Le retour du religieux menace-t-il nos droits?

De tranquille qu’elle était, notre laïcité est devenue le sujet le plus brûlant qui soit. Le sujet dont tout le monde parle.

Laïcité — débat québécois


Au début du XXième siècle, 50% des habitants de la planète étaient
catholiques, protestants, musulmans ou hindous. Au début du XXIème siècle,
ce pourcentage atteint 64% et il pourrait approcher les 70% d’ici 15 ans.
Les philosophes des Lumières ont eu tort de penser que la religion n’était
due qu’à l’ignorance. Jamais les gens n’ont été autant éduqués
qu’aujourd’hui et pourtant les fous de Dieu n’arrêtent pas de se
multiplier.
La modernité n’a pas éradiqué la religion. Bien au contraire, à la faveur
de la démocratisation, elle a permis son essor et sa politisation. De sorte
que la laïcité qui souhaitait cantonner le religieux à l’espace privé est
aujourd’hui menacée par cette montée de la ferveur religieuse, au point où
si nous ne réagissons pas maintenant, Dieu pourrait bien gagner la partie.
Sous l’effet de la mondialisation et de son immigration, le Québec connaît
un regain de ferveur religieuse au moment où il s’est distancé du
catholicisme alors que ses églises sont transformées en condos et qu’il
vient tout juste d’achever la déconfessionnalisation de ses écoles
publiques. Une nouvelle ferveur religieuse dans laquelle bon nombre de
Québécois ne se reconnaissent pas et qui vient en bonne partie de ses
immigrants, nous oblige à devoir reconsidérer la place de la religion dans
notre espace publique. De tranquille qu’elle était, notre laïcité est
devenue le sujet le plus brûlant qui soit. Le sujet dont tout le monde
parle.
***
Depuis quelques années, la caravane du pluralisme religieux prospère parmi
nous, dans nos garderies, nos écoles, nos universités, nos hôpitaux, nos
cafétérias, nos piscines, nos services publics, nos rues, dans les fenêtres
givrées ou mieux les femmes givrées. Elle a pour noms la tolérance, le
pluralisme, la différence, le vivre-ensemble, le respect de l’autre,
l’ouverture à l’autre, l’identité de l’autre, la communauté de l’autre, la
culture de l’autre, les traditions de l’autre et bien évidemment la
religion de l’autre. Cet «autre» que l’on nous demande d’accepter comme si
nous étions dans le Petit Prince de St-Exupéry. Comme si les religions
étaient aussi inoffensives qu’un mouton. Comme si les religions étaient du
bonbon.
Les défenseurs d’une laïcité ouverte aux religions présentent souvent les
Québécois comme des attardés, des gens qui sont restés marqués au fer rouge
des années Duplessis, des Québécois «gros gin» cramponnés à leur crucifix
de l’Assemblée nationale, qui ont oublié d’évoluer et qui parlent encore à
leurs mitaines.
Certains diront que le trait est gros et pourtant, on ne rate jamais une
occasion de le souligner. Je pense notamment à la cinéaste Francine
Pelletier qui, le 8 mars dernier, en entrevue à la télé de Radio-Canada, a
dit que sur la laïcité, les Québécois sont 50 ans en retard parce qu’ils
n’ont pas encore décroché leurs crucifix alors qu’elle vient de tourner un
film avec des femmes voilées de Présence musulmane qui défendent des
valeurs rétrogrades qui sont probablement 50 ans en avance…
Les Québécois ne veulent pas que la religion, ni la leur ni celle des
autres, revienne à l’avant-plan dans nos institutions publiques, parce que
notre histoire nous a appris de quel prix se paie l’emprise politique d’une
religion sur un peuple, de quel prix se paie cette soumission des corps et
des esprits et le prix exorbitant qu’ont dû payer nos mères, nos
grands-mères et toutes ces femmes pour qui la religion fut un calvaire.
Au Québec, nous ne voulons plus de cela. Nous voulons continuer de goûter
cette vie librement sans qu’aucune religion ne vienne la rapetisser à
nouveau. C’est la liberté qui nous fait protester, c’est la liberté qui
nous fait se lever, pas le racisme, ni la xénophobie.
Quand l’Église devient l’État, la liberté disparaît. La liberté des femmes
d’abord, qu’on renvoie à la maison et à qui on impose le destin de mère, en
contrôlant leur corps et leur sexualité, interdisant la contraception et
l’avortement comme le souhaiteraient les conservateurs chrétiens de Stephen
Harper. Chez les musulmans, en les voulant vierges et excisées pour ensuite
les faire disparaître sous le niqab ou la burqa, soumise à la loi du père,
puis du mari.
Quand l’Église devient l’État, la liberté sexuelle est niée. La chasteté
et la virginité des femmes sont glorifiées. Et dans certains pays
musulmans, les femmes adultères sont fouettées ou lapidées alors qu’on
emprisonne et qu’on pend les homosexuels.
Quand l’Église devient l’État, la liberté de conscience disparaît,
l’apostasie est interdite et la liberté d’expression est réprimée comme
blasphème. Aujourd’hui, ces pratiques perdurent encore dans l’islam.
Quand l’Église devient l’État, les guerres de religions, la persécution
des infidèles et des hérétiques deviennent l’expression familière du
vivre-ensemble, ce type de sociabilité auxquels les religions nous ont
habitués.
Quand l’Église devient l’État, la démocratie disparaît et les lois divines
servent de fondement à la justice des hommes. L’intégrisme religieux
s’empare du pouvoir, les populations sont prises en otage et les droits
humains sont bafoués.
Voilà autant d’atteintes à la liberté à chaque fois qu’une religion se
rapproche du politique. Parce que les religions sont la pire des
politiques, parce qu’elles détestent la vie et que la liberté les effraie.
Parce que la liberté les brûle et les tue.
En séparant le religieux du politique, le régime de laïcité a relégué
toutes les religions dans la sphère privée, ce qu’elles n’ont jamais
accepté de sorte que cette résurgence du religieux à laquelle nous
assistons au Québec comme partout à travers le monde, doit être comprise
comme une tentative politique pour les religions de vouloir reconquérir la
sphère publique. Cette offensive des religions a un nom, elle s’appelle la
laïcité ouverte.
Aménager, négocier une ouverture pour que les religions puissent à nouveau
réinvestir le champ public, en nous présentant la chose comme une
nouveauté, un nouveau type de laïcité plus souple, plus respectueux des
identités et mieux adapté au pluralisme des sociétés modernes. Nous
laissant ainsi croire qu’il y a désormais deux types de laïcité. L’ancienne
et la moderne.
Mais il n’y a pas deux sortes de laïcité, l’une qui serait ouverte et
l’autre fermée. Ça c’est de la poudre aux yeux pour mélanger tout le monde.
Non, il y a la laïcité qui subit en ce début de siècle, une offensive sans
précédent venant des religions, particulièrement celle de l’islam pour qui
la laïcité demeure une hérésie, et qui cherchent à s’immiscer dans la
sphère publique. Cette charge a un visage, celui du religieux qui s’est
refait une beauté de peur qu’on le reconnaisse. Cette charge a aussi un
nom, celui de laïcité ouverte.
Son objectif ? Remettre le religieux sur les rails du politique en
décloisonnant le privé et le public dans le but de déstabiliser la laïcité.
Protéger et défendre les religions coûte que coûte afin qu’elles puissent
retrouver une légitimité dans nos institutions publiques. Vous savez, quand
on en est rendu à dire comme dans le dernier avis de la Commission des
droits de la personne que le temps passé avec un examinateur de la SAAQ
dans une voiture est suffisamment long pour remettre en question le droit à
la liberté de religion de celui qui passe son examen de conduite, il faut
se réjouir que le ridicule ne tue pas même si on est mort de rire mais ce
qu’il faut surtout retenir ici, c’est jusqu’où ces intellectuels sont prêts
à aller pour défendre la religion. Cette bataille est politico-religieuse
et elle menace directement la laïcité de nos institutions.
L’enjeu ultime? Reconnecter la créature à son Créateur et sortir la Bible
et le Coran pour moraliser la vie dans ses moindres recoins, renvoyer les
femmes à la maison et les homosexuels dans le placard. C’est à cela
fondamentalement que va servir l’ouverture. Et que vous priez en direction
de Rome ou de La Mecque, c’est toujours dans la même direction.
Le secret pour ouvrir cette laïcité? Le libéralisme anglo-saxon qui
affirme que l’individu est plus important que l’État. C’est de nous faire
croire que le Québec n’est qu’une somme d’individus, que les Québécois ne
sont que des individus qui s’additionnent comme des smarties avec des
rouges, des bleus et des jaunes sans qu’une histoire et qu’une culture
communes les rassemblent, sans qu’une identité nationale les unisse, ne
reconnaissant pas à cette majorité francophone le droit à l’affirmation
identitaire, le droit à une appartenance que l’on n’accorde qu’aux
minorités, nous obligeant à n’être qu’une majorité de smarties parmi les
minorités bleus, blancs, rouges, tout juste des immigrants dans notre
propre pays.
Alors pourquoi pas le hidjab et le turban dans la fonction publique
puisque nous sommes de nulle part et de partout en même temps ? Cette
laïcité ouverte au port de signes religieux dans la fonction publique ne
fait pas que violer la neutralité de nos institutions, c’est aussi une
ouverture sur le multiculturalisme encourageant l’affirmation des signes
qui renforcent la différenciation et l’exclusion. Après on viendra nous
dire que la religion, ce n’est pas de la politique!
Le secret pour ouvrir cette laïcité? Pulvériser l’État et la collectivité
en nous faisant croire qu’il n’y a que des individus qui ont tous les
droits en vertu des Chartes mais qui ne sont citoyens de rien parce qu’on
n’est pas citoyen d’une Charte mais bien citoyen d’un État, d’un État qui
défend des valeurs communes comme la laïcité, le fait français et l’égalité
des sexes. Ces Chartes qui en matière d’accommodements religieux font peser
plus lourd dans la balance la Commission des droits de la personne que
l’Assemblée nationale, où se retrouvent nos députés et nos ministres, les
représentants élus de l’État. Ce qui en matière de droit fait peser plus
lourd les droits individuels que les droits collectifs, fait donc peser
plus lourd la liberté religieuse que les droits des femmes. Plus lourd le
hidjab que son sexisme outrageant.
Et le top du secret pour ouvrir la laïcité, c’est encore une fois de nous
faire croire qu’il n’y a que l’individu, électron libre devant Dieu et dont
la religion est personnelle, comme si une religion pouvait être personnelle
et nous faire oublier combien ils sont nombreux à être personnel de la même
façon… L’intérêt d’une telle astuce? Justifier le caractère subjectif de la
croyance et faire de la sincérité du croyant un critère suffisant pour
fonder sa liberté de religion. Il suffit d’être sincère pour que n’importe
quoi devienne sa religion. C’est jusqu’à maintenant l’interprétation
généreuse qu’ont privilégié les juges de la cour Suprême et qui a pour
effet de donner préséance à la liberté religieuse.
Mais le top du top secret pour ouvrir la laïcité, c’est de nous présenter
le smartie religieux comme étant seul avec son Dieu, rempli de foi, sans
idéologie sexiste et homophobe, sans organisation et sans financement, sans
la moindre possibilité d’appartenir à un mouvement islamiste qui milite
pour que la loi religieuse prime sur nos lois civiles.
La laïcité ouverte, c’est l’absolue négation du collectif. Négation de la
nation, négation des droits des femmes et négation de l’intégrisme
politico-religieux. On comprend mieux pourquoi ses partisans ne parlent
jamais de sexisme, de nationalisme ou d’intégrisme. Rien de collectif, rien
qui pourrait offrir une quelconque résistance. Cette laïcité, un bijou de
néo-libéralisme.
Ce retour du religieux menace nos droits, celui des femmes tout
particulièrement, et il est d’autant plus dangereux qu’il se présente comme
le contraire de ce qu’il est, une sorte de laïcité «cool» qui n’est en fait
qu’une subtile et solide défense du religieux qui se porte à l’assaut de
nos institutions publiques.
La plus belle preuve de cela, nous l’avons eu, il y a à peine quelques
jours, avec le projet de loi 94 du gouvernement Charest. Imaginez un
projet de loi pour interdire aux employés et aux usagers de l’État d’avoir
le visage voilée dans nos institutions et services publics. Une loi exprès
pour dire aux gens que nous ne devons pas être cagoulés ou niqabés dans nos
écoles, nos hôpitaux et nos ministères.
Quand on s’y arrête, la chose frise le ridicule et est aussi stupide que
si le gouvernement avait légiféré pour nous dire que l’on ne doit pas être
nu dans nos institutions publiques. S’il avait fait cela, tout le monde
aurait rigolé. Et pourtant là, tout le monde prend ça au sérieux. Ça fait
les manchettes et la une des journaux depuis quelques jours. Tout le monde
prend ça au sérieux, parce que c’est vrai, que c’est la réalité et que nous
en sommes rendus là. Et que dans le fond, ça signifie qu’il se passe des
choses pas très catholiques dans ce gouvernement et que La Mecque se
rapproche de Québec.
Louise Mailloux

Professeure de philosophie
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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