Je vais vous raconter une petite histoire. En 1998, lors du remaniement ministériel, Lucien Bouchard me confie le ministère des Ressources Naturelles (ce qui inclut l’énergie). Et il me donne un mandat, celui de réduire les compétences de la toute nouvelle Régie de l’Énergie. Nous étions allés trop loin, affirmait-il, et il fallait soustraire la production à l’autorité de la Régie. Il nous apparaissait absurde de maintenir le pouvoir de la Régie d’examiner et d’autoriser tous les nouveaux projets de barrages et de centrales d’Hydro-Québec. Après tout, la décision d’ajouter de nouveaux ouvrages de production au parc existant étant de nature économique et politique (le gouvernement étant l’actionnaire unique d’Hydro-Québec), il était parfaitement incongru d’être dans l’obligation d’obtenir la permission d’un organisme tarifaire composé de régisseurs nommés par le gouvernement. Donc, la production ne devait plus être assujettie à la Régie de l’Énergie.
Sinon, si nous n’amendions pas la loi de la Régie, il aurait fallu, pour des projets comme Toulnoustouc, Péribonka IV où le détournement de la Rupert, qu’Hydro-Québec, plutôt que de se faire autoriser par le gouvernement, son actionnaire unique, se présente devant la Régie pour obtenir son aval. Et elle aurait pu dire non sous prétexte que la preuve par les besoins n’était pas suffisamment étoffée.
J’ai donc assumé pleinement le mandat qu’on m’avait confié. Le projet de loi réduisant les pouvoirs de la Régie a été déposé et débattu. Et comme il y avait obstruction systématique de la part du Parti Libéral, j’ai dû recourir, en tant que Leader du gouvernement, à la suspension des règles (le fameux «bâillon») pour le faire adopter.
Or, la nouvelle loi comportait une innovation, un concept nouveau, celui de «bloc patrimonial d’électricité». Ce dernier était constitué de l’énergie produite à partir du parc d’équipements en service au moment de l’adoption de la loi, soit 165 twh (terawatt heure), c’est-à-dire 100 milliards de wattheures. Ce qui comprend tous les barrages et toutes les centrales construits depuis plus de 60 ans dont plusieurs étaient pleinement amortis et d’autres à la veille de l’être. Nous étions donc en mesure de déterminer un coût du kilowatt heure relativement bas. Et ce prix, fondé sur les coûts réels de production tout en tenant compte de l’amortissement, était de 2,79 cents du kilowatt heure. Et comme nous ne souhaitions pas qu’Hydro-Québec soit tenté de modifier ce prix à la hausse, nous avons pris soin de l’inscrire dans la loi.
Je vous signale qu’on en était arrivé là après de multiples rencontres avec Messieurs Caillé et Vandal, respectivement PDG d’Hydro-Québec et PDG de la division Production, et de nombreux meetings avec les hauts fonctionnaires du ministère et mon cabinet. J’ai dû également franchir toutes les étapes menant à l’adoption du projet par le Conseil des Ministres.
L’argument central que j’ai mis de l’avant à titre de ministre porteur du projet de loi était le suivant (largement développé dans mon discours de présentation à l’Assemblée Nationale) : nous avons, comme société, privilégié la filière hydroélectrique en investissant massivement dans la construction de barrages et de centrales; ce choix énergétique stratégique a eu pour effet de nous donner accès à une énergie à la fois renouvelable et à bas prix, comparativement à d’autres États et Provinces en Amérique du Nord; cette situation, résultant d’un choix judicieux, nous accordait un avantage tarifaire indéniable; compte tenu de notre fardeau fiscal, le plus lourd de toute l’Amérique du Nord, il était tout à fait justifié de perpétuer et de pérenniser cet avantage en le cristallisant dans la loi.
J’avais même déclaré, ce bloc patrimonial de 165 terawatt heures étant généré par des installations de production qui seraient totalement amorties dans quelques années, que s’il y avait lieu de réviser dans l’avenir le coût de 2,79 cents le kilowattheure, ce devrait être logiquement…à la baisse. À la baisse! De la même façon que le coût de votre logement diminue substantiellement lorsque votre prêt hypothécaire arrive à terme, c’est-à-dire lorsque votre maison est totalement amortie.
Mais voilà plutôt que M. Bachand annonce qu’il va l’augmenter. Il devrait passer, à partir de 2014, de 2,79 cents à 3,79 cents le kilowatt heure. Une cent du kilowatt heure, ça peut paraître anodin et insignifiant. Mais en réalité, ça se traduit en milliards de dollars et ça va pulvériser le seul et unique avantage que nous avons en tant que contribuables et consommateurs payeurs d’impôts, de taxes et de tarifs.
Et il ne faut pas confondre cette hausse abusive du coût de ce que certains appellent la «vieille électricité» et les augmentations de tarifs réclamées et obtenues par Hydro-Québec Distribution qui, elles, s’appuient sur les coûts de la nouvelle électricité (au-delà du bloc de 165 terawattheures) produite par de nouvelles centrales (Péribonka IV, par exemple) où de nouvelles filières (petites centrales, éoliennes, biomasse).
Mais dans le cas de la hausse du coût du kilowattheure provenant du bloc patrimonial, il s’agit ni plus ni moins d’une véritable confiscation par l’État d’un avantage acquis et d’un apanage bénéfique résultant de nos choix de société en matière d’énergie.
Certains diront qu’ayant été le porteur de ce dossier tout au long de son cheminement, je suis trop concerné et que je manque de recul pour apprécier objectivement la démarche du gouvernement libéral. Peut-être! Il faut dire, pour ma défense, que, lors du débat à l’Assemblée Nationale, non seulement le Parti Libéral a mené une lutte acharnée contre le projet de loi, mais tous les escadrons écolo-verdoyants sont montés aux barricades en me traitant de noms d’oiseaux, guidés par le Petit Caporal Steeven Guilbeault qui menaçait de déclencher aux États-Unis une campagne de boycott de l’électricité d’Hydro-Québec et stimulés par les exhortations du scribe aumônier Louis-Gilles Francoeur qui m’accusait «d’émasculer la Régie» (c’est ainsi que j’ai appris que la Régie …en avait!). J’ai même eu droit à une motion de blâme venant du congrès de mon propre parti. Il y a donc de quoi se sentir concerné. Vous comprendrez aussi que lorsque je vous parle des tactiques vicieuses et des basses manœuvres des cohortes écolos, je parle en connaissance de cause.
Mais ce n’est pas parce que j’ai été malmené lors du débat en Chambre en 2000 que je m’oppose à l’astucieuse manigance du ministre des Finances pour nous faire les poches. En fait, je n’ai aucun motif d’être amer puisque je suis sorti gagnant de la bataille. Si je m’insurge contre cette odieuse entourloupe, c’est uniquement parce qu’elle constitue la suppression du seul atout qu’il nous reste en tant que contribuables pressurés.
Il nous faut donc exhorter les partis d’opposition (PQ, ADQ) à tout mettre en œuvre pour empêcher cette sordide manoeuvre.
Jacques Brassard
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