Égalité et Laïcité

L’intégrisme religieux menace-t-il nos droits ?

Laïcité — débat québécois

Allocution présentée lors du Colloque Égalité et Laïcité, quelles
perspectives? par Louise Mailloux, professeure de philosophie et
cofondatrice du Cciel

Que le cardinal Marc Ouellet soit contre l’avortement, c’est son droit le
plus absolu mais qu’il parte en croisade pour recriminaliser celui-ci et
imposer les valeurs de son Église aux femmes devrait nous inquiéter au plus
haut point. Que l’islamiste Tariq Ramadan préfère la charia au droit civil
n’a rien de bien étonnant mais qu’il vienne à Montréal pour inviter les
musulmans à ne pas respecter les lois du pays lorsqu’elles contredisent
leur religion, cela devrait nous inquiéter au plus haut point.
On reconnaît l’intégrisme religieux à sa capacité d’instrumentaliser la
religion pour se rapprocher du politique et imposer ses valeurs à
l’ensemble de la société. Voulant que les lois divines aient préséance sur
les lois des hommes. On le présente habituellement comme un courant
politique radical, minoritaire et marginal se développant à la périphérie
de toute religion. Comme si l’intégrisme religieux était l’excroissance
malsaine d’une religion, un élément fortuit et déplorable. Une espèce de
tumeur dont la religion pourrait se débarrasser.
Une telle vision des choses permet de croire que la religion est bonne et
que seul l’intégrisme religieux est mauvais. Qu’il faut donc respecter les
religions mais combattre de toutes nos forces l’intégrisme. Cette
distinction est d’ailleurs reprise dans la posture laïque qui éloigne la
religion du politique mais la tolère dans la sphère privée en espérant
qu’elle y demeure bien occupée à soigner les âmes.
C’est bien mal connaître les religions que de penser qu’elles se
contenteront de la prière et croire qu’elles sont aussi inoffensives que
les moutons. Les religions ont toujours eu des visées théocratiques et
totalitaires et elles ont toujours combattu la démocratie, l’universalisme
des droits de l’homme, la liberté de conscience et l’égalité des sexes.
C’est d’ailleurs en combattant les religions que ces valeurs ont pu devenir
notre héritage le plus précieux.
L’intégrisme religieux n’est pas la banlieue d’une religion, il en est
plutôt son centre-ville. Il prend sa source dans la Torah, la Bible et le
Coran, ces écrits que les religions propagent sur la planète depuis des
millénaires et dans lesquels on affirme l’inégalité entre le croyant et les
infidèles que l’on exhorte à tuer, l’inégalité entre les hommes et les
femmes que le récit de la Genèse condamne à l’esclavage et à la soumission
dès le début du monde, de même que la condamnation des homosexuels.
Ces textes considérés comme sacrés sont les assises des pires
discriminations et ils sont une atteinte directe aux droits les plus
fondamentaux. Ils sont le cœur et le ferment de tout intégrisme, en plus de
formater l’esprit des croyants à devenir une proie facile pour ces
militants politiques.
Lorsqu’à ses conférences Tariq Ramadan fait prier toute une salle, il faut
comprendre que c’est le même Coran que tout le monde récite. Et ce n’est
certes pas Flaubert ou Bug’s Bunny qui ont inspiré la Conférence des
évêques catholiques du Canada lorsqu’ils se sont opposés au mariage gai
mais bien le Lévitique de la Bible. Ceux qui ont fait sauter les tours
jumelles à New-York n’ont fait qu’agir selon les prescriptions du Coran et
ceux qui aux États-Unis assassinent des médecins pratiquant l’avortement
trouvent leur justification dans le « Tu ne tueras point! » de la Bible.
Pourrait-on imaginer un intégriste sans Bible ou sans Coran ? J’en doute
fort.
Dans le fond, la question que l’on devrait se poser, c’est : « comment les
croyants font-ils pour s’accommoder de ces textes si haineux et si
misogynes et ne pas devenir eux-mêmes des intégristes ? » Ceci demeure, il
faut l’avouer, un bien grand mystère…
On aura beau interpréter ou contextualiser autant que l’on voudra, la Bible
et le Coran justifient la domination patriarcale et défendent un point de
vue qui n’est pas compatible avec l’égalité des sexes. Et quand l’Église
devient l’État, la liberté disparaît. La liberté des femmes d’abord, qu’on
renvoie à la maison en contrôlant leur corps et leur sexualité comme le
souhaitent les conservateurs chrétiens. Chez les musulmans, en les voulant
vierges et excisées pour ensuite les faire disparaître sous le niqab ou la
burqa, soumise à la loi du père, puis du mari.
Quand l’Église devient l’État, la liberté sexuelle est niée. La chasteté et
la virginité des femmes sont glorifiées. Et dans certains pays musulmans,
les femmes adultères sont fouettées ou lapidées alors qu’on emprisonne et
qu’on pend les homosexuels.
Quand l’Église devient l’État, la liberté de conscience disparaît,
l’apostasie est interdite et la liberté d’expression est réprimée par
l’interdit du blasphème. Ces pratiques perdurent encore dans l’islam et
même en Irlande où l’on vient de restaurer une loi sur le blasphème.
Quand l’Église devient l’État, les guerres de religions deviennent
l’expression familière du vivre-ensemble, la liberté d’expression est
muselée et les fatwas des imams condamnent à mort des écrivains, des
artistes et des intellectuels, la démocratie disparaît et les lois divines
servent de fondement à la justice des hommes. Les intégristes religieux
s’emparent du pouvoir, la population est prise en otage et les droits
humains sont bafoués.

Voilà autant d’atteintes à la liberté chaque fois qu’une religion se
rapproche du politique parce qu’elles détestent la vie et que la liberté
les effraie.
Lorsqu’au XVII ième siècle, John Locke propose dans sa Lettre sur la
tolérance de séparer le religieux du politique, c’est parce qu’il avait
compris à quel point toute religion porte en elle le germe de l’intolérance
et de l’intégrisme, et que la fusion de ces deux univers produit un mélange
explosif.
En séparant le religieux du politique pour le confiner à la sphère privée,
la laïcité demeure encore la meilleure stratégie pour contrer l’intégrisme
et préserver la sécularisation de nos sociétés. Mais il faut aussi
reconnaître que cette stratégie a une bien grande faiblesse qui est de
laisser intacte la religion et la propagation de ses textes qui alimentent
et fécondent l’intégrisme et ne sont rien de moins que des bombes à
retardement.
Par sa tolérance exemplaire, qu’aucune religion ne peut égaler, la laïcité
nous a habitués à respecter toutes les religions en leur donnant la
bénédiction sans confession. Avec pour conséquences que nous avons baissé
la garde vis-à-vis celles-ci. Autant dire que la laïcité garde bien au
chaud le loup dans la bergerie. C’est pourquoi nous devons nous attendre à
ce qu’elle subisse sans cesse les assauts des religions. Bien sûr avec des
périodes d’accalmie mais aussi avec des périodes plus troubles comme celles
que nous vivons depuis quelques temps.
Je suis fermement convaincue que nous devons continuer à mener le combat
laïque mais il faut rompre avec une vision statique de la laïcité qui
pourrait nous laisser croire que nous en aurons bientôt fini avec le
religieux dans l’espace public. Qu’une Charte oh combien nécessaire suffira
pour que l’on puisse enfin dormir tranquille. Rien n’est moins sûr. Il y
aura toujours des tensions entre le politique et le religieux. Et j’ai bien
peur qu’il faille plusieurs autres colloques comme celui-ci. On les fera,
c’est tout.
Il faut également rompre avec une vision de la laïcité qui laisse croire
qu’il suffit de combattre l’intégrisme pour que nos droits soient protégés.
Cela est nécessaire et c’est même la première chose à faire mais cela ne
suffira pas.
Il faudrait aussi s’atteler à une tâche éducative et mieux faire connaître
ces textes fondateurs qui conditionnent la vie de milliers d’individus, les
faire connaître à nos jeunes surtout qui n’ont pas vécu l’emprise sociale
du religieux, pas plus que les grandes batailles féministes, pour qu’ils
comprennent ce qu’ils recèlent de dangereux et combien ils servent tous les
intégrismes. Qu’ils abordent ces textes non pas à travers des incantations,
des rites et leur folklore comme dans l’actuel cours d’éthique et de
culture religieuse mais avec un solide esprit critique afin qu’ils soient
moins vulnérables au discours tout en sucre des supers croyants, moins
vulnérables aux demandes d’accommodement.
Il faut également dans notre esprit, séculariser, désacraliser ces livres
qui ne sont pas tombés du ciel et les considérer pour ce qu’ils sont, soit
un pan de notre littérature antique en même temps qu’une prodigieuse
machine idéologique à dénigrer le sexe et à opprimer les femmes.
Il faut contrer l’intégrisme, le disqualifier de nos institutions
publiques, notamment par l’adoption d’une Charte mais aussi réapprendre à
se méfier de toutes les religions. Parce que les religions ne disparaîtront
pas demain, ni après demain, pour la simple et bonne raison qu’elles nous
disent que nous ne mourrons pas et que c’est bien évidemment ce que chacun
de nous veut entendre. Et qu’il existe un autre monde avec des vierges pour
ces messieurs et où l’alcool coule à flots. De la Budweiser au paradis!
Voilà une recette qui fait des miracles. N’y manque que les chars! Tout le
reste n’est que politique.
Au début du XXième siècle, 50% des habitants de la planète étaient
catholiques, protestants, musulmans ou hindous. Au début du XXIième siècle,
ce pourcentage atteint 64% et il pourrait approcher les 70% d’ici 15 ans.
Ces chiffres sont effarants et montrent que l’histoire ne va pas en ligne
droite avec le progrès devant et l’obscurantisme derrière.
Au Québec, comme dans toutes les autres démocraties, la laïcité, la liberté
et l’égalité sont aujourd’hui menacées par cette montée de la ferveur
religieuse, une ferveur réactionnaire et antiféministe qui se raidit et se
radicalise au point où si nous ne réagissons pas maintenant, Dieu pourrait
bien gagner la partie.
Rien que cela devrait nous convaincre de l’urgente nécessité à défendre la
laïcité. En 2008, le Québec a franchi un pas de plus en complétant la
déconfessionnalisation de son système scolaire. Nous devons maintenant
aller de l’avant et poursuivre ce travail. D’où la nécessité de se donner
une Charte de la laïcité que l’on attend toujours Monsieur Charest, de
celle aussi d’interdire le port de du niqab ou de la burqa non pas
seulement dans nos institutions et services publics comme le propose
l’actuel projet de loi 94 mais de l’interdire partout au Québec.
Comme le disait la très regrettée Hélène Pedneault, il nous faut retrouver
notre capacité de s’indigner, celle aussi de se solidariser et d’unir à
nouveau toutes les féministes du Québec, femmes et hommes épris de liberté,
pour s’opposer massivement à la croisade des islamistes tout comme à celle
d’un monseigneur Ouellet qui défendent les mêmes valeurs rétrogrades et qui
trouve des échos jusqu’au Parlement.
Parce qu’il faut envoyer un message clair à tous ces intégristes qui
s’attaquent aux femmes et menacent nos droits. Et même si cette gentille
laïcité flatte et chouchoute le loup dans la bergerie, il ne faut surtout
pas s’endormir, ne serait-ce que pour voir venir la bête… Tout cela prendra
le temps qu’il faudra, mille ans s’il le faut! Mais soyez assurés, que nous
allons gagner!
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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