La déclaration de guerre de Philippe Couillard

Santé - le pacte libéral



Quel hasard! Au lendemain même des élections, l'ex-ministre de la Santé du PLQ lance un vibrant plaidoyer en faveur d'une plus grande ouverture au secteur privé dans la santé: sans doute de la musique aux oreilles de M. Charest, désormais majoritaire à l'Assemblée nationale.
Ce gouvernement, hélas, a maintenant les coudées franches pour continuer d'aller de l'avant dans cette direction. Et l'intervention de M. Couillard doit être comprise pour ce qu'elle est: une véritable déclaration de guerre au réseau public de santé et aux citoyens et citoyennes que nous sommes.
Car ce monsieur, avec le même aplomb qu'on lui connaissait dans ses fonctions antérieures, continue de propager les mêmes mythes mensongers selon lesquels -- pour reprendre ses propos tenus devant l'Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux -- «l'ouverture au privé est décidément l'avenir du système de santé québécois». Martelés par de telles affirmations jamais démontrées, lavés par les arguments fallacieux des «think tanks» de la droite, tel l'Institut économique de Montréal, nos cerveaux sont devenus des territoires occupés par cette idée que les entrepreneurs privés en santé seraient devenus les sauveurs bienveillants d'un système public présumé en faillite, qu'ils seraient les seuls capables d'augmenter l'accessibilité, de réduire les listes d'attente, de diminuer les coûts et d'augmenter la qualité des soins.
Et de ramener à l'avant-scène le rapport Castonguay que M. Couillard avait prudemment relégué dans l'ombre en tant que ministre de la Santé... et dont il découvre maintenant les vertus en tant qu'homme d'affaires. Un exemple parmi d'autres: il nous revient avec les tickets modérateurs présumés «bons dans la mesure où ils permettent de financer le réseau et de modifier le comportement des gens». Cet argument a été maintes fois démoli, non par de vilains gauchistes, mais par l'Organisation mondiale de la santé, l'OCDE, le rapport Romanov, l'Avis du Conseil de la santé et du bien-être du Québec de l'époque, présidé par... un ancien sous-ministre de Robert Bourassa, le Dr Paul Lamarche.
Le Dr Couillard connaît parfaitement le terrain politique dans lequel il intervient désormais comme chantre des lobbys privés de la santé: il est l'architecte de la loi 33 qui légitime le recours aux assurances privées duplicatives pour des interventions déjà pratiquées dans le réseau public; il s'est fait le promoteur de la multiplication des cliniques privées spécialisées, du recours à la sous-traitance et aux partenariats public-privé, dont son gouvernement a sciemment tu les effets désastreux dans les pays où on les a déjà utilisés.
La juriste et spécialiste de ces questions, Marie-Claude Prémont, rappelait récemment que tout l'appareillage juridique, réglementaire et administratif est actuellement en place pour ouvrir une porte encore plus grande au privé dans la santé. Faut-il rappeler que notre système est déjà privatisé à hauteur de 30 %! Triste héritage de M. Couillard qui nous affirmait, la main sur le coeur, lors de la commission parlementaire sur son livre blanc, que, s'il était favorable à cette ouverture, c'était pour protéger le public!
Le Québec est maintenant devenu la province canadienne où la privatisation est la plus avancée, devenant le «maillon faible» de la Loi canadienne sur la santé et donnant des munitions aux conservateurs de M. Harper pour s'en débarrasser à plus ou moins long terme.
Pourquoi interdire à certains citoyens de profiter des soins de santé s'ils payent? nous demande M. Couillard. Voilà en effet le fond de la question. Proposer une telle avenue relève d'abord de l'irresponsabilité politique et d'un manque de rigueur sur le plan économique, car le Dr Couillard en connaît très bien les conséquences: système parallèle public/privé à deux vitesses, désengagement des médecins du système public et migration vers le privé, dépendance à l'égard des compagnies d'assurances, dont il est impossible de contrôler les coûts exponentiels, et donc augmentation des coûts globaux pour la population, diminution de la qualité des soins, accroissement des inégalités en santé, etc. Il sait aussi très bien qu'il existe des solutions publiques aux problèmes du système de santé québécois: sous la direction du Dr Simon Turcotte, les médecins pour un régime public n'ont pas cessé de proposer de telles solutions. Quand le gouvernement les écoutera-t-il?
Permettre l'accès aux soins en fonction de la hauteur du portefeuille des gens, c'est opérer un formidable retour en arrière et revenir à cette époque pas si lointaine où nos parents devaient se ruiner pour se munir d'assurances privées et où la maladie constituait la principale cause d'endettement des familles québécoises. Pis encore, c'est assujettir le droit à la santé au pouvoir des marchands, dont les valeurs d'égalité devant la maladie et de solidarité des uns envers les autres constituent le dernier de leurs soucis. La crise financière qui nous décime saura-t-elle nous libérer de cette sacralisation du libre marché dans tous les secteurs de la vie et surtout en santé, en éducation et en culture?
Pourquoi se laisser impressionner par l'incantation du Dr Couillard en faveur de la privatisation de notre système de santé, au moment même où le nouveau président des États-Unis s'apprête à faire le chemin inverse et à tenter, même timidement, de sortir son pays des affres de la médecine privée? Le Center for Studying Health System Change rappelait d'ailleurs durant la campagne électorale américaine que «près d'une famille américaine sur cinq avait eu du mal à payer ses factures médicales l'année dernière, soit 57 millions d'Américains, dont la grande majorité bénéficie pourtant d'une police d'assurance. Plus de la moitié de ces familles ont dû faire un emprunt pour payer leurs soins de santé; prise à la gorge, une minorité non négligeable a envisagé de faire faillite». Voulons-nous vraiment nous précipiter dans cette direction?
M. Couillard dit avoir quitté la politique pour «s'engager dans les débats d'idées, dont celui de l'avenir des systèmes de santé». Alors, que le combat d'idées commence vraiment! Pourquoi pas une forme de BAPE en santé à la place des traditionnelles commissions Clair, Ménard et Castonguay, qui ont toutes, chacune à leur façon, ouvert la voie au privé en santé?
La population doit avoir en mains toutes les informations lui permettant de se faire une opinion éclairée sur l'orientation à prendre compte tenu des répercussions énormes sur notre présent et sur les générations futures. Mais ne nous y trompons pas: seule une puissante mobilisation des citoyens et citoyennes permettra de «tenir la bride» au gouvernement de M. Charest dans sa marche vers la privatisation accrue de notre système de santé et de services sociaux et de tourner les projecteurs vers la recherche et la mise en oeuvre de solutions publiques.
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Lorraine Guay, Infirmière à l'Institut de réadaptation Gingras-Lindsay


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