(Québec) Voici l'intégrale de l'entretien accordé au Soleil par Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU et invité spécial du Sommet de la Francophonie, qui s'ouvre ce matin à Québec. Ban Ki-moon a répondu aux questions de Michel Corbeil par courriel.
Q Quelle est l'importance et la place du français dans le monde au moment où s'ouvre le Sommet de la Francophonie à Québec?
R Laissez-moi d'abord vous dire à quel point je suis heureux de participer à ce XIIe Sommet de la Francophonie ici à Québec, que je visite d'ailleurs pour la toute première fois. Et après plus d'un an de cours de français intensifs, je suis fier de m'estimer un membre de cette grande famille francophone, qui compte plus de 200 millions de personnes.
Mais l'importance du français ne se mesure pas seulement en statistiques. Je tiens d'emblée à signaler à vos lecteurs que le français est, avec l'anglais, l'une de nos deux langues de travail aux Nations unies, en plus d'être l'une de nos six langues officielles. Mais la Francophonie n'est pas seulement un espace linguistique ou culturel. Elle est aussi un espace politique. Je vous signale que les États membres de l'Organisation internationale de la Francophonie représentent près d'un tiers des États membres de l'ONU. La Francophonie est aussi une tribune de débats sur les grands sujets du moment, de la crise financière mondiale à la résolution des conflits et aux droits de l'homme, des Objectifs du Millénaire pour le développement<$> aux changements climatiques. Les thèmes adoptés pour ce XIIe Sommet sont d'ailleurs indicatifs de nos préoccupations communes : démocratie, État de droit, gouvernance et environnement... Et ici une langue et une culture, communes à plus de 55 pays, constituent le ciment d'une solidarité économique plus que jamais nécessaire dans la crise que traversent actuellement les pays industrialisés aussi bien que les pays les plus pauvres.
Q Québec a accueilli l'événement une première fois, en 1987. Depuis, l'usage du français a régressé dans le monde et le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, Abdou Diouf, a même parlé d'un «combat de tous les jours» que doivent mener les ambassadeurs francophones au sein même de l'ONU. Doit-on tirer un constat d'échec des efforts pour promouvoir l'usage de la langue?
R Le secrétaire général Diouf et moi-même avons évoqué la question du respect du plurilinguisme au sein du système des Nations unies lors de notre dernière rencontre. L'Organisation des Nations unies, comme vous le savez, milite et travaille assidûment pour l'émergence d'une mondialisation plus équitable qui soit, entre autres, respectueuse de la diversité culturelle et linguistique. D'ailleurs, une résolution de l'Assemblée générale, adoptée à l'unanimité il y a exactement deux ans, concrétise l'engagement des Nations unies à travailler étroitement avec la Francophonie, y compris dans la promotion des valeurs chères à nos deux organisations. Bien entendu, un tel engagement auprès de la Francophonie, dont l'un des combats majeurs est le respect du plurilinguisme à l'ONU, illustre bien le désir très ferme de l'ONU de maintenir et de promouvoir l'usage du français au sein de son secrétariat, dans ses organes, ses agences et programmes. Cette même résolution se félicite d'ailleurs du rôle positif de la Francophonie dans le renforcement des effectifs francophones de nos opérations de maintien de la paix à travers le monde.
Q Ce XIIe Sommet de la Francophonie peut-il donner un nouvel élan à cette organisation?
R Certainement. Nous sommes à une croisée des chemins où nous confrontons des problèmes qui ne connaissent pas de frontières, de la crise économique aux changements climatiques. Nous devons relever des défis qui nécessitent des réponses globales. Les organisations internationales et régionales ont des rôles de plus en plus importants à jouer, dans un monde de plus en plus complexe et interdépendant. Et ce XIIe Sommet permettra certainement aux membres de l'Organisation internationale de la Francophonie de mieux réfléchir à ce rôle de plus en plus vital à jouer. Pour les Nations unies, la Francophonie est un partenaire efficace et idéal. Nous partageons des valeurs communes, parmi lesquelles la paix, le développement et les droits de l'homme. Nous sommes satisfaits de l'état de nos relations avec la Francophonie et de son rôle dans la coopération multilatérale. Cela dit, il est vrai que les défis auxquels nous faisons face changent constamment, et avec eux les priorités des gouvernements. Je tiens donc à rappeler aux leaders, aux parlementaires et aux médias de la grande famille francophone qu'il nous faut rester vigilants. Il ne faut pas perdre de vue cette lutte commune que nous menons ensemble pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement<$>, pour réduire la pauvreté et combattre les ravages des épidémies telles que le sida. Je suis heureux de voir que la solidarité économique sera l'un des thèmes débattus à ce sommet.
Q Lui voyez-vous un avenir dans le nécessaire dialogue Nord/Sud?
R Absolument. Il me semble que la Francophonie est bien avant beaucoup d'autres choses un lieu de dialogue et de concertation entre le Nord et le Sud. Elle est aussi particulièrement originale dans son ouverture aux autres langues et aux autres cultures. Ne réunit-elle pas des pays «ayant le français en partage», des pays avec des langues officielles autres que le français? Ceci est très important. Il dénote l'esprit d'ouverture sur le monde de cette organisation, son sens affûté de la coopération multilatérale. Je suis fier de partager avec la Francophonie la précieuse conviction que ce qui nous unit est plus fort que nos divisions et notre combat est le même sur le plan culturel bien évidemment, mais également dans une optique harmonisant les échanges entre les pays dans les domaines de l'économie, la résolution des conflits, le développement des peuples et la protection de notre planète Terre.
Q La Francophonie comme instrument au service de l'ONU? Peut-elle aider au maintien de la paix dans le monde?
R La Francophonie est déjà l'un de nos plus grands partenaires dans le maintien de la paix. La résolution de l'Assemblée générale d'octobre 2006 porte précieusement sur la coopération entre l'ONU et la Francophonie dans plusieurs domaines, y compris le maintien de la paix. Une relation approfondie de travail sur le terrain s'était instaurée entre la Francophonie et le Département des opérations de maintien de la paix bien avant l'adoption de cette résolution par l'Assemblée générale. Depuis, elle s'est améliorée et approfondie. J'espère que le Sommet de Québec nous permettra de renforcer le partenariat entre les Nations unies et la Francophonie.
Q Un des thèmes du Sommet de Québec porte sur les changements climatiques. Quelle est la pertinence de discuter environnement à un tel forum?
R Un débat sur les changements climatiques est parfaitement indiqué à un tel forum, parce que la Francophonie est bien plus grande, plus complexe et plus significative qu'une simple tribune culturelle. Les changements climatiques sont une menace très sérieuse au bien-être de tous, aussi bien dans les pays riches que dans les régions en voie de développement. Nous avons fait de solides progrès depuis la conférence de Bali. Mais le temps presse, et il nous faut négocier une réponse commune d'ici la fin de 2009. Nous avons besoin de propositions concrètes et ciblées pour continuer à dynamiser la volonté politique des gouvernements et élaborer les plans d'action nous permettant de respecter les délais établis à Bali. Nous devons aussi clarifier les règles et les moyens à la disposition des pays industrialisés pour atteindre les objectifs de réduction des émissions. Cela devrait se faire à l'expiration de la première phase du Protocole de Kyoto. Ceci sera l'un des sujets à l'ordre du jour de la prochaine réunion à Poznan, en Pologne, en décembre.
Q Voyez-vous le Québec, îlot francophone dans la mer anglophone de l'Amérique du Nord, comme un des lieux d'une nécessaire résistance pour le maintien du français?
R La tenue de ce sommet à Québec constitue un symbole très fort puisqu'il coïncide avec le 400e anniversaire de la ville de Québec, ce fleuron de la langue française dans les Amériques. Aux Nations unies, nous célébrons et travaillons pour la sauvegarde de la diversité culturelle. En 2005, nous avons lancé l'Alliance des civilisations, qui est un projet visant à améliorer l'entente et la coopération entre les nations et les peuples par le biais d'un engagement et d'un débat culturel actif. Cela, nous l'espérons, devrait pouvoir nous aider à faire face aux démons de l'extrémisme identitaire et religieux. Il devrait aussi nous permettre de protéger les identités locales dans un monde de plus en plus intégré. Mais tout cela devra se réaliser dans un esprit de coopération, de bon voisinage et de tolérance, car nos différences nous permettent d'apprécier davantage ce qui nous unit.
Q L'anglais est-il une menace sans le savoir pour les autres langues? L'anglais n'est-il pas l'espéranto des temps modernes?
R Nous sommes à Québec pour célébrer la langue française, l'espace culturel francophone et son ouverture grandissante sur le monde, avec tout ce que cela implique en matière économique, d'aide au développement et dans la lutte contre la pauvreté dans un monde de tolérance et de coopération. Si vous le permettez, je répondrai à votre question sur l'espéranto autour du Sommet de l'espéranto!
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