L’ouverture sur le monde en français

«Un monde finit / Un autre commence / Tu peux ravaler ta romance / J'ai tout compris je pense / Qu'on n'est plus du même pays.»

"L'autre St-Jean"

Lorsqu’au début du mois, Louise Harel s’est portée candidate à la mairie de Montréal, certaines voix se sont élevées. Selon Jack Jedwab, directeur général de l'Association des études canadiennes dont les allégeances fédéralistes ne font pas mystère, « il n'est pas normal qu'une grande ville nord-américaine comme Montréal soit dirigée par une francophone unilingue (…) à cause de l'ouverture au monde qui vient avec la connaissance de cette langue internationale ». Ainsi, la connaissance de l’anglais serait un ingrédient essentiel de l’ouverture au monde. Par conséquent, un Québécois unilingue francophone souffrirait immanquablement d’un grave handicap en la matière. À l’opposé, les très majoritaires Nord-Américains unilingues anglophones seraient donc immunisés contre cette tare.
En y pensant bien, on ne peut qu’opiner du bonnet. Au fil des dernières décennies, les Nord-Américains unilingues anglophones cherchant à s’informer sur la société québécoise n’ont eu d’autre choix que de se rabattre sur les journaux et magazines canadiens anglophones. Ils ont donc eu la chance d’être éclairés par The Gazette qui, à la fin des années 1970, surnomma René Lévesque « le boucher de New Carlisle » et associa Camille Laurin au Docteur Jekyll. Au Globe and Mail, ces unilingues anglophones intrinsèquement à l’abri du repli sur soi ont lu Jane Wong->rub247] faisant un lien direct entre la Loi 101 et les tueries de Polytechnique, Concordia et Dawson. Dans Macleans, ils ont lu Barbara Amiel affirmant que la culture française elle-même était moins propice que l’anglais à la vie démocratique. Au National Post, ils ont lu Barbara Kay leur expliquant la vraie nature du « [Quebecistan->rub215] » tandis qu’Andrew Coyne leur révélait tout sur le « nettoyage ethnique » en cours au Québec et que Diane Francis leur annonçait l’imminence de la « partition » du territoire québécois. Dans Saturday Night, ils ont pris connaissance d’un long article où un savant psychiatre démontrait la [nature psychotique du Premier ministre Lucien Bouchard. Dans The Gazette encore, ils ont vu les nombreuses caricatures de Louise Beaudoin accoutrée en louve des SS. Tout récemment, c’est Louise Harel elle-même que The Gazette compara – désavantageusement – à Mom Boucher. Et encore plus récemment, le chroniqueur [Josh Freed->20565] se défendit d’avoir associé les opposants à la bilinguisation de la Fête nationale aux milices SS du régime nazi, en expliquant qu’il parlait plutôt des inspecteurs de la Commission de protection de la langue française. Nous voilà rassurés…Grâce à leur langue maternelle et selon Jack Jedwab, les Nord-Américains unilingues anglophones seraient donc tout naturellement prédisposés à la compréhension de l’autre.
Mais là n’est pas la seule lacune de civisme des « French Canadians » du Québec. Depuis une semaine perdure une controverse au sujet de la bilinguisation des festivités de la Fête nationale dans le très francophone quartier Rosemont-Petite-Patrie. Ce débat découle de l’ajout unilatéral de près d’une heure de prestations musicales en anglais par le producteur du spectacle, Pierre Thibault, et sa cliente-employée, la présidente de l’association culturelle Louis-Hébert, Marilyne Lacombe. Tout cela au nez et à la barbe des autres organisateurs et du Comité de la Fête nationale. Bien entendu, l’éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte, a aussitôt saisi la balle au bond pour s’indigner du « profond malaise » que causeraient, année après année, les prises de position souverainistes des artistes participant au grand spectacle du parc Maisonneuve. Cette complainte a été reprise le 15 juin dernier sur les ondes de LCN par l’ex-députée libérale fédérale de Gatineau, Françoise Boivin, lors d’un débat avec Mario Beaulieu, président du Comité de la Fête nationale et de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. À cela, on ne peut que réagir en se demandant pourquoi M. Pratte et Mme Boivin ne ressentent aucun « malaise » du fait que depuis au moins 20 ans, 80% du budget fédéral de la Fête du Canada est dépensé au Québec, qui ne représente pourtant que 23% de la population canadienne. Est-ce parce que pour les fonctionnaires de Patrimoine Canada, un Québécois vaut quatre Canadiens anglais? Ou n'est-ce pas plutôt parce que depuis des décennies, les festivités du 1er juillet sont fortement détournées à des fins de propagande fédéraliste massive, partout au Québec? N’est-ce pas plutôt parce qu’à Ottawa, comme dans tout le « Rest of Canada », on préfère de loin dépenser chaque année ces millions de dollars à chercher à faire gober aux Québécois le statu quo constitutionnel et la diminution des pouvoirs de l'Assemblée nationale imposés en 1982, plutôt que de consacrer ces précieux deniers à tenter de convaincre les Canadiens anglais du bien fondé des revendications consensuelles des Québécois de toutes allégeances politiques?
[->9830]Voilà ce que cela signifie que d’être minoritaires. Cela consiste à se faire reprocher ce dont nos accusateurs sont eux-mêmes coupables. Gilles Vigneault devrait aller le leur traduire dans son mauvais anglais : « Un monde finit / Un autre commence / Tu peux ravaler ta romance / J'ai tout compris je pense / Qu'on n'est plus du même pays. »
Christian Gagnon
_ Montréal

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CHRISTIAN GAGNON, ing.
_ L’auteur a été président régional du Parti Québécois de Montréal-Centre d’octobre 2002 à décembre 2005





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    28 juin 2009

    L'ouverture sur le monde que l'on nous vante à plus finir reste une ouverture au monde anglophone seulement. C'est une hypocrisie! Il faut allez dans leur monde voir ou écouter les nouvelles pour voir à quel point le reste de la planète n'existe pas sauf s'ils sont directement touchés. Cette ouverture est dictée par la finance et l'argent. Si demain la langue de la finance devenait le mandarin, soyez sûr que tous ces beaux parleurs se précipiteraient pour proclamer que celle-ci et la nouvelle langue de l'ouverture sur le monde. Pour eux, la langue n’est qu’un outil au service de l’argent. Les langues nationales ne sont que des barrières qui les empêchent de faire plus d’argent et de pouvoir. Au mieux, elles ne représentent qu’un intérêt purement folklorique.
    La culture, l'entraide et la défense des droits humains n'ont pas attendu la langue anglaise pour se propager dans le monde entier.

  • Marcel Haché Répondre

    22 juin 2009

    Ce que vous rappelez est exact. Mais pourquoi donc les deux chefs « souverainistes »,M. Duceppe et Mme Marois ne nous défendent-ils pas ?
    En son temps, René Lévesque avait remis ces pleins de marde à leur place, et n’avait pas hésité à les traiter de rhodésiens. Il l’avait fait fermement, très publiquement, en réponse à leur mépris raciste. Cela se continue toujours, mais nos chefs s’empêtrent dans la rectitude politique sous couvert de stratégie. Ils s’écrasent littéralement. Et nous avec eux.
    Mais quelle sorte de pleutres sont-ils donc pour ne pas comprendre que c’est justement pour nous avoir défendu que René Levesque (et même Duplessis, bien longtemps avant), avaient été élus au cœur de notre peuple ? Duceppe, en particulier, ne peut pas se réclamer de l’obligation de prudence impartie à Pauline Marois. Il est le politicien qui profite le plus, et le plus facilement, de la fidélité de l’électorat québécois.
    On commence seulement, maintenant, à récolter les fruits de la démission de ’95.Nous sommes maintenant à même de prendre la mesure du résultat de la rectitude des lâches, qui s’étaient scandalisés des déclarations de Parizeau, au soir du référendum de ’95, et qui persévèrent dans cette lâcheté, comme si une telle persévérance pouvait un jour se muer en courage.
    Des pleins de marde. Pas si dur à écrire ni à dire !

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juin 2009

    La bilinguisation d'une société ouvre la porte à l'unilinguisme anglais. C'est la prochaine étape qui guette la société québécoise.
    Au début du xxème siècle s'est créé en Nouvelle-Angleterre une société francophone majoritaire dont il ne reste pratiquement qu'un souvenir fugace. Plus de 32 paroisse catholiques francophones. Voulez-vous que je vous les nomme?
    Cela a commencé avec les irlandais qui demandèrent des accommodements raisonnables. Ca vous dit quelque chose, les accommodements raisonnables? On connaît la suite!
    L'histoire se répète et quand on a une connaissance déficiente de son histoire; on répète les mêmes erreurs.Continuons à tourner en rond! Pauvre Québec!