Des entreprises dont les communications se font en anglais et dont les dirigeants francophones discutent en anglais avec des analystes financiers tout aussi francophones... Ma parole, on se croirait en France!
On a beau savoir que l'anglais est la langue de l'argent, le constat fait par les collègues de La Presse est franchement choquant. Il va de soi qu'une entreprise qui fait affaire avec des investisseurs et des clients étrangers doit être en mesure de communiquer avec eux. Il y a cependant des limites au reniement de soi.
Même chez Bombardier Transport, ce fleuron de la «société distincte», personne ne semble trouver anormal que le responsable des communications pour l'ensemble de l'Amérique du Nord, y compris le Québec, soit un unilingue anglophone.
«Au Québec, si un journaliste veut me parler et qu'il est à l'aise en anglais, c'est merveilleux. S'il préfère fonctionner en français, nous avons quelqu'un qui peut s'occuper de ça», a expliqué David Slack. Lui-même ne parle pas cette langue exotique. Il laisse à d'autres le soin de «s'occuper de ça».
C'est la même histoire chez Mega Brands, dont le vice-président médias et communications corporatives, Harold Chizick, reconnaît lui-même parler un français «comme ci, comme ça» et s'empresse de passer à l'anglais.
Trente ans après l'adoption de la Charte de la langue française, on pouvait croire que l'époque du boss unilingue anglais qui laisse à ses larbins le soin de palabrer avec les indigènes était révolue.
Il ne s'agit pas de demander à Bombardier d'imposer le français à ses clients internationaux, mais simplement d'avoir un minimum de respect pour la société qui l'a vue naître et qui a fortement contribué à son succès.
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Le secrétaire général de la FTQ, René Roy, se désolait récemment de constater que la francisation des entreprises québécoises fait du surplace depuis la fin des années 1990. Il avait fait exactement le même constat il y a deux ans.
Il ne parlait évidemment pas de la langue des vice-présidents aux communications ou des conseils d'administration. Même si plus de 80 % des entreprises soumises aux dispositions de la Charte détiennent un certificat de francisation, l'anglais demeure omniprésent dans le quotidien des travailleurs.
M. Roy a attribué cette situation à deux facteurs: la mondialisation des entreprises, dont les propriétaires ont l'habitude de travailler en anglais, peu importe où ils se trouvent, et l'augmentation du nombre d'immigrants sans que les ressources consacrées à la francisation augmentent dans les mêmes proportions.
Certains estiment que la crise actuelle sonnera le glas de la mondialisation, mais il est clair que le haut degré d'intégration de l'économie nord-américaine jouera toujours en faveur de l'anglais. D'autant plus que la politique de bilinguisme officiel du gouvernement fédéral annule en partie les effets de la Charte québécoise.
L'automne dernier, la FTQ s'était elle-même opposée au renforcement de la Charte que proposait le PQ. Pourtant, l'extension des mesures de francisation aux entreprises de moins de 50 employés, qui emploient une forte proportion d'immigrants, ne pourrait que contribuer à leur intégration linguistique.
Selon une étude de l'Office québécois de la langue française (OQLF) rendue publique l'automne dernier, le tiers des commerces et des petites entreprises de Montréal emploie du personnel qui ne possède pas une connaissance fonctionnelle du français.
Autrement dit, qu'il s'agisse d'une multinationale qui doit négocier avec la planète entière ou d'une binerie aux limites de la rentabilité, il y a toujours une bonne raison de ne pas imposer le français. À plus forte raison en période de récession.
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Dans un environnement aussi peu favorable, il devient impératif que l'exemple vienne d'en haut. À partir du moment où la direction d'une entreprise envoie le message que la francisation est une simple tracasserie administrative dont il faut s'accommoder au moindre coût possible, les résultats ne peuvent être que médiocres.
Bien entendu, les porte-parole du gouvernement Charest vont se défendre avec la dernière énergie de faire preuve de laxisme, même si la Charte de la langue française stipule que toute entreprise de 50 employés et plus doit démontrer que «l'utilisation du français est généralisée à tous les niveaux».
Malgré la Charte, les entreprises ne doivent pas sentir une pression démesurée de l'État. Sur les 5845 entreprises qui doivent rendre compte à l'OQLF, seulement 32 figurent sur la «liste noire» des délinquants qui n'ont pas droit aux contrats publics.
L'an dernier, Le Devoir avait révélé qu'à l'encontre des dispositions sur la langue de l'administration, les entreprises avaient tout le loisir de s'adresser en anglais aux divers ministères et organismes gouvernementaux.
Certes, il n'y a pas que le bâton. La carotte a aussi ses mérites. Pourtant, quand on en arrive au point où il faut décerner des prix aux entreprises qui acceptent de travailler dans la langue parlée par plus de 80 % de la population, quelque chose ne va pas.
mdavid@ledevoir.com
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