurrection de Pâques 1916 qui vit Patrick Pearse, James Connolly, Michael Collins, Eamon de Valera et tant d’autres Irish volunteers (futurs membres de l’IRA) accoucher de l’Irlande moderne.


Les Français seraient bien avisés de s’inspirer, pour l’avenir, de ce peuple indomptable et de créer les structures et établissements nécessaires à la formation culturelle des consciences. Redonnons à notre jeunesse un patrimoine à défendre, donnons-lui des raisons de se battre.