Les textes de cette page sont extraits du livre «Post-scriptum» (info@videographe.qc.ca), signé René-Daniel Dubois et publié récemment (Dramaturges Éditeurs, 2007) dans un coffret comprenant deux DVD sur l'oeuvre et la démarche du dramaturge et pamphlétaire.
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Depuis quatre ou cinq ans, je me fais privément sermonner au moins sept ou huit fois par année par des gens - des jeunes, surtout - qui s'échinent à me convaincre de ce que «Ben voyons donc! Tout ça, c'est fini!»: «Tout ça» étant bien entendu censé signifier, ici, «le nationalisme». Ah bon! Oui, oui, oui, ce n'est plus qu'une question de quelques années et twinkle nous en serons débarrassés.
Pourquoi donc finirait-il? Parce que, à ce qu'il paraît, les jeunes seraient rendus «beaucoup plus loin que ça» - phénomène qui impliquerait, je n'ai jamais très bien compris le raisonnement, une espèce de génération spontanée. Où donc sont-ils rendus, les jeunes? Ça, ce n'est jamais précisé, mais loin, en tout cas. Et, bien entendu, comme dans toutes les questions touchant directement ou pas au nationalisme, oser mettre cette affirmation en doute, c'est se faire immédiatement accuser de vouloir injurier toute une génération. (...)
Tant que les mécanismes du nationalisme intégral québécois n'auront pas été ouvertement démontrés et leur fonctionnement compris, le nationalisme ne peut pas mourir. Tout ce qu'il peut faire, c'est de continuer ce qu'il fait déjà: régner en termes absolus et sans conteste, quelle que soit la forme transitoire qu'il lui convient pour l'instant de revêtir. Encore une fois ce qui intervient ici pour bloquer la réflexion, c'est la fausse idée que l'on se fait de ce que serait le nationalisme. Non, le nationalisme n'a pas, pas du tout, pour but la préservation d'une culture populaire - ou d'une langue -, ni le bien-être des citoyens habitant une société donnée - ça, ce ne sont que ses prétextes.
Le nationalisme n'est pas une idéologie, c'est une rhétorique: ce n'est pas un biscuit, mais la manière de le mettre en marché - le fait d'en changer l'emballage ne l'affecte en rien. Le nationalisme, c'est une manière de maintenir sur la place publique une et une seule vision de ce que peut être la vie en commun: celle dans laquelle, par le recours à la notion de menace permanente, la population est sommée d'obéir à des élites qui, du fait de la gravité de la situation telle qu'elles la décrivent elles-mêmes puisqu'elles sont les seules à avoir le droit de parler, n'ont aucun compte sérieux à rendre. Le nationalisme, c'est le contraire de la démocratie: c'est opposer aux droits de l'homme le devoir d'assurer la survie de l'ensemble dans des termes qu'il est interdit de discuter.
Ainsi donc, le nationalisme québécois ne peut pas disparaître tant et aussi longtemps que la définition de la société québécoise ne changera pas. Tant et aussi longtemps que le Québec ne se définira pas autrement que par la poursuite de la tâche sacrée de maintenir vivante - ou apparemment vivante - une langue menacée (ou un de ses substituts: la foi ou l'indépendance), ce sera, sous quelque forme que ce soit, le nationalisme qui se trouvera au coeur de la vie collective et individuelle. Or ce nationalisme a nécessairement un effet direct sur la viabilité du projet dont il prétend faire la promotion: il est lui-même la pire menace imaginable qui puisse planer sur lui.
Pourquoi? Parce que, se définissant lui-même comme étant essentiellement «défensif», il a nécessairement besoin pour se maintenir que la menace perdure et même, à l'occasion, s'amplifie. C'est la condition essentielle à son règne. Le nationalisme ne peut pas constituer une manière de résoudre les problèmes, il est par nature une manière de s'assurer qu'ils ne le seront jamais, réglés parce qu'autrement sa raison d'être disparaîtrait... et que, du même coup, les élites qui l'ont promu et en ont tiré profit des générations durant deviendraient susceptibles d'être jugées non plus sur leurs sempiternelles promesses ou menaces, mais sur les effets concrets et durables des gestes qu'elles ont posés.
Le nationalisme n'a qu'un seul but, perdurer, et les problèmes dont il entretient lui-même l'existence constituent la justification de son règne. Ça s'appelle une boucle de rétroaction. Et ça mène droit à la nécessité qu'il y ait sur la place publique de moins en moins de sujets susceptibles d'avoir quelque importance que ce soit comparés à lui, puisque n'importe lequel risquerait fort d'affaiblir ce qu'il s'agit justement de préserver à tout prix: l'incriticable pouvoir des élites.
(...) À terme, le nationalisme intégral peut fort bien, sans sourciller le moins du monde, mener directement à la mort de ce qu'il a toujours prétendu défendre. (...)
(Photo Bernard Brault, La Presse)
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