L’auteur est avocat auprès de l’ONU et ex-conseiller juridique de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié
Selon les médias, le Premier ministre Justin Trudeau aurait déjà déclaré, reprenant la formule de Michel Rocard, le Premier ministre français, que le Canada ne peut pas accueillir toute la misère du monde. Il faut espérer qu’il se remémorera cette réflexion avant d’amener la Canada à appuyer le Pacte mondial pour les migrations, qui risque de devenir ensuite une résolution de l’ONU le 19 décembre prochain. Avant d’appuyer ce Pacte, il conviendrait d’avoir un débat pour savoir d’où il vient, ce qu’il vise vraiment et quelles seront ses conséquences. On est loin de cela.
Qui sont ces migrants et combien sont-ils? Un premier chiffre, récent : selon le Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU, dans son récent rapport intitulé Global Trends Forced Displacement in 2017, au 15 mai 2018, il y avait plus de 68,5 millions de « migrants forcés » de par le monde. Et ce nombre ne fait que croître (il était de 65 millions en 2015). Ce chiffre ne comprend pas les migrants volontaires, immigrants, réguliers ou illégaux, travailleurs étrangers, etc. Un autre chiffre: l’Organisation internationale du travail nous apprenait la semaine dernière que 164 millions de travailleurs dans le monde sont des migrants (ce qui prive les pays d’origine d’autant de main-d’oeuvre). C’est beaucoup.
Autre chiffre: selon l’historien Bernard Lugan, spécialiste de l’Afrique, «D’ici à 2030, l’Afrique va voir sa population passer de 1,2 milliard à 1,7 milliard, avec plus de 50 millions de naissances par an. En 2100, avec plus de 3 milliards d’habitants, le continent africain abritera un tiers de la population mondiale, dont les trois quarts au sud du Sahara. Pour des centaines de millions de jeunes africains, la seule issue pour tenter de survivre sera alors l’émigration vers l’Europe. » Et on pourrait ajouter vers le Canada. C’est ça les migrations dont on parle: des dizaines, puis très rapidement des centaines de millions de personnes. Sans compter leur multiplication exponentielle par un taux de natalité plusieurs fois plus élevé que celui de la population d’accueil.
Qui va s’engager à les accueillir aux conditions du Pacte? Déjà plus du tiers des membres de l’ONU, dont les États-Unis, ont refusé de valider le Pacte. C’est beaucoup cela aussi. Surtout si l’on considère qu’il est fréquent que les États membres de l’ONU appuient, voire signent, des accords ou des déclarations tonitruantes qu’ils ignorent complètement par la suite. On ne sait pas assez qu’une grande partie des membres de l’ONU ne sont pas des démocraties, que beaucoup sont des dictatures féroces, et que ces pays se soucient très peu de l’application des principes humanitaires défendus officiellement par l’ONU. La réalité est que, suite à des expériences malheureuses, les migrants sont de plus en plus mal vus par les populations d’accueil. Une bonne partie des États membres de l’ONU –et parmi les plus riches-- n’acceptent déjà pas de migrants, ou n’en acceptent qu’un nombre symbolique, et ce n’est pas le Pacte qui va les faire changer d’idée ou qui va y amener des migrants. En fait, le Pacte va plutôt servir à imposer des devoirs et des conditions encore plus nombreuses et plus exigeantes aux pays qui se soucient déjà de l’accueil des migrants. En clair, un tel pacte permet à des États, des organisations, voire des individus, d’imposer aux contribuables d’autres États des devoirs et des obligations financières qu’eux-mêmes n’assumeront jamais. Toute l’expérience de l’ONU est là pour le prouver.
Comment peut-on en arriver là? Le mécanisme est assez simple : n’importe quel individu, État ou organisation peut établir un document qu’il souhaite voir adopter par l’ONU. Ensuite, il n’a qu’à le mettre dans la machine à saucisses, avec adoption quasi automatique dans bien des cas: présentation à un colloque ou à un groupe de travail, puis, avec un ou deux ambassadeurs sympathiques, à un sous-comité, à un comité, à une sous-commission, à une commission puis finalement à l’Assemblée générale, laquelle, avec un peu de chance l’adoptera, en y faisant peut-être quelques modifications. (Il peut même arriver que le texte adopté par l’AG soit changé par des fonctionnaires insatisfaits avant d’être envoyé à l’impression; dans un tel cas, il y a peu de chances que le changement soit repéré.) C’est comme cela qu’on peut faire dire à l’ONU à peu près n’importe quoi. On a un peu l’impression que c’est ce qui est arrivé dans le cas du Pacte sur les migrations. Heureusement, dans ce cas plusieurs pays ont relevé dans ce projet de nombreux éléments très inquiétants, notamment en ce qui concerne la souveraineté des États et le respect du droit à la libre expression. Dans ces conditions, on ne peut que souhaiter que le Canada s’abstienne d’appuyer un texte à la fois aussi lourd de conséquences et aussi peu sérieux, extravagant et fantaisiste.