Je n'ai rien contre les patrons qui font beaucoup d'argent. Si leur rémunération est méritée, tant mieux pour eux. J'en ai toutefois contre la définition du mérite.
Le mérite d'un chirurgien cardiaque qui sauve des vies fait peu de doute. Celui d'un entrepreneur qui a hypothéqué sa maison, sa chemise et sa santé pour bâtir une belle entreprise non plus.
Le mérite est toutefois plus difficile à évaluer pour un gestionnaire, qui n'a pas risqué ses propres fonds pour gagner sa paye. On s'en remet alors à la rareté relative des candidats, à la complexité de l'organisation et à des critères de rendement précis. Sa rémunération récompensera son flair, sa résistance plus grande au stress, sa capacité de mobiliser les employés et, surtout, ses succès vis-à-vis de la concurrence.
Ces principes m'amènent à vous parler des émoluments de la présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins, Monique Leroux. En 2012, Mme Leroux a touché une rémunération de 3,3 millions de dollars, soit le double d'il y a quatre ans. Cette rémunération fait dire à Yves Michaud, le «Robin des Banques», que «le fondateur de Desjardins doit frétiller dans sa tombe».
Faire 3,3 millions par année, c'est effectivement beaucoup, mais est-ce trop?
Jeudi dernier, le Mouvement Desjardins a publié sa notice annuelle à ce sujet. Le document explique en 25 pages comment la PDG, les cadres et les employés sont rémunérés.
Première remarque: la politique de rémunération de Desjardins n'a pas été faite sur le coin d'une table. On y explique en long et en large les critères qui ont servi à établir les salaires des employés et surtout des cadres supérieurs. Le document est détaillé et transparent.
Desjardins dit vouloir offrir une rémunération suffisamment concurrentielle pour attirer et retenir des cadres, leur donner des primes s'ils améliorent la performance de leur unité à court et à long terme, tout en respectant les valeurs coopératives du Mouvement.
Les primes sont fixées par un comité indépendant selon l'atteinte d'objectifs de rentabilité, de productivité et de satisfaction de la clientèle, notamment. L'atteinte ou non des objectifs est évaluée par chacun des 21 membres du conseil d'administration de Desjardins au cours d'un scrutin secret.
Pour chaque type de poste, une firme externe a comparé le salaire médian de Desjardins à celui de 70 autres entreprises du secteur financier au Canada. En plus d'une dizaine de banques, on y trouve des compagnies d'assurances, des caisses de retraite et des gestionnaires de fonds.
Résultat: les cadres intermédiaires et supérieurs de Desjardins gagnent moins qu'ailleurs (voir tableau), mais cette rémunération demeure à l'intérieur des cibles fixées par le comité de Desjardins. Par exemple, les cadres supérieurs gagnent 83% de la médiane canadienne comparable, et Desjardins s'est fixé un objectif de 85%.
Seule la PDG, Monique Leroux, est en bas de la cible. Sa rémunération de 3,3 millions équivaut à 62% de la médiane des postes semblables du secteur financier au Canada et la cible de Desjardins est de 75%. Sa rémunération équivaut par ailleurs à 30% de celle des PDG de grandes banques canadiennes.
La politique de Desjardins est détaillée, mais elle recèle néanmoins quatre problèmes. D'abord, les banques exercent une grande influence sur la rémunération du secteur financier. Or, la rémunération des banquiers est beaucoup trop imposante, compte tenu du risque de leur industrie.
Bon an, mal an, le rendement de l'avoir des banques varie de 13 à 20%. Pour y parvenir, nul besoin de faire des miracles: la concurrence bancaire est faible au Canada, et une grande part des profits vient des frais fixes aux guichets automatiques.
Autre problème: Desjardins verse des primes selon l'atteinte de certains critères financiers, mais ces critères sont fixés dans l'absolu, sans comparaison relative avec la performance des concurrents. Or, quand l'économie croît fortement, tout le secteur financier en profite, et les dirigeants n'ont pas nécessairement de mérite. Il faudrait donc voir si la croissance de Desjardins est plus grande qu'ailleurs.
La direction de Desjardins invoque qu'on ne peut comparer son rendement à celui des banques, dont la mission est différente. Par exemple, le tiers des points de service de Desjardins est situé dans des secteurs à faible densité de population comparativement à 2% pour les banques. Il reste que Desjardins fixe le salaire de ses cadres supérieurs en se comparant au secteur financier. Elle devrait donc en tenir compte dans ses critères de rendements.
Troisième problème: la notice soutient que Monique Leroux et les autres cadres ont dépassé leurs objectifs en 2012, mais elle ne précise pas comment.
Quatrième aspect: le volet coopératif du Mouvement n'a qu'une influence marginale sur la rémunération des six premiers vice-présidents. Seule la PDG, Monique Leroux, est récompensée si la coopération prend de l'ampleur.
Malgré tout, la politique de rémunération de Desjardins, bien qu'imparfaite, apparaît juste et concurrentielle.
Certes, Michaud et bien des observateurs tiquent quand ils voient un tel salaire pour une coopérative. Néanmoins, qu'ils sachent que la rémunération de Monique Leroux est pratiquement équivalente (98%) à celle des présidents de 24 groupes financiers coopératifs dans le monde, un groupe au sein duquel Desjardins se classe cinquième, avec 200 milliards d'actifs.
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Rémunération chez Desjardins par rapport à ses pairs (en pourcentage du salaire médian du marché financier canadien)
2012 / Objectif à long terme
Employés non cadres: 106% / 100%
Cadres de 1er niveau: 101% / 100%
Cadres intermédiaires: 93% / 95%
Cadres supérieurs: 83% / 85%
Présidente: 62% / 75%
Source: Notice annuelle, Mouvement Desjardins
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