La Nouvelle-Calédonie abandonnée

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Les contradictions du décolonialisme


Un territoire français à décoloniser, tel est le statut symbolique de la Nouvelle-Calédonie pour un membre du gouvernement. La France ne cesse de vouloir renoncer à elle-même dans le Pacifique.


L’ONU est très attaché à décoloniser le monde. C’est-à-dire à laisser les nations les plus riches étendre leurs empires commerciaux sur la planète. En 1946, l’Organisation avait listé les 72 territoires où «les populations ne s'administrent pas encore complètement elles-mêmes». La Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie en faisaient partie et en font encore partie, avec Sainte-Hélène, Pitcairn et Samoa, et quelques autres, 17 en tout. On remarquera la remarquable absence, dans cette liste mise à jour, de la Chypre du Nord, colonisée par la Turquie en 1974, et du Tibet, occupé par la Chine, pour ne citer que ces deux territoires. L’ONU a la prudence de ne s’attaquer qu’aux vieux empires coloniaux, pas aux colonisateurs politiques et économiques d’aujourd’hui.


C’est fort de l’autorité de l’ONU que Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer, a parlé de la Nouvelle-Calédonie comme d’un «territoire à décoloniser» (CNews, 14 novembre 2021). On peut lui reconnaître le mérite de la constance, c’est ce qu’il disait déjà en 2020, alors que les résultats du deuxième référendum (4 octobre 2020) étaient connus : les habitants de l’île rejetaient son indépendance. Les gouvernements français, depuis les Accords de Matignon de 1988 (Lionel Jospin étant Premier ministre), ont beau tout faire pour refiler la Nouvelle-Calédonie aux canaques (pardon, kanak), pour qu’eux-mêmes puissent enfin la refiler à la Chine, les insulaires ne veulent pas donner les clés aux autochtones. Les Accords de Matignon avaient quand même prévu trois (trois !) référendums successifs, pour bien faire comprendre qu’il fallait bien voter (si le premier scrutin aboutissait à un rejet «de l'accession à la pleine souveraineté» par une «majorité des suffrages exprimés», un deuxième devait être organisé, et un troisième), c’est-à-dire adopter l’indépendance avec des cris d’enthousiasme. Tel est le «consensus» visé.

Comme le troisième référendum, demandé par les indépendantistes en avril 2021, risque fort de se solder, lui aussi, par un rejet de l’indépendance, leurs chefs politiques ont expliqué qu’ils n’y participeraient pas et en contesteraient donc la légitimité. En effet, passé le troisième référendum, aucun quatrième n’est, pour l’instant, prévu, et on sera arrivé au terme du processus consensuel des Accords, qui prendront fin en 2022. Autrement dit, horresco referens, les insulaires pourraient rester français malgré trente ans de propagande acharnée, et les Chinois n’auraient accès ni au précieux nickel ni aux nodules polymétalliques qui jonchent les fonds marins dans la Zone économique exclusive française autour de l’île.


Les indépendantistes, surreprésentés dans les instances politiques calédoniennes (ils contrôlent deux régions sur trois, le Congrès et sont majoritaire au gouvernement local), allèguent le Covid pour expliquer leur incapacité à faire campagne et ne veulent donc pas d’une quelconque autodétermination dont ils s’excluent eux-mêmes. Remarquons tout de suite l’admirable logique des partis indépendantistes : si un parti indépendantiste aux partisans autochtones (c’est-à-dire «canaque de souche», quoi que cela puisse recouvrer comme réalité après 150 ans de peuplement occidental et si choquante que puisse être une partition ethnique de la population) dit qu’il ne participera pas à un référendum, il tient pour acquis qu’aucun de ses partisans ne votera ; mieux, il considère que seuls les autochtones peuvent se prononcer sur l’autodétermination, faisant fi de tous ceux qui sont installés depuis plusieurs générations. On notera avec une ironie désolée que ceux qui soutiennent les indépendantistes canaques sont les mêmes qui rejettent, en France métropolitaine, toute idée de distinction ethnique entre les habitants et ne jurent que par le droit du sol.


Emmanuel Macron déclarait en 2018 que «la France ne serait pas la même sans la Nouvelle-Calédonie». Sébastien Lecornu, lui, s’est sans doute prudemment abrité sous le parapluie de l’ONU pour parler de décolonisation en Nouvelle-Calédonie tout en maintenant la date prévue du troisième référendum. On sent que l’élément de langage est choisi pour calmer les progressistes et indiquer de quel côté penche le pouvoir qui, entre un camouflet australien, deux repentances maghrébines et trois restitutions africaines, ne cesse de donner tous les signes de sa volonté de se retirer de l’Outre-mer et, surtout, de son incapacité à exister dans le Pacifique. A défaut de «décoloniser» la Nouvelle-Calédonie, ce quinquennat aura réussi à créer toutes les conditions favorables au pourrissement de la situation, au profit des Canaques, contre le France.


Philippe Mesnard