Ottawa — La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a compilé un dossier secret sur René Lévesque, dès l’époque où il parcourait le monde comme journaliste dans les années 1940 et pendant toute sa turbulente carrière politique et son ascension au poste de premier ministre du Québec dans les années 1970.
D’après un document nouvellement rendu disponible sur le politicien charismatique, les agents de la GRC le soupçonnaient d’être un élément subversif au profit de la gauche politique pendant qu’il était journaliste pour la Société Radio-Canada. Ils ont noté son opposition à la guerre du Vietnam et ont étroitement surveillé sa transformation en icône du mouvement souverainiste.
À la fin juin 1980, peu après la défaite de M. Lévesque au référendum sur la souveraineté du Québec, un agent de la GRC a recommandé qu’on continue à garder un œil sur ses activités en raison du poste-clé qu’il occupait à ce moment dans l’histoire canadienne.
Le dossier de 2520 pages a été obtenu hier par La Presse canadienne auprès de Bibliothèque et Archives Canada, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. De nombreux passages et des centaines de pages complètes du document ont été gardés secrets. Les dossiers personnels compilés par la GRC et le service de renseignement peuvent être rendus publics 20 ans après le décès des personnes sur qui ils portent. René Lévesque, un fumeur invétéré, est mort d’une crise cardiaque à l’âge de 65 ans, en novembre 1987.
De volumineux dossiers de la GRC sur d’autres politiciens, comme les pionniers du Nouveau Parti démocratique David Lewis et Tommy Douglas, ont aussi été rendus publics ces dernières années.
Dès 1972, les agents de la GRC avaient estimé que M. Lévesque n’était «pas considéré comme un révolutionnaire subversif. Il [était] un fervent nationaliste québécois en faveur de la séparation de la province par le biais de moyens pacifiques et démocratiques».
Malgré tout, la GRC a continué à amasser des centaines de pages de rapports secrets sur le politicien et principal adversaire de Pierre Elliott Trudeau, premier ministre canadien dans les années 1970 qui menait la charge contre les souverainistes.
Né à Campbellton, au Nouveau-Brunswick, mais ayant grandi au Québec, René Lévesque semble avoir piqué la curiosité des agents de sécurité de la GRC en raison de son rôle comme correspondant suivant les militaires américains pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Après la guerre, M. Lévesque fut engagé à Radio-Canada International pour ensuite devenir l’un des journalistes le plus en vue du service d’information de la télévision d’État. En décembre 1955, la GRC a rédigé une note de service sur un reportage de René Lévesque à propos d’un voyage du premier ministre Lester Pearson en Union soviétique.
M. Lévesque semble ensuite avoir été une cible de la chasse de la GRC contre les éléments radicaux au sein de Radio-Canada, tel que rapporté dans une note de 1958 intitulée «SRC Montréal — Collaboration de fonctionnaires avec des communistes connus».
Son entrée sur la scène politique en 1960, comme député libéral à l’Assemblée nationale, n’a pas amoindri l’intérêt de la GRC à son égard. Une note de septembre 1967 recommande que son dossier soit classé «top secret». M. Lévesque entretient alors un «flirt» avec les souverainistes, mais «jusqu’à maintenant il ne s’est pas engagé», indique la note, avant d’ajouter: «En raison d’autres aspects de son dossier, il est difficile de saisir ses motivations.»
Le Service de sécurité de la GRC avait alors commencé à compiler des informations sur le mouvement souverainiste et les membres les plus extrémistes du Front de libération du Québec.
René Lévesque, qui préconisait les méthodes pacifiques, a été suivi par un agent de la GRC lors d’une manifestation politique en avril 1968 à Québec. L’espion avait dûment noté la réflexion de M. Lévesque à propos de la présence de la GRC dans la province, dont il estimait que «le principal but [était] de monter des dossiers sur des personnes comme lui».
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