La prescience de Paul Gérin-Lajoie

2005


La réforme proposée par le gouvernement du Québec est plus nécessaire que jamais
Selon Pierre Pettigrew, la doctrine Gérin-Lajoie est dépassée et le Canada doit parler d'une seule voix sur la scène internationale. Plutôt que d'adapter le système de politique étrangère du Canada au monde actuel, monde qu'avait largement anticipé la doctrine Gérin-Lajoie, le ministre des Affaires étrangères ressort le discours ringard qui était celui du gouvernement fédéral dans les années 60.
En effet, contrairement à la tendance dans de nombreux régimes fédéraux, qui consiste à impliquer les États fédérés dans les négociations internationales, le gouvernement canadien opte pour des politiques passéistes et feint d'ignorer les problèmes que connaît le Canada en matière de conclusion de traités internationaux. Pourtant, le gouvernement fédéral a également beaucoup à gagner dans une entente avec les provinces, entre autres lorsqu'il est question de négociations commerciales.
Un réarrangement indispensable
Comme on le sait, le gouvernement fédéral n'a pas la capacité d'imposer aux provinces les clauses des traités qu'il ratifie et qui affectent leurs champs de compétence. Avec la multiplication des accords internationaux bilatéraux et multilatéraux mais également avec la croissance de l'activité normative des différentes organisations internationales qui produisent des conventions ratifiées par le Canada et qui affectent de plus en plus les champs de compétence des provinces, il est indispensable de repenser les arrangements fédéraux-provinciaux en matière de négociation de traités et de représentation des provinces au sein des organisations internationales.
Puisque les traités internationaux que contracte le Canada concernent à présent davantage de domaines d'activité qui affectent les champs de compétence des provinces (comme l'éducation, la santé publique, les services sociaux, la culture, les communications, les transports, les richesses naturelles, la formation professionnelle, l'environnement, les subventions aux entreprises, les institutions financières, le traitement des investisseurs, la suppression des barrières non tarifaires, la réglementation des professions, etc.), il est inconcevable que les provinces ne soient pas associées plus directement à la préparation des mandats et aux négociations elles-mêmes.
Problèmes juridiques
Accorder un rôle de première ligne au Québec et aux provinces qui en expriment le souhait dans le processus de négociation de traités est fondamental, entre autres, parce qu'il est difficile de mesurer à l'avance comment évolueront les obligations du Canada liées aux différents traités de libre-échange à venir et déjà en vigueur.
Cela pose un problème de taille pour tous les ordres de gouvernement, mais ce problème est exacerbé au niveau provincial pour plusieurs raisons.
Il est déjà arrivé, par exemple, que les représentants du gouvernement fédéral négocient une obligation très significative et ayant des effets importants et irréversibles sur les champs de compétence des provinces sans vraiment les consulter à ce sujet. C'est le cas, selon Stephen de Boer, ex-négociateur ontarien en matière de commerce international, du chapitre 11 de l'ALENA, qui porte sur la protection des investisseurs étrangers et de leurs investissements. Ce sont pourtant les provinces canadiennes qui sont les plus touchées par les conséquences prévisibles de ce chapitre de l'ALENA.
L'incompréhension des négociateurs canadiens sur le sens à donner aux lois provinciales sur l'expropriation a causé d'importants problèmes juridiques. La présence d'un négociateur québécois aurait pu attirer l'attention des représentants fédéraux sur cette question.
Puisque le Québec et les autres provinces canadiennes sont souvent mal informés de la portée des obligations internationales déjà négociées et en négociation du gouvernement fédéral, il s'ensuit d'inévitables poursuites de la part de gouvernements étrangers qui contestent des politiques d'un gouvernement provincial incompatibles avec les obligations internationales du Canada.
Si une province canadienne accorde une subvention qui contrevient aux obligations du Canada et qu'un gouvernement étranger porte plainte à l'OMC contre le Canada, qui devra payer les droits compensatoires ? La province qui n'a pas participé aux processus de négociation ou le gouvernement fédéral, qui n'a pas su exposer à la province les obligations internationales du Canada ? La question n'est pas encore réglée.
Formaliser la coopération
En cas de conflit, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux concernés sont ainsi contraints de travailler conjointement afin de défendre la position canadienne. Cela comprend une participation provinciale aux audiences de l'OMC sur le règlement des différends.
La coopération intergouvernementale du Canada sur ces enjeux est très importante et doit être formalisée. Le gouvernement fédéral en retirerait des avantages puisqu'il n'a pas toujours l'expertise requise pour assumer cette responsabilité. Une plus grande participation des provinces assurerait également au gouvernement fédéral que ces dernières aient une meilleure compréhension de leurs obligations internationales.
De plus, si les provinces ne comprennent pas de façon adéquate ce qu'on attend d'elles, elles risquent d'être de plus en plus hésitantes à soutenir les futurs efforts d'intégration. Si le Québec n'est pas à la table de négociations sur les questions qui affectent sa culture unique et ses institutions particulières, il risque de ne pas souscrire à d'autres traités de libre-échange.
La mise en oeuvre
Ensuite, il n'est pas évident que les décisions politiques prises lors de grandes conférences bilatérales et multilatérales sur les processus de libéralisation des échanges auxquelles le gouvernement fédéral prend part tiennent compte des difficultés de mise en oeuvre au niveau provincial.
Les problèmes du gouvernement fédéral risquent d'être accentués par le fait que de nombreuses provinces n'ont pas les ressources ou même un intérêt suffisamment clair dans ces négociations commerciales pour adopter les accords contractés par Ottawa et les arrangements successifs.
À titre d'exemple, en ce qui concerne les deux accords parallèles sur le travail et l'environnement de l'ALENA, très peu de provinces canadiennes se sont déclarées formellement liées aux deux traités. Seuls le Québec, l'Alberta, le Manitoba et l'Île-du Prince-Édouard ont ratifié l'accord sur le travail.
Ces exemples ne sont probablement que la pointe de l'iceberg. Le problème des ressources a été accentué par la crise des finances publiques, le déséquilibre fiscal et les nombreuses compressions budgétaires dans les années 90.
Dans le domaine économique, il est juste que le gouvernement fédéral a mis sur pied divers mécanismes afin de consulter les provinces. En plus des conférences ad hoc, des négociations intergouvernementales se déroulent sur une base régulière au sein d'institutions intergouvernementales comme le Forum c-commercel, mais rien n'est contraignant dans ces mécanismes de consultations.
Dans les faits, puisque le gouvernement du Québec n'est pas tenu d'appliquer les accords internationaux que contracte Ottawa dans ses champs de compétence, alors n'est-il pas préférable que le gouvernement du Québec prenne part à toute l'opération de négociation de traités internationaux et assure ainsi le gouvernement fédéral de son intention de s'y soumettre, comme le propose le ministre Benoît Pelletier ?
Le ministre Pierre Pettigrew devrait s'inspirer des tactiques des négociateurs américains qui prennent prétexte de leurs difficultés constitutionnelles internes afin d'arracher des concessions supplémentaires lors de négociations commerciales plutôt que de chercher à écarter les provinces.
Stéphane Paquin, Professeur associé au département d'histoire et adjoint au titulaire de la chaire Hector-Fabre de l'Université du Québec à Montréal


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