Chacun a son image pour illustrer les bienfaits du déficit zéro. À l’époque où il était ministre des Finances, Bernard Landry parlait des « vallées verdoyantes » qui allaient succéder au désert de l’austérité. L’actuel président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, promet plutôt une agréable « croisière » quand le calme reviendra.
« C’est certain que le redressement fait des vagues, ce qui peut parfois donner le mal de mer à ceux qui naviguent à courte vue », a-t-il lancé vendredi devant les membres de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Pour le moment, la croisière ne s’amuse pas du tout. M. Coiteux peut toujours railler ceux qui ont l’estomac fragile, mais plusieurs commencent à s’inquiéter de l’état dans lequel le bateau va émerger de la tempête. Le drame du Costa Concordia, qui s’est fracassé sur les récifs de la côte italienne, a démontré les conséquences tragiques que peut entraîner l’ineptie d’un capitaine irresponsable.
Les résultats du dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir peuvent paraître paradoxaux. Prises une à une, les principales mesures mises en place par le gouvernement semblent avoir l’appui de la population, sauf les compressions dans les transferts aux municipalités, mais l’insatisfaction à l’endroit du gouvernement a bondi de 11 points en à peine un mois.
Il faut prendre avec circonspection des sondages portant sur des mesures dont personne n’a encore ressenti les effets. Vu l’encombrement des urgences ou la longueur des listes d’attente, il n’y a rien d’étonnant à ce que des gens pensent que le système de santé a besoin d’être réformé, mais souhaitent-ils pour autant une guerre avec les médecins ?
Comme chacun le sait, le diable se cache dans les détails. Sur papier, la diminution du nombre de commissions scolaires peut sembler une excellente idée, à la condition que cela n’ait aucun impact sur les élèves. Les parents verraient d’un très mauvais oeil que leurs enfants soient forcés de changer d’école, comme cela serait le cas de 75 % des élèves de la commission scolaire des Patriotes, en Montérégie.
Plus que tout, la population déteste le désordre. Et quand bien même un coup de barre pourrait lui sembler nécessaire, la paix sociale ne doit être compromise sous aucun prétexte. C’est une préoccupation de cet ordre que semble surtout traduire le sondage de Léger Marketing-Le Devoir.
Les cris d’indignation des centrales syndicales et la rhétorique guerrière sont une figure imposée à l’aube d’une nouvelle série de négociations dans le secteur public. Les 13,5 % d’augmentation sur trois ans que réclament les syndicats ne sont pas réalistes dans le contexte budgétaire actuel, mais des offres salariales totalisant 3 % en cinq ans, de même qu’un resserrement des conditions de retraite, ouvrent clairement la voie à un affrontement d’autant plus dur qu’il prend déjà une forte coloration idéologique.
Ceux qui trouvent la mer houleuse ont intérêt à s’accrocher, parce que le capitaine Coiteux ne donne aucun signe de vouloir réduire la voilure. Avec le recul, l’ancienne présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, qui était jadis présentée comme la quintessence du néo-libéralisme, prend presque des allures de mère Noël.
À tort ou à raison, les employés de l’État sont encore perçus comme des privilégiés par une grande partie de la population, qui ne risque pas de s’émouvoir beaucoup du fait que l’âge de leur retraite soit reporté de 60 à 62 ans. La plupart n’osent même pas en rêver.
Les propos de la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé, Régine Laurent, pourraient cependant inquiéter ceux qui se souviennent des mises à la retraite massives orchestrées par le gouvernement Bouchard à la fin des années 1990, dont le réseau de la santé a mis des années à se relever. Le Québec peut-il s’offrir le luxe d’un nouvel exode des infirmières ?
Autant il est recommandé de diviser pour mieux régner, autant il est malavisé de favoriser la coalition des mécontents. La liste de ceux que le gouvernement s’est mis à dos en à peine huit mois commence à être impressionnante : les employés municipaux, les usagers des garderies, les commissions scolaires, le monde municipal, les régions, les organismes communautaires, les médecins…
Alors que les libéraux accusent continuellement le PQ de semer la division au sein de la société québécoise avec son projet de souveraineté et ses politiques identitaires, il est remarquable de constater à quel point le gouvernement Couillard provoque lui-même une polarisation marquée : 72 % des francophones s’en disent insatisfaits, tandis que 55 % des non-francophones s’en disent au contraire satisfaits. C’est à croire qu’ils ne sont pas sur la même planète. Ou sur le même bateau.
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