Lumières sur les métis

«Le processus de construction identitaire varie selon les régions»

2005

Par Denis Lord
samedi 29 janvier 2005
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Enseignement supérieur
La seule université francophone à l'ouest de l'Ontario, dont une large partie de la clientèle est d'origine métisse, offre à un chercheur post-doctoral et à des étudiants des trois cycles supérieurs l'occasion de déterminer ce que l'identité métisse recouvre. Bienvenue au collège universitaire de Saint-Boniface.
Les métis de l'Ouest canadien retrouveraient-ils une place au soleil? Ils furent spoliés de leurs terres, longtemps ils furent méprisés, ostracisés. Mais en septembre dernier, ceux de Saint-Laurent (Manitoba), la plus grande communauté métisse du Canada, défilaient fièrement à Washington avec les autres Amérindiens à l'occasion de l'ouverture du National Museum of the American Indian du Smithsonian Institution. Et voilà qu'un anthropologue du collège universitaire de Saint-Boniface (CUSB), le professeur Denis Gagnon, se voit décerner la Chaire de recherche du Canada sur l'identité métisse, accompagnée d'un budget de 100 000 $ par année pendant cinq ans.
La notion de «métis» dans le sens d'hybridation de cultures, de langues et d'ethnies est vaste et englobante; si plusieurs Canadiens peuvent se réclamer de cette identité, pour l'instant, seuls ceux du Manitoba et de la Saskatchewan possèdent ce statut officiel reconnu par le Canada en 1982 lors du rapatriement de la Constitution. Il y aurait actuellement 56 800 métis au Manitoba. Cette nation est composée des descendants des alliances entre les coureurs des bois canadiens-français et écossais et les Amérindiennes d'origine crie, saulteux, chippewa et ojibway. Ce sont les transformations identitaires de cette nation depuis 1930 qu'étudieront le professeur Gagnon et son équipe dans une perspective comparative avec les peuples métissés ailleurs dans le monde, un thème émergent dans un contexte post-colonialiste.
Une quête de l'identité
Cette chaire de recherche du Canada de niveau 2 permettra à la seule université francophone à l'ouest de l'Ontario, dont une large partie de la clientèle est d'origine métisse, d'engager un chercheur post-doctoral et des étudiants des trois cycles supérieurs pour une période de cinq ans renouvelable. Trois thèmes, intimement liés, sont au programme. «Dans les deux premières années, explique Denis Gagnon, nous étudierons l'identité et l'histoire des métis depuis 1930, et la tradition orale sera mise à contribution. Le processus de construction identitaire varie selon les régions. Dans celle de Winnipeg, les métis ont cherché à s'assimiler à la population canadienne-française car, après la pendaison de Louis Riel, victime de racisme, ils ont voulu se faire oublier. Le clergé a aussi contribué à leur assimilation en ridiculisant leur langue et leur ascendance autochtone. Aujourd'hui, la génération des 18-25 ans commence à revendiquer son identité, parfois contre l'avis de leurs parents, pour qui elle était restée taboue jusqu'à nos jours.»
Les deuxième et troisième années de la chaire sont consacrées à l'identité et à la culture, c'est-à-dire la langue, l'éducation, les arts et la littérature, toujours en tenant compte de variations régionales. La langue des métis, le michif, comporte plusieurs dialectes: michif-français, cri et saulteux. «Le rôle de la femme reste aussi à approfondir, souligne le professeur Gagnon. Chez les métis comme chez les Canadiens-français, celle-ci jouait un rôle prédominant dans l'éducation, la morale et l'identité.»
Enfin, dans la dernière phase de l'agenda de la chaire arrive le thème «Identité et Territoire» qui s'intéresse à l'activisme politique et aux revendications territoriales. Quand le Manitoba a été intégré au Canada, les métis ont été dépossédés de leurs terres par les nouveaux colons. «C'est une population négligée, qui a été victime de racisme. Mais aujourd'hui, les métis ont de plus en plus accès à l'éducation, ils deviennent conscients des droits qu'ils pourraient avoir.»
De l'hybridation
La nature hybride du peuple métis est aussi l'objet d'analyses, tant en elle-même que dans une perspective comparative avec celle des autres peuples créoles. «On se demande, explique le professeur Gagnon, ce qui a été retenu de chaque culture et pourquoi. Dans le michif par exemple, les noms sont plus souvent français et les verbes amérindiens. Les Amérindiens étaient orientés vers une économie de subsistance, alors que les métis faisaient aussi du commerce. L'étude de la fusion du catholicisme et de la religion autochtone reste à faire, entre autres les liens du messianisme de Riel avec les mouvements religieux et millénaristes autochtones du XIXe siècle.»
Les revendications territoriales des métis sont mises en parallèle avec celles d'autres peuples créoles, en Amérique centrale, par exemple, ou en Nouvelle-Calédonie avec les Canaques. C'est une problématique identitaire en pleine expansion au niveau international, avec d'immenses implications juridiques. Aux États-Unis, par contre, le statut de métis n'est ni reconnu ni «problématisé». Les métis du Montana, du Dakota du Nord et du Minnesota se sont assimilés aux tribus amérindiennes. Au Canada, croit le professeur Gagnon, c'est une problématique qui se développera. En 2003, l'arrêt Powley de la Cour suprême reconnaissait un droit de chasse aux métis de l'Ontario. Au Québec, ceux de la Matapédia revendiquent un droit de chasse et pêche. De Terre-Neuve à la Colombie-Britannique, on compte actuellement une quinzaine d'organisations métisses, mais aucune ne les chapeaute toutes. C'est l'objet d'une grande lutte de pouvoir. Selon le professeur Gagnon, il n'est pas impossible que les métis du Canada forment un jour une fédération du type de l'Assemblée des Premières Nations.
Denis Gagnon a fait sa maîtrise à l'université Laval sur l'histoire du sanctuaire de Sainte-Anne-de-Beaupré, et son doctorat portait sur la catholicisation des Innus de la Basse-Côte-Nord et leur dévotion à sainte Anne. Il est également chercheur en intelligence artificielle. En tant qu'utilisateur, il a collaboré au développement du logiciel d'analyse textuelle NUNEXCO développé par le Laboratoire d'analyse cognitive de l'information (LANCI) de l'UQAM, et travaille actuellement sur le Module d'analyse de réseau sémantique (MARS), un prototype servant à classifier et catégoriser les données textuelles pour fins d'interprétation.


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