Le chiard et le Chinese pâté

Chronique de Robert Laplante

Texte publié dans Le Devoir du samedi 3 mars 2012


« Ces étudiants-là n'échappent pas complètement au français. Ils vont à la cafétéria manger du pâté chinois et non du Chinese pâté. Ils sont confrontés au français, puisqu'ils baignent dans un environnement en français », a souligné Mme Grant [directrice des communications HEC Montréal]
Le Devoir, 22 février 2012

Rien ne va plus dans les universités.
On avait subi le spectacle lamentable de l’UQAM où les parvenus ont fait dérailler les projets immobiliers avant de filer à l’anglaise, peinards. Enquête, commentaires embarrassés, morgue ministérielle et glose de recteurs. Pas de responsables. La tempête parfaite, comme le dira plus tard le portier Rousseau devant la Chambre de commerce à propos d’une autre gabegie. Le marché vous savez…
Le marché, on sait. C’est celui dans lequel se jette une élite de gestionnaires universitaires qui se donnent des airs de grands businessmen à brasser du PPP de Rimouski à Saint‑Jérôme, à semer les pavillons un peu partout sur le territoire pour se livrer une guerre de clientèle digne des concessionnaires de McDo. Et ça valse à coup de centaines et de centaines de millions jusqu’au CHUM et au MUHC où le corps médical s’est couché devant l’iniquité anglaise, bordé par une classe politique timorée, morte de trouille à l’idée de s’attaquer aux privilèges rhodésiens.
Le marché et ses raisons ont fait basculer les recteurs du côté des comptables où ils tentent de nous donner du sentiment pour les finances publiques en recommandant de saigner la jeunesse pour qu’on les laisse jouer leurs joutes en entonnant les hymnes de la compétitivité. La mondialisation, vous savez… Et il faudrait verser des larmes sur les plans de carrières qui se flétrissent parce que les contribuables ne soutiennent pas suffisamment les ambitieux pour qui la province sera trop petite de vivre française et dans ses originalités. Et subir la bouillie de rhétorique qu’on nous sert pour tenter de justifier de toujours courir plus vite pour rester à la remorque de modèles en vigueur dans des sociétés capables de mobiliser infiniment plus de moyens que la nôtre. À défaut d’avoir le courage de s’inventer, mieux vaut se soumettre en plastronnant.
Il faut une lâcheté de classe mondiale. Ils savent être de leur temps et sacrifier aux fétiches de leurs idoles. Et c’est ainsi que l’on a vu la ministre de l’Éducation se faire envoyer paître par McGill qui vend de la formation d’élite à 30 000 $ par année et qui n’a rien à faire des simagrées domestiques. L’anglosphère s’y connait ici en logique d’apartheid. Il faut ce qu’il faut.
Et HEC ne sera pas en reste. Les voilà donc nos grands visionnaires du management, les voilà qui se transforment en courtiers avec les deniers publics. Les voilà dans le bilingual land, s’arrogeant le droit de piger dans la caisse commune pour se livrer aux plus insignifiantes dérives idéologiques. HEC fait de la business, vend de la formation en anglais aux Chinois, aux Coréens à tout ce qui peut lui donner l’impression de se comporter comme une grande école américaine… Financée par les contribuables qui ne parlent que le français. De la classe mondiale qui n’a rien à faire des provinciaux qui s’imaginent encore que l’université n’a rien d’une entreprise, qu’elle doit servir la connaissance, le bien commun et la vie collective dans l’intérêt national qui s’y incarne et la définit !
Il faut leur couper les vivres à ces initiatives mortifères. On ne subventionne pas les universités pour que les technocrates fassent du commerce avec nos impôts. On ne va pas hausser les frais de scolarité pour que les gestionneux créent des postes de cadres pour s’occuper de vendre le programme anglais en Indonésie ! Il n’y a aucune raison pour que les contribuables québécois financent la marginalisation de leur propre langue dans les institutions qui devraient lui donner la place névralgique dans la production de la connaissance et la formation de la jeunesse.
HEC a déjà incarné une vision du monde et une conception de l’université qui faisait l’honneur et l’intelligence des Montpetit, Minville, Angers et autres qui cherchaient de la grandeur à s’assumer pour mieux participer aux courants internationaux et donner au Québec sa voix dans le monde. On comprend que, trop occupée à vendre son âme, la maison n’ait plus la moindre idée de ce qu’est une institution. Pas plus qu’elle ne sache distinguer le suivisme idéologique du renoncement à soi. On comprend aussi que les « experts » apatrides ne puissent donner dans la fierté. C’en est au point que l’idée de démissionner de honte ne vient à personne.
Il y a des limites à la bêtise et l’anecdote du Chinese pâté que nous a servie la responsable des communications de HEC Montréal pour justifier la niaiserie de ses patrons et des béotiens qui les encouragent, vient de les faire exploser. Il faut arrêter cette dérive. L’on s’étonne du silence des étudiants, des professeurs et des professionnels de ce business school devant ce qui n’est rien d’autre que la trahison de la culture, la braderie de l’héritage. On le sait, on en trouvera toujours pour dire qu’ils ne vendent pas l’âme de la maison, les pragmatiques se contentent de la louer…
C’est une honte, cette affaire. Un révélateur puissant du désert culturel qui tient lieu de culture d’organisation dans des institutions où devraient pourtant régner l’esprit critique et l’ambition de s’accomplir. HEC Montréal est malade. Frappée du même mal que celui qui mine les autres universités québécoises, atteinte d’une forme virulente de sida de l’esprit : le consentement à la marchandisation sous toutes ses formes, le sacrifice de toute loyauté sur l’autel du marché. Assez, c’est assez.
Il faut en finir avec la démission morale et l’à-plat-ventrisme de ces pseudodécideurs qui ne décident que de s’agenouiller, un oeil à New York et l’autre sur l’horaire des destinations pour le village global. Il faut sortir du déni, retrouver le sens des mots pour se donner enfin une intransigeance à la hauteur des défis qui se posent à nous. Un grand ménage s’impose : une commission d’enquête, ou quelque chose du genre, conduite par des esprits cultivés et indépendants. Les empoisonneurs qui sont en train d’enchaîner les contribuables dans des institutions qui ne serviront plus qu’à les folkloriser doivent rendre des comptes. Les faux savants de la « moyenne canadienne » qui viennent nous dire que les universités sont sous-financées et qu’il faudrait que la jeunesse paie plus cher pour que les grands administrateurs puissent continuer de singer les managers américains sont nus désormais. On ne paiera plus pour ça. S’ils n’ont ni la volonté ni le talent de construire des institutions bien enracinées dans notre milieu, fidèles à ce que nous sommes et pouvons être, qu’ils cessent de nous demander de financer leur impuissance. Il nous faudra bien un jour une politique des universités digne de ce nom pour sortir de l’univers mental de l’indigence conformiste où les saboteurs d’institutions posent en grands bâtisseurs.
Le Québec, qui a encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre les niveaux de formation que le vingt et unième siècle exige, n’a plus les moyens de se payer cette engeance d’incapables. Des odeurs nauséabondes émanent de ces cénacles de zélotes du tout au marché qui ne jurent que par palmarès américains et manuels de subordination pour mieux dévoyer les acquis de trois générations de lutte. Renonçant à l’originalité et à l’enracinement, ces technocrates condamnent nos universités à la médiocrité : les pirouettes de marketing ne feront qu’un temps et ne tromperont personne très longtemps. Le prêt-à-penser et l’emballage cosmétique des programmes américanisés ne berneront que les dupes et ne serviront que l’arrivisme de la piétaille. Les colporteurs de l’excellence in english ne se paieront qu’en monnaie de singe qui n’aura cours que dans les succursales bas de gamme. Et dans une province louisianisée.
Les succédanés n’attireront jamais que ceux-là qui n’ont pas les moyens – intellectuels ou financiers – d’accéder à l’original. Il est inutile d’envoyer les sous-ministres, les recteurs et les directeurs d’École en missions exploratoires à Bombay ou en Chine pour apprendre une telle chose. Les gestionnaires des HEC et des autres universités feraient des économies à fréquenter les marchés aux puces de banlieue où il est facile de reconnaître le toc et le baratin des vendeurs de camelote. On troquant les cocktails dinatoires pour les bineries, tout ce beau monde découvrirait aussi la différence entre le chiard et le Chinese pâté.

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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