La voix nécessaire de Lise Payette

Livres - revues - 2010

Élue députée du Parti québécois dans Dorion en 1976, Lise Payette fut ministre dans le premier gouvernement Lévesque jusqu'en 1981. Pierre Bourgault — je dois à Jean-François Nadeau de me l'avoir rappelé — l'aimait beaucoup, comme en font foi deux textes publiés dans le tome 1 de ses Écrits polémiques.
En 1979, il signait une chronique intitulée Lise Payette ou la rigueur avant tout». En février 1981, quelques jours après l'annonce de la démission de la ministre, il la présentait comme une femme «intelligente, forte, courageuse, militante et compétente». Le Parti québécois, constatait-il, avait besoin d'un nouveau leadership et «on ne pourrait trouver au Québec quelqu'un de mieux préparé et de plus compétent qu'elle pour accomplir cette tâche des plus nécessaires». Le rêve de Bourgault ne se concrétisera pas.
Est-ce parce que l'expérience de Lise Payette au pouvoir avait été décevante pour elle? Ce n'est pas ce qu'elle racontait, en 1981, dans Le Pouvoir? Connais pas!, un fringant récit de son passage en politique que viennent de rééditer les éditions Athéna. Au pouvoir, Lise Payette a réalisé des choses importantes, parmi lesquelles on compte la réforme de l'assurance automobile sur le principe de la mise en commun des risques («no-fault»), la Loi de protection du consommateur et le développement d'une nouvelle sensibilité gouvernementale à l'égard de l'égalité des sexes (notamment par une réforme du Code civil), mais elle a aussi connu de solides déceptions, dont le fameux épisode des «Yvette» en mars 1980.
Dans le préambule rédigé pour cette nouvelle édition, Lise Payette affirme avoir écrit ce livre, à l'époque, «pour qu'il aide les femmes à comprendre que la bataille du droit de vote [dont on fêtait le 70e anniversaire le 25 avril dernier] est peut-être terminée depuis longtemps, mais que l'égalité des femmes en politique reste un idéal qui est loin d'être atteint». Contrairement aux hommes, remarque-t-elle, les femmes qui quittent la politique «ne laissent pas de témoignages qui pourraient servir de mode d'emploi pour celles qui vont suivre». Aujourd'hui, écrivent les éditeurs, le livre s'adresse aussi «à des jeunes femmes et à des jeunes hommes qui n'ont pas vécu cette période» et qui pourront tirer une leçon du parcours de la politicienne féministe.
Cet ouvrage, même trente ans plus tard, se lit comme un charme. Rédigé avec la clarté, l'élégance et la sincérité qui caractérisent le style de Lise Payette, il présente un indéniable intérêt historique et parle encore à notre présent. «La misère, l'injustice et l'oppression m'ont toujours empêchée de dormir», y écrit l'ex-politicienne dans un beau plaidoyer, plus nécessaire que jamais, contre «une sorte de nihilisme de l'engagement politique».
Un univers d'hommes
Quand elle est élue en 1976, Lise Payette débarque dans un univers d'hommes. Avant elle, deux femmes seulement — Marie-Claire Kirkland et Lise Bacon — ont été élues à l'Assemblée nationale. En 1976, elles sont cinq, mais elles n'ont pas encore le droit de porter le pantalon! «J'ai bien été élue de façon démocratique, j'ai fait partie du Conseil des ministres, mais sans jamais m'y sentir égale, comme un francophone devant travailler en anglais tout le temps, écrit Lise Payette pour expliquer le sens du titre de son livre. J'ai eu souvent le sentiment de devoir traduire mes pensées en "langue d'homme" pour essayer de leur faire comprendre de quoi je parlais.» Aujourd'hui, l'Assemblée nationale compte 29 % de femmes et le Parlement fédéral, environ 20 %.
Toutefois, quand Lise Payette affirme qu'elle sentait qu'elle n'était pas vraiment au pouvoir et que son rôle «était un rôle d'opposition à l'intérieur du pouvoir», il n'est pas évident que cela s'explique uniquement par le fait qu'elle soit une femme. Ses profondes convictions social-démocrates bousculent aussi les politiciens traditionnels.
Elle a bien sûr raison de dénoncer l'injustice du double standard qui fait «qu'une femme politique, par exemple, devrait avoir l'âge convenable, la silhouette élégante, une certaine beauté en plus de l'intelligence, pour travailler aux côtés de ces brummels bedonnants, chauves ou moumoutes, qui ont parfois les yeux pochés, le teint blafard et souvent sont mal lavés», mais cela ne résume pas tout. La franchise et le profond sens de la justice de la politicienne, qu'on retrouve au coeur de l'affaire des «Yvette» où elle dénonçait le sexisme des manuels scolaires et, accessoirement, le traditionalisme de Mme Ryan, ont aussi heurté ses collègues à l'approche plus pépère. Contrairement à Lise Payette, d'ailleurs, je ne suis pas convaincu «que les femmes ont un bon sens particulier qui manque terriblement au sommet de la pyramide du pouvoir», ce qui ne m'empêche pas de souhaiter leur présence à ce sommet, par souci d'équité, tout simplement.
Les pages que Lise Payette consacre au référendum de 1980 n'ont rien perdu de leur pertinence. Elle dénonçait, alors, le marchandage auquel donnait lieu l'échéance référendaire. Si le gouvernement ne nous donne pas ceci, nous voterons non, entendait-on à gauche comme à droite. «Comme si au lieu de s'entendre sur la maison à acheter, toute la famille s'était mise de la partie pour imposer tel meuble, telle décoration, se désole Lise Payette. Avec pour résultat que les Québécois et les Québécoises vivent encore à la belle étoile.» Pourtant, écrit-elle en 2010, c'est «sur notre dos» que se construit le Canada d'aujourd'hui, et le marchandage, aurait-elle pu ajouter, n'a pas cessé.
En 2005, dans un petit ouvrage consacré au journalisme québécois, je parlais d'«humanisme banal» pour qualifier les chroniques de Lise Payette au Journal de Montréal. En 2007, refusant de jouer les briseurs de grève au moment du lock-out au Journal de Québec, elle est virée par Quebecor. Impressionné par son intégrité, je me souviens d'avoir suggéré à un cadre du Devoir de l'engager, en arguant que la place d'une telle femme était chez nous, ce qui fut fait en novembre 2007. J'aime croire que j'ai eu une petite influence dans ce dossier.
«Elle a des principes, écrivait Bourgault, et je ne connais personne qui ait pu lui en faire démordre.» Sa voix, calme et belle, hier comme aujourd'hui, même si elle semble parfois un peu lasse, reste nécessaire aux amis de la justice sociale.
***
Le Pouvoir ? Connais pas !

Lise Payette

Athéna (nouvelle édition)

Outremont, 2010, 148 pages


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