La déclaration de revenus unique faciliterait l’évasion fiscale, selon Ottawa

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Le Canada a facilité l'évasion fiscale, il craint que le Québec y mette fin


La déclaration de revenus unique gérée par le Québec que réclame François Legault nuirait à la lutte contre l’évasion fiscale, plaide Ottawa. Selon le gouvernement de Justin Trudeau, une province ne peut pas mener la lutte aussi efficacement que le fédéral parce qu’elle n’a pas accès aux renseignements financiers provenant de l’étranger. Si plusieurs des fiscalistes contactés par Le Devoir jugent cet obstacle surmontable, ils reconnaissent que cela compliquera beaucoup les choses.


« Seuls les pays souverains peuvent ratifier les traités internationaux. Le Canada est l’autorité qui ratifie les conventions fiscales », rappelle au Devoir une source bien informée au gouvernement libéral qui ne veut pas être citée nommément afin de parler plus librement. C’est en vertu de ces accords que le Canada peut réclamer des renseignements à propos de ses ressortissants ayant des avoirs à l’étranger.


Le Canada a signé 30 accords d’échange de renseignements, dont 24 sont déjà en vigueur, ainsi que 93 conventions fiscales. Seuls trois de ces traités — avec les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne — permettent explicitement au Canada de transmettre aux provinces les informations reçues.


À l’heure actuelle, c’est l’Agence du revenu du Canada (ARC) qui mène les vérifications concernant les avoirs situés à l’étranger. Si l’ARC envoie un avis de cotisation au contribuable, elle en avertit sa province de résidence. Celle-ci établit alors son propre avis de cotisation en fonction des données fournies par Ottawa. Le Québec ne mène à peu près pas de vérification indépendante à l’étranger.


Selon Lyne Latulippe, chercheuse à la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, l’obstacle cité par Ottawa n’est pas insurmontable. « Des conventions permettent de partager l’information reçue par le Canada aux autorités qui sont responsables de l’établissement, de la perception ou du recouvrement des impôts du Canada », indique-t-elle au Devoir. « Si le Québec devient le percepteur de l’impôt fédéral, alors il pourrait d’emblée devenir un destinataire légitime de l’information internationale. »


Sa collègue Marie-Thérèse Dugas, professeure de fiscalité à la même université, abonde dans son sens, quoiqu’en ajoutant que certaines conventions ne pourront probablement pas être interprétées de cette manière.


Notre source fédérale, elle, pense qu’il n’est pas « si clair que ce partage est possible ». « Ce qu’on désigne comme “l’autorité compétente en matière d’impôt” n’est pas définie en termes clairs dans les traités, note-t-elle. On ne peut pas présumer que “l’autorité compétente” telle qu’elle est édictée dans ces conventions inclurait nécessairement le Québec. Les parties se sont entendues sur une définition. »


Mise en oeuvre difficile


Même si ces enjeux étaient réglés, la question de l’opérabilité se poserait encore, reconnaissent toutes les personnes interrogées. En effet, si certains renseignements internationaux sont envoyés à l’ARC de manière automatique (en vertu de la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale à laquelle participent 126 pays, par exemple), la plupart sont obtenus à la suite d’une demande. Or, seule l’ARC peut faire de telles demandes, déclaration de revenus unique ou pas.


Il faudrait donc que le Québec, lorsqu’il soupçonne de l’évasion fiscale, demande à l’ARC de réclamer pour lui les informations à ses partenaires internationaux. Dans les cas où le traité n’autorise pas le partage de renseignements avec une province, il faudrait que Revenu Québec transfère tout le dossier du contribuable ou de la société à l’ARC pour qu’elle prenne le relais de la vérification.



Les provinces n’ont pas de portée extraterritoriale, elles ne peuvent pas agir. Oui, le fédéral pourrait fournir l’information à la province, mais ensuite, on fait quoi?




« Il pourrait y avoir une complexité additionnelle dans le processus », admet Mme Latulippe, qui estime toutefois que cela ne constitue pas « un obstacle majeur ». Mme Dugas, pour sa part, ne pense pas qu’il y aura une « perte d’efficacité ou de simplicité » à cause de ces transferts. Jean-Pierre Vidal, professeur à HEC Montréal spécialisé en fiscalité internationale, ne partage pas nécessairement cet optimisme. « Je ne suis pas sûr que le fédéral et le Québec s’aideraient tant que ça. »


De la même manière, Québec devrait s’adresser à Ottawa pour découvrir si un de ses contribuables détient des avoirs non déclarés dans une autre province canadienne. Dans l’affirmative, il devrait demander à l’ARC de récupérer pour lui les sommes dues.


« Les provinces n’ont pas de portée extraterritoriale, elles ne peuvent pas agir », insiste la source fédérale. « Oui, le fédéral pourrait fournir l’information à la province, mais ensuite, on fait quoi ? Comment aller chercher l’argent ? C’est nous qui faisons cela. Le Québec veut une autonomie complète sur l’information, mais ensuite elle veut notre autorité pour aller chercher l’argent à sa place. »


Dédoublement en vue


M. Vidal craint qu’à cause de cette dimension internationale, la déclaration de revenus unique mène paradoxalement à des dédoublements. Le Québec, soutient-il, n’est pas outillé pour faire de l’enquête sur l’évasion fiscale internationale. « Ils en sont encore à acquérir les compétences de base à l’international. » Revenu Québec devra se doter de toute une infrastructure informatique pour gérer les renseignements internationaux et d’équipes pour mener les vérifications.


« Il y aura un dédoublement énorme parce que le fédéral va le faire de toute façon [pour les neuf autres provinces], dit M. Vidal. Du point de vue international, ce serait beaucoup plus logique que ce soit juste une déclaration envoyée au fédéral plutôt que juste une déclaration au provincial. »


Mme Latulippe non plus n’est pas certaine qu’il y aura des gains d’efficacité à ce chapitre. Elle rappelle qu’à l’heure actuelle, le fait que l’ARC mène les vérifications à l’étranger permet à Revenu Québec de procéder à d’autres vérifications, différentes. « Je ne suis pas certaine qu’on gagnerait à avoir juste une seule administration. »




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