L'indépendance dans l'interdépendance

Par Daniel Vernet

Les "petites nations" dans le monde


Il est un pays de l'autre côté de l'Atlantique où les questions d'identité nationale qui préoccupent les Européens ne laissent pas indifférent. Le Québec, avec sa population à majorité francophone dans l'océan anglophone de l'Amérique du Nord, ne cesse de s'en préoccuper. Nation, souveraineté, indépendance, ces concepts sont au centre de discussions plus ou moins vives selon les époques, mais jamais épuisées. Après deux référendums perdus par les souverainistes, en 1980 et 1995 - le second de justesse -, les Québécois ne sont pas résignés, plutôt attentistes.
Le gouvernement actuel du libéral Jean Charest, bien que « fédéraliste », c'est-à-dire attaché au maintien de la province dans la fédération canadienne, développe ses relations internationales, selon le mot d'ordre : « Ce qui est de compétence québécoise chez nous est de compétence québécoise partout. » Éducation, culture, police, justice, gestion des ressources naturelles dépendent du pouvoir provincial. Le Québec est représenté dans certaines organisations internationales, soit par le biais d'un membre québécois de la délégation canadienne, soit à part entière, comme dans la francophonie.
Cette situation ne satisfait pas les indépendantistes, qui constatent une tendance permanente du gouvernement fédéral à étendre ses prérogatives. Elle suffirait pourtant au bonheur de bien des « régionalistes » européens, qui n'en demandent pas tant. Et l'exemple québécois pourrait être une source d'inspiration pour la solution de problèmes qui, dans les Balkans, par exemple, relèvent de la quadrature du cercle.
Les Québécois, de leur côté, sont attentifs à ce qui se passe en Europe. Ils ont vu avec un mélange d'incompréhension et de méfiance l'Union européenne imposer un seuil de 55 % de votes favorables à l'indépendance pour accepter la légitimité du référendum au Monténégro. Même si une consultation de ce genre n'est pas, pour le moment, à l'ordre du jour dans la Belle Province, ils ne voudraient pas que cette condition draconienne crée un précédent. A vrai dire, l'échange d'expériences se fait plus souvent dans l'autre sens. Québec reçoit d'Espagne, d'Italie, d'Allemagne, des délégations qui viennent étudier les relations entre pouvoir fédéral et fédérés. Des enseignements peuvent en être tirés, même si, des deux côtés, on convient que « le Québec, ce n'est pas pareil ».
C'est en effet un cas particulier, qui ne peut être reproduit ailleurs. On pense à la phrase qu'Edgar Faure avait appliquée dans les années 1950 au Maroc : « L'indépendance dans l'interdépendance. » La formule a fait long feu, mais, à l'ère de la mondialisation, elle prend un nouveau sens. L'indépendance devient plus que jamais une notion relative. L'Union européenne est fondée sur ce constat. Elle tente d'en tirer les conséquences pour elle-même et pour ceux qui aspirent à la rejoindre.
L'idée devrait s'imposer de plus en plus dans une Europe qui a encore, au cours de la dernière décennie, connu des guerres d'indépendance. Ne devrait-elle pas prévaloir alors que la communauté internationale se casse la tête sur le futur statut du Kosovo ? La population d'origine albanaise ne conçoit d'autre avenir que l'indépendance. Un référendum donnera plus de 90 % pour la souveraineté, pas 50-50 comme au Québec en 1995. La Serbie considère que le Kosovo est partie intégrante de son identité. Les Occidentaux sont pour l'indépendance, les Russes contre.
Les diplomates sont en train de trouver un moyen pour sortir de l'impasse : le Kosovo ne sera ni proclamé indépendant ni désigné comme une province serbe. Le reconnaîtra qui veut. A terme, il se fondra - aux côtés de la Serbie, espère-t-on - dans une Union européenne qui pratiquera sans le dire « l'indépendance dans l'interdépendance ». L'Europe aurait besoin d'un nouvel Edgar Faure.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé