La droite québécoise fait erreur en s’attaquant au modèle suédois interventionniste

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Les "petites nations" dans le monde

À lire son reportage sur la Suède qui vient de paraître dans l’Actualité[1], on constate que Jonathan Trudel est tombé dans le piège visant à discréditer le célèbre modèle suédois social-démocrate, s’alignant ainsi dans la même lignée que ceux provenant de l’Institut de développement économique de Montréal et de ses associés[2]. Dans ces articles, les mêmes arguments sont utilisés: le taux de chômage serait très élevé, il y a un très haut [niveau] de privatisation et la population suédoise aurait d’énormes problèmes liés à une islamisation progressive de leur société. Cela expliquerait la raison pour laquelle les Suédoises et Suédois ont voté pour la coalition de droite en 2005. Le Québec devrait donc faire de même et se réjouir d’un virage à droite. Force est de constater l’émergence d’une technique peu scientifique qui tend à se généraliser.

La technique de démolition du modèle suédois interventionniste
Celle-ci se résume en cinq points:
1. Dénigrer les tenants du modèle
2. Faire un choix «sélectif» des personnes interviewées
3. Utiliser des clichés
4. Distordre les faits cités
5. Omettre des faits essentiels

***
1. dénigrer les tenants du modèle suédois:
La première technique consiste à ridiculiser celles et ceux qui défendent le modèle suédois. Pour s’assurer que les contre-arguments ne porteront pas, on traite ces gens de dépassés ou nostalgiques, voire de fraudeurs intellectuels[3] ou d’utopistes[4], c’est-à-dire de grands émotifs qui ne comprennent rien à l’économie… Ah oui? Pas si sûr… La Suède n’est pas le paradis mais elle demeure un modèle enviable, tant pour son succès économique que ses mesures sociales; un modèle auquel s’identifient bon nombre de Québécoises et de Québécois parce qu’il est à l’origine de plusieurs de nos succès collectifs.

2. Faire un choix sélectif des personnes interviewées
La seconde technique vise à sélectionner soigneusement des «experts» suédois qui ont intérêt à démolir le modèle interventionniste ou à en vanter uniquement les côtés «néolibéraux». Quoi de mieux que ceux qui proviennent du think tank Timbro[5], dont les propos rappellent à s’y méprendre les propos des Lucides et de l’Institut économique de Montréal? On peut également interroger les membres du parti politique au pouvoir. Même résultat: les uns comme les autres ont grand intérêt à décrier les initiatives sociales-démocrates. Par exemple, dans l’article de l’Actualité, Johathan Trudel a demandé à «l’économiste» Johnny Munkhammar[6] de se prononcer, lui qui s’affirme clairement pour la libre entreprise et la libre société, des frontières ouvertes et une intervention réduite de l’État. Surprise? Il considère comme ridicule l’idée de croire encore au modèle suédois. Et on saupoudre parfois le tout de quelques remarques de gens du parti social-démocrate, pour donner l’illusion des deux côtés de la médaille.

3. Utiliser des clichés
La troisième technique consiste à faire «découvrir» aux gens le fait que la société suédoise n’est pas homogène, qu’il y aurait des immigrants et des problèmes «d’accommodement raisonnable». On cite alors Rosengård[7], le quartier multiethnique de Malmö, troisième plus grande ville de Suède et celle dont le taux d’immigration est le plus élevé en Suède, entre autres parce qu’elle est à proximité immédiate avec le continent européen. Parler des questions complexes de l’immigration suédoise en montrant toujours les mêmes clichés de mosquées et de femmes voilées du même quartier est un peu comme si nous jugions l’immigration au Québec à partir d’une photo de juifs hassidiques devant les vitres givrées du Y à Outremont.

4. Distordre les faits cités
La quatrième technique est bicéphale: un traitement «préférentiel» pour les statistiques et l’omission de mentionner une situation particulière pour expliquer un phénomène.
¨ Traitement préférentiel: Le calcul du taux de chômage
Les articles mentionnent que, pour connaître la «vraie» situation de l’emploi, on devrait inclure, dans le taux de chômage actuel (+ 5 %), les gens qui sont en congé de maladie, parentaux ou de vacances! Pourquoi devrait-on inclure ces statistiques uniquement dans le cas de la Suède et pas pour les autres pays? Qui doit-on accuser de fraude intellectuelle?
¨ Situation particulière: les raisons de la défaite de la coalition de gauche en 2005
Si la question de l’emploi a été l’argument central de la coalition de droite lors des élections de 2005 en Suède (d’où l’idée d’invalider le taux de chômage officiel), on omet de mentionner que c’est principalement la gestion très critiquée de l’organisation des secours gouvernementaux suite au tsunami thaïlandais de 2005[8], et l’attitude du Premier ministre en général, qui explique l’échec de la coalition de gauche[9]. Ce n’est pas parce que ces questions sont typiquement d’intérêt suédois qu’elles doivent être évacuées du débat.

5. Maintenir le lectorat dans l’ignorance d’éléments majeurs pour le débat
La cinquième technique consiste à ne pas expliquer des éléments majeurs de contexte. Le fait d’omettre de mentionner la façon dont le partage du pouvoir s’effectue entre les coalitions de gauche et de droite, ou d’oublier de parler de la seconde plus grande ville du pays parce qu’en parler pourrait affaiblir l’argumentaire de droite, intentionnelle ou non, cette maladresse produit un effet de distortion qui discrédite le propos, d’où l’importance de rajouter certaines données au débat.

¨ L’alternative à un gouvernement minoritaire, le gouvernement de coalition
Alors que le Gouvernement du Québec est élu selon un mode électoral bipartite de type britannique, celui de la Suède est élu selon un mode électoral de type proportionnel, ce qui mène à une multiplicité de petits partis qui se regroupent dans une coalition de gauche ou de droite. La coalition de gauche est composée de trois partis (social-démocrate, gauche et verts) alors que celle de droite est composée de quatre partis incluant deux partis de centre (démocrates-chrétiens, libéraux, centre et modérés). Au niveau national, le parti social-démocrate domine de façon très confortable les autres partis: 38 % contre 28 % pour les modérés et moins de 10 % pour tous les autres partis. Si la Suède avait utilisé le système électoral québécois, le parti social-démocrate serait au pouvoir et l’opposition officielle serait le parti Modéré. De plus, la différence entre le nombre de députés des coalitions de gauche et de droite est de moins de 2 % (7 sièges), soit respectivement 171 et 178 pour 349 sièges.
¨ Gothenburg, château-fort de la sociale démocratie et de l’industrie
Si on se plait à mentionner de grandes marques industrielles comme symboles éloquents du succès industriel suédois (ex: Volvo et Hasseblad), on omet de décrire la ville et la région dans lesquelles bon nombre d’entre elles sont implantées, soit à Gothenburg dans la région du Västra Götaland. Considérée comme le moteur industriel de la Suède et située à mi-chemin des trois capitales scandinaves (Stockholm, Oslo et Copenhague), Gothenburg est également la deuxième plus grande ville de Suède. Le New York Times vient d’y consacrer plusieurs pages dans un article très flatteur[10]. Alors, pourquoi omettre d’en parler? Parler de la Suède sans mentionner Gothenburg, c’est comme parler du Québec sans mentionner Montréal…

Outre le fait qu’il soit toujours possible que ceux qui critiquent le modèle suédois ne possèdent aucune connaissance de base de sa structure industrielle, il y a de très bonnes raisons de ne pas mentionner Gothenburg lorsque l’on s’en prend au modèle interventionniste. Celle-ci est un château fort social-démocrate au cœur d’une région en croissance continue qui se positionne de façon fort enviable pour ce qui est de la compétitivité internationale, de l’innovation et des technologies environnementales. Gothenburg et la région du Västra Götaland collaborent régulièrement avec leurs grandes industries pour développer des projets novateurs. Mais, contrairement à la perception des chantres du néo-libéralisme, le succès de la région dépend justement d’une symbiose entre les mesures de développement économique et de profit d’un côté, et les préoccupations sociales et environnementales de l’autre; c’est ce que l’on pourrait appeler du développement durable au quotidien.

La mentalité industrielle suédoise est différente de la vision plus individualiste des multinationales américaines, en ce sens que celle-ci inclut «naturellement» de nombreuses mesures liées au bien commun. Citons à titre d’exemple le cas du projet Biogas Väst, un partenariat public-privé entre Volvo, la ville de Göteborg et la région du Västra Götaland qui vise le développement du biogaz comme biocarburant; ce faisant, tant les partenaires publics que privés peuvent profiter du développement d’une expertise innovatrice à des fins d’exportation. Mais ce type de projet augmente également le nombre d’emplois qualifiés locaux, tout en s’attaquant à la pollution de l’air, la gestion des déchets et en favorisant l’empowerment local et l’indépendance énergétique. Force est d’avouer que ce type de PPP «collectif» ressemble bien peu au PPP de l’autoroute 25, structure financière par ailleurs quasi inexistante en Suède[11].

***
Le modèle suédois comme outil de rénovation du modèle québécois
L’utilisation de cette technique de démolition vise à faire croire que le modèle suédois interventionniste est dépassé, ce qui remet de facto en question le modèle québécois social-démocrate favorisé par les immobilistes[12], appelé aussi nonistes[13] voire paresseux[14]. Pourtant, tout le monde veut d’une société québécoise prospère et heureuse. Si l’on accepte ce postulat, une analyse plus globale du modèle suédois interventionniste fait émerger bon nombre de raisons qui devraient pousser les uns et les autres à encourager le Québec à continuer de s’inspirer de la Suède. En voici trois.
¨ L’égalité entre les femmes et les hommes
Dans un contexte de la Commission des accommodements raisonnables où le Québec réaffirme l’égalité entre les femmes et les hommes comme valeur fondamentale, la Suède demeure, année après année, le pays le plus égalitaire au monde, et ce, selon les données du Forum économique mondial[15]. Jonathan Trudel en parle.
¨ L’environnement
La seconde valeur prioritaire du Québec serait l’environnement. Or non seulement la Suède a l’intention de devenir une nation sans combustible en 2020 (une proposition d’une Commission mise en place avant l’élection du parti centre-droit et où siégeait la grande industrie[16]), mais le nombre de véhicules «verts» explose, ceux-ci constituant 13,5 % de toutes les automobiles vendues en 2006[17]. En agriculture, alors que nous en sommes aux premiers balbutiements en agriculture biologique et que le système fiscal agricole québécois en décourage l’implantation au profit du développement agricole industriel, la Suède soutient de façon soutenue[18] l’agriculture biologique. De plus, celle-ci est beaucoup plus active dans l’interdiction de produits chimiques dangereux. Ayant banni depuis 1977 certains pesticides tels que le 2-4D, le pays commence à constater les effets positifs de cette action gouvernementale sur la réduction de certains cancers; notre loi contre ces mêmes pesticides fête à peine son premier anniversaire[19]. On peut imaginer la différence, pour ce qui est de l’impact économique de la réduction des coûts de santé et de la vente de crédit d’émissions de CO2. Aucun des articles susnommés n’en parlent alors qu’il s’agit de questions majeures en Suède.
¨ Les routes
Si ces arguments ne sont pas convaincants, que le lien entre l’innovation, la compétitivité, les mesures sociales et l’intervention gouvernementale ne semble pas évident pour certains, que l’accès gratuit aux espaces naturels et le soutien à la recherche universitaire ne sont pas suffisants pour démontrer que des impôts élevés bien utilisés sont un avantage et non un inconvénient, le simple fait de constater le fossé énorme entre l’état de leurs routes et des nôtres devrait suffire à nous convaincre tous, de droite ou de gauche, que nous aurions avantage à continuer de développer des liens plus étroits. Les paysages naturels et la rigueur actuelle de l’hiver se ressemblent d’ailleurs de façon saisissante.

De fait, la droite a tort de s’attaquer au modèle suédois, sauf qu'elle veut défendre son propre bilan peu réjouissant. Ce que démontre éloquemment Jonathan Trudel dans ses soubresauts de la Suède (bas de la page 26/27); les périodes où il y a de mauvaises nouvelles (91-94/2006-) ne sont pas celles où le parti social-démocrate est au pouvoir mais bien la coalition de droite. Et des années terribles de 91-94, la Suède s’en souvient encore.

En terminant, je tiens à faire remarquer qu’à l’inverse de bon nombre de gens qui discourent sur la Suède sans y avoir mis les pieds, j’ai au moins l’excuse d’y aller chaque année depuis 2003, en plus d’y avoir séjourné. C’est probablement ce qui explique pourquoi mes commentaires rejoignent davantage ceux publiés dans le Devoir par le Néo-Suédois Sylvain Racine[20] que ceux de l’Institut économique de Montréal et de leurs associés.

Kim Cornelissen
Consultante en développement régional et international
Dossiers: transport, développement durable, liens Québec-Suède, égalité femmes/hommes et politique municipale.
Étudiante à la maîtrise en études urbaines, École des Sciences de la gestion
UQAM/INRS-Urbanisation, culture et société

Sujet de maîtrise: la pertinence d’utiliser des partenariats public-privé en développement durable en Suède. Étude de cas : le projet Biogas Väst, un PPP entre Volvo, la ville de Göteborg et une quinzaine d’autres partenaires publics et privés.

1] [15 octobre 2007
2] [http://www.quebecoislibre.org/06/060917-2.htm
http://www.vigile.net/Pourquoi-le-modele-suedois

http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=436

http://www.lesaffaires.com/article/0/economie/2007-07-19/445099/liedm-demystifie-le-modele-suedois-.fr.html
3] [http://www.iedm.org/main/show_editorials_fr.php?editorials_id=436
4] [http://www.lesaffaires.com/article/0/economie/2007-07-19/445099/liedm-demystifie-le-modele-suedois-.fr.html
[5] [www.timbro.se->www.timbro.se]
[6] [www.munkhammar.org->www.munkhammar.org]
[7] Rosengård signifie «jardin de roses…»
8] 20 000 Suédoises et Suédois étaient en Thaïlande lors du sinistre. [http://www.thelocal.se/1558/20050607/
9] [http://www.dagensps.se/article.aspx?articleID=20591&categID=226
[10] Édition du 23 septembre 2007.
[11] La recherche démontre qu’il en existerait un entre l’aéroport d’Arlanda et la ville de Stockholm, et celui-ci n’est pas concluant. [www.uofaweb.ualberta.ca/ipe//pdfs/TransportPaper-Nilsson_Hultkrantz_Karlstrom.pdf->www.uofaweb.ualberta.ca/ipe//pdfs/TransportPaper-Nilsson_Hultkrantz_Karlstrom.pdf]
12] [http://www.vigile.net/Sortir-de-l-immobilisme-des
13] [http://www.centpapiers.com/article.php3?id_article=555
14] [http://www.radio-canada.ca/radio/maisonneuve/17102006/78833.shtml
15] [http://www.weforum.org/en/initiatives/gcp/Gender%20Gap/index.htm
16] [http://www.sweden.gov.se/content/1/c6/06/70/96/7f04f437.pdf
17] [http://www.thelocal.se/5964/20070102/
18] [http://www.organic-europe.net/country_reports/sweden/default.asp
19] [http://www.canada.com/montrealgazette/news/montreal/story.html?id=50a34c28-106f-4ced-8376-619db1f348d9
20] [http://www.ledevoir.com/2007/10/06/159630.html?fe=2204&fp=240108&fr=45097#

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Consultante en développement régional et international

Dossiers: transport, développement durable, liens Québec-Suède, égalité femmes/hommes et politique municipale.

Étudiante à la maîtrise en études urbaines, École des Sciences de la gestion

UQAM/INRS-Urbanisation, culture et société

Sujet de maîtrise: la pertinence d’utiliser des partenariats public-privé en développement durable en Suède. Étude de cas : le projet Biogas Väst, un PPP entre Volvo, la ville de Göteborg et une quinzaine d’autres partenaires publics et privés.





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2 commentaires

  • Richard Larouche Répondre

    21 octobre 2007

    Excellent article qui prouve encore une fois que ce sont les gens de droite qui nous empêchent d'évoluer!!!

  • Archives de Vigile Répondre

    10 octobre 2007

    Le modèle Suédois; Une aubaine pour les souverainiste.
    Ceux qui utilisent le modèle suédois pour faire la promotion de leur ordre du jour de droite fédéraliste font une erreur magistrale qui offre aux souverainistes l’occasion de répliquer et de démontrer quel puisant levier représente le fait pour un état d’être souverain pour faire face à la mondialisation.
    À cet égard j’ai eu l’occasion de répondre à un « expert » de l’Institut économique de Montréal, sur ce thème; lequel n’a pas réfuté mon argumentaire : Les deux conditions qui font que la Suède et les Pays de l’Europe du Nord sont des états nations qui performent le mieux au monde en matière de création et de répartition de richesses tient au fait que ces états possèdent tous leurs pouvoirs en un lieu de décision (Indépendance),et; que ces pays en sont arriver à développer une culture du consensus entre différents acteurs (Gouvernement, patronat,syndicats),la social économie.
    Mon texte a été publié dans Le Devoir et chez Vigile : http://www.vigile.net/Oui-mais-a-deux-conditions-l
    Le débat sur la comparaison entre le Québec et les petits états nations comme la Suède est une occasion de faire valoir les mérites clairs de la souveraineté; je me demande si l’éditeur de Vigile pourrait ramener mon texte en accompagnement de celui-ci, ne serais-ce que pour alimenter le débat.
    Jean Claude Pomerleau