La pause

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise



Les représentants des associations étudiantes auraient peut-être dû se méfier de l’amabilité de la nouvelle ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, dont la rouerie n’est plus à démontrer. On prétend qu’elle aurait préféré avoir plus de temps pour trouver une solution autre que l’imposition d’une loi spéciale, mais dénoncer le « durcissement » des positions étudiantes n’était certainement pas la meilleure façon d’en obtenir.
Hier soir, les leaders étudiants pouvaient légitimement avoir le sentiment de s’être fait rouler dans la farine pour une deuxième fois en autant de semaines. Le président de la FECQ, Léo Bureau-Blouin, a eu beau proposer un compromis basé sur l’entente avortée du 6 mai denier et en appeler aux sentiments paternels du premier ministre, la décision de M. Charest était vraisemblablement prise avant la rencontre de mardi soir, peut-être même avant la démission de Line Beauchamp.
La Presse rapportait hier qu’il avait évoqué la possibilité d’une loi spéciale dès jeudi dernier lors d’une rencontre avec les recteurs et les représentants des collèges. Mme Courchesne pouvait difficilement l’ignorer.
La suspension des cours annoncée hier dans les 14 cégeps et les 11 universités dont certains départements sont en grève fera retomber la tension sur les campus dans l’immédiat, mais le débat pourrait simplement être reporté à la mi-août.
L’exercice du droit de rentrer en classe, qu’évoquait quotidiennement M. Charest, sera quelque peu différé, mais une grande partie de la population, les directions des établissements d’enseignement et les parents inquiets de la sécurité de leurs enfants pousseront un grand soupir de soulagement. Même s’il avait été possible de garantir l’accès par la force, la confrontation qui a opposé des étudiants de l’UQAM hier a donné un aperçu du climat malsain qui aurait prévalu.
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Par définition, une pause ne peut cependant être que temporaire. Le gouvernement mise clairement sur l’effet démobilisateur des chaleurs de l’été et les effets dissuasifs des sanctions prévues dans la loi, mais il ne perd peut-être rien pour attendre. Sa plus grande erreur depuis le début du conflit est précisément d’avoir sous-estimé la détermination des étudiants.
« Ce n’est pas en suspendant les cours qu’on suspend la crise », a lancé Léo Bureau-Blouin, frustré d’avoir été enrôlé malgré lui dans cette « vaste pièce de théâtre politique ». Les « carrés rouges » n’accepteront pas d’avoir fait plus de trois mois de grève pour en arriver là. Plusieurs voudront certainement défier la loi et empêcher la reprise des cours. Encore une fois, les tribunaux devront suppléer l’incapacité du gouvernement de trouver une solution politique au conflit.
Le fond du litige demeure entier. En annonçant la présentation d’une loi spéciale, le premier ministre n’a rien fait pour dorer la pilule. Il n’a manifesté aucune ouverture qui permettrait une reprise des négociations. En guise de compromis, la FECQ proposait que les économies générées par un resserrement de la gestion des universités réduisent la « facture globale des étudiants », mais le gouvernement n’envisage toujours pas de concession sur la hausse des droits de scolarité.
La publicité qu’il a fait paraître dans les journaux présente plutôt les grévistes comme une minorité de privilégiés intraitables qui bénéficieront toujours du meilleur programme d’aide financière et des droits de scolarité les plus bas au Canada.
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L’amertume des leaders étudiants était immense hier soir. « Les libéraux ont craché sur une génération entière », a lancé le porte-parole de la CLASSE Gabriel Nadeau-Dubois. Manifestement, les comptes se régleront aux prochaines élections.
La loi spéciale éloignera temporairement les « carrés rouges » des cégeps et des universités, mais elle ne les empêchera pas de se tourner vers d’autres cibles, que ce soit les ponts, le boulevard métropolitain, le Grand Prix du Canada ou encore le siège social de Power Corporation. Paradoxalement, la suspension des cours pourrait fournir des troupes fraîches.
Loin de s’apaiser, les perturbations d’ordre économique déplorées par le maire Tremblay et le ministre des Finances, Raymond Bachand, risquent de s’aggraver. Depuis le début du conflit, les étudiants ont fait largement la preuve de leur imagination.
La grande manifestation prévue le 22 mai pourrait maintenant prendre une tournure plus dramatique. Même le modéré président de la FECQ a déclaré que le gouvernement devra être tenu responsable s’il devait y avoir « de la violence et des blessés graves ».
Faudra-t-il imposer un couvre-feu pour empêcher que la métropole soit transformée en champ de bataille ? En 2008, l’ineffable maire d’Huntington, Stéphane Gendron, qui l’avait imposé aux mineurs dans sa municipalité, avait provoqué un grand éclat de rire en suggérant à son homologue montréalais de suivre son exemple. Finalement, M. Gendron était peut-être un visionnaire.
mdavid@ledevoir.com


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