Le sens de la Fête

La controverse sur la présence des anglophones à la Fête nationale est révélatrice des difficultés conceptuelles que les Québécois éprouvent à se définir

"L'autre St-Jean"

La controverse sur la présence des anglophones à la Fête nationale est révélatrice des difficultés conceptuelles que les Québécois éprouvent à se définir, tant dans l’ordre politique que symbolique. Il y a là un chantier considérable pour qui voudrait, de bonne foi, travailler à y mettre un peu d’ordre - à condition toutefois que l’exercice ne tourne pas à vide (1).
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Les réactions les plus surprenantes me semblent être celles voulant que l’exclusion des groupes anglophones (chantant en anglais) soit une grossière erreur (2). Je dis « surprenantes » car elles m’apparaissent un peu trop affirmatives (ou expéditives), comme si ce point de vue allait de soi alors qu’en réalité le problème est, il me semble, suffisamment complexe pour susciter, à tout le moins, quelques légers doutes.
L’argument principal consiste à rappeler que la Fête nationale est celle de tous les Québécois et que, par conséquent, l’exclusion de ces artistes anglophones (chantant en anglais) est infondée, dépassée et même honteuse.
Implicitement, nous avons affaire à une conception « territoriale » de la nation (est Québécois celui qui habite le Québec) jumelée à l’idée d’une culture nationale québécoise s’exprimant en plusieurs langues, c’est-à-dire irréductible à la langue française (langue officielle).
Notre propos n’est pas de discuter une telle conception mais plutôt d’illustrer, très brièvement, comment s'y inscrit la question du sens qu’on doit donner à la Fête nationale.
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Compte tenu de ce qui est avancé, on voit mal comment cette controverse ne pourrait concerner que les artistes anglophones. En toute cohérence, il faudrait, selon ce point de vue, que la Fête nationale devienne une vitrine de la diversité culturelle du Québec, une fête où des artistes québécois de toutes origines expriment leur appartenance à la culture québécoise (nationale) à travers le prisme de leur culture d’origine.
Pour ces artistes, il s’agirait d’exprimer, dans leur langue (et avec leurs rythmes, doit-on supposer), leur appartenance à la culture québécoise, c’est-à-dire d’afficher la dimension québécoise de leur culture d’origine. A moins qu’il ne s’agisse d’afficher leur culture d’origine dans sa dimension québécoise ? Je n’en sais trop rien mais quoi qu’il en soit, je ne vois pas comment on pourrait échapper à la conclusion suivante : pour peu qu’on la prenne encore au sérieux (3), la Fête nationale devrait se muer en une fête multiculturelle.
Une telle initiative ne peut évidemment avoir de sens que dans un cadre de pensée multiculturaliste (et encore). En dehors d’un tel cadre, cette manière de penser notre Fête nationale me semble totalement dépourvue de signification : elle a même toutes les caractéristiques d’une caricature.
Or je ne suis pas convaincu que les intervenants favorables à ce type de fête soient tous des tenants du multiculturalisme. Indépendamment de ce que l’on peut penser du multiculturalisme, il est permis de croire que, dans ce cas, la dimension festive l’emporte malheureusement sur la cohérence du discours (4). Ce n’est en fin de compte peut-être pas si grave mais encore fallait-il le souligner.
Et s’il devait arriver que certains de ces intervenants soient favorables à une politique proprement multiculturaliste pour le Québec, qu’il nous soit permis de leur demander de le dire plus clairement.
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Il est vrai qu’on pourrait par ailleurs limiter cette discussion aux artistes anglophones en s’appuyant sur le fait que les anglophones du Québec jouissent, dans les faits, de droits historiques et d’institutions qui leur sont propres et ainsi avancer que la Fête nationale devrait refléter cette réalité. La fête multiculturelle ferait alors place à une fête où la dualité du Québec serait mise de l’avant (ces artistes chantant en anglais). Il s’agirait en somme de proposer et d’affirmer symboliquement une représentation duale du Québec.
Avons-nous le choix me direz-vous ? La question est posée. Mais remarquons néanmoins que ce point de vue tend à rapprocher le Québec d’une représentation au cœur de laquelle se trouve le dispositif constituant l’armature même du Canada mythique : la dualité. Mais si la dualité relève du mythe canadien, il n’est pas impossible qu’elle devienne éventuellement une réalité québécoise. N’y a-t-il pas là une certaine tentation (inconsciente ?) de faire du Québec un véritable Canada inversé ? Incarner le mythe canadien, telle serait notre destinée... Perspective lointaine et hypothétique, certes, mais on ne manquera pas de relever l’ironie de la chose.
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Multiculturalisme et dualité : il faut quand même admettre que nous ne sommes pas très éloignés du modèle canadien. Comment donc trouver notre propre voie ?
Sylvain Maréchal
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(1) Il va sans dire que l’utilisation répétée, à tout propos et sans effort, de mots comme « inclusion » ou « diversité » n’a pas d’autre effet que de les transformer en slogans creux.
(2) Consultez par exemple les liens suivants :
http://www.voir.ca/blogs/jose_legault/archive/2009/06/14/happy-saint-jean.aspx
http://www.cyberpresse.ca/opinions/chroniqueurs/yves-boisvert/200906/14/01-875594-une-fete-nationale-hein-.php
http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/national/200906/15/01-875621-les-politiciens-marchent-sur-des-oeufs.php
http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/national/200906/14/01-875501-lautre-st-jean-des-appuis-et-des-critiques.php
(3) Car dans le pire cas, elle pourrait bien n’être rien de plus qu’une autre occasion de fêter.
(4) Ou alors peut-être que ces personnes n’ont tout simplement pas encore pris bonne mesure du multiculturalisme...


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5 commentaires

  • Sylvain Maréchal Répondre

    21 juin 2009

    à monsieur Jean-François-le-Québécois
    La question n'est également ni complexe ni abstraite pour ceux qui croient que les groupes anglophones avaient été exclus injustement. Parmi ceux-ci ne se trouvent pas que des fédéralistes bornés. J'avais d'ailleurs été très surpris de voir le texte de Josée Legault, pour qui la controverse était «incroyable». Elle disait précisément ceci :
    «Si cette histoire absurde est véridique - car on croirait un canular, tellement c’est farfelu et anachronique - on a hâte de savoir c’est qui, ce présumé commanditaire incapable de comprendre que la Fête nationale est pour TOUS les Québécois.»
    Je parierais que de nombreuses personnes au Québec pensent exactement la même chose.
    Il y a certainement cette emprise médiatique des élites fédéralistes que vous soulevez. Mais il me semble un peu facile de prétendre que tous ceux qui se prononcent de cette manière ont les idées embrouillées les médias fédéralistes. Les souverainistes, les Québécois en général, peuvent malheureusement très bien s'embrouiller sans l'aide de La Presse (qui est bien entendu, en ce domaine, dans une classe à part !).

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    19 juin 2009

    Nous aurions des difficultés à nous définir, en tant que peuple ou nation? À mon humble abis, rien n'est moins sûr...
    Je crois pour ma part que ces questions n'ont rien de si complexe ni abstrait, au fond. C'est plutôt que les forces fédéralistes, qui contrôlent la plupart de nos médias de masse, font de la désinformation et présentent de nouveaux concepts inventés de toute pièce, et ce dans le but de brouiller les cartes. D'empêcher notre peuple de se fier simplement à son bon sens et carrément, à son instinct, quand vient pour lui le moment de se définir, de s'identifier, comme peuple ou nation.
    Est-il besoin de préciser à qui profite ce genre de brouillage des idées...?

  • Frédéric Picard Répondre

    18 juin 2009

    Ce qui me chicotte le plus dans notre fête nationale, c'est qu'on pervertit le mot national.Un peu comme un Québec qui inclut tout, y compris ceux qui lui veulent le maintenir sous le joug.
    Voit-on aux États-Unis les loyalistes britanniques célébrer côte à côte avec les patriotes américains? NON !!! C'est INDEPENDENCE DAY ! Voit-on des loyalistes nord-irlandais célébrer la St-Patrick? NON. C'est la fête nationale des Irlandais.
    La fête Nationale impose un cadre strictement national. Sinon, ça devient soit la St-Jean-Baptiste, ou la fête de tout ceux ayant des clés d'appartement ou de maisons sur territoire du Québec.
    Selon moi, les artistes, s'ils ne sont pas nationalistes, et ça inclus tous les vendus qui chanteront le 24 et au Canada day la semaine d'après, n'ont pas leur place à la fête nationale. Qu'ils soient Francophones, Anglophones, ou autres.

  • Archives de Vigile Répondre

    18 juin 2009

    La fête nationale du Québec et de la nation Québecoise est justement l'occasion d'intégration des 101 ethnies et langues qui constituent la nation Québecoise francophone.

    Le Québec constitue une nation francophone et non pas une nation à plusieurs langues ou même bilingue car alors le Québec deviendrait une Tour de Babel et cette situation partitionnerait un jour ou l'autre le territoire Québecois
    Les fédéralistes pro canadian nous imposent l'anglicisation et détruisent ainsi l'intégration de la minorité anglophone et de la centaine d'ethnies de l'immigration. Le but des fédéralistes conscient ou inconscient est de détruire la nation francophone Québecoise
    Le sens de la fête est justement l'intégration francisation de tous sans exceptions et ceci n'empèche pas ces cent et une ethnies d'utiliser leurs langues pour le commerce internationale de la nation francophone Québecoise
    Au Québec il y a une seule langue nationale est c'est le français et tous les citoyens du Québec doivent vivre en français et cesser de se laisser tromper par les fédéralistes qui viennent de voter à Ottawa pour nous imposer l'anglais de force en refusant de respecter la loi 101
    À noter que les anglophones et les ethnies participent déjà en français à notre fête nationale et que cette offensive pour angliciser notre fête nationale est encore une offensive propagandiste des médias fédéralistes destructeurs de la nation Québecoise
    Vive le Québec libre

  • Archives de Vigile Répondre

    18 juin 2009

    La solution est pourtant simple comme "bonjour". Il faut déplacer cette fête nationale civique inclusive ailleurs sur le calendrier. Le premier juillet serait excellent !
    Et laisser le 24 juin à la légitimité de la fête ethnique des Canadiens français, la St-Jean.
    L'intolérable dans cette histoire est la tentative de noyer la St-Jean.