Des esprits chagrins doutaient de l’intérêt de la commission parlementaire sur la charte de la laïcité qui s’est ouverte cette semaine : tout n’avait-il pas été dit ? Mais cette commission a un grand mérite : celui d’organiser le débat. D’un côté la vision légaliste de la société, de l’autre sa vision politique. Et il ne faudrait pas croire que l’une est plus légitime que l’autre.
La première semaine d’audiences de la commission parlementaire sur le projet de loi 60 aura, comme on pouvait s’y attendre, donné lieu à des moments loufoques, où le ridicule des propos l’emporte sur le malaise à les entendre. Les réseaux sociaux en font déjà leurs choux gras. À quoi s’ajoutaient vendredi les appels à la démission de ministres péquistes. À chacun le sien : Québec inclusif qui veut dégommer Bernard Drainville, les libéraux qui en demandent autant de Bertrand St-Arnaud. Allons, un peu de calme, on en a encore pour des mois !
Ces dérives écartées, il reste qu’un débat de fond se tient. En commission, les participants, généralement bien préparés, sont interrogés par des représentants de tous les partis, ce qui permet d’aborder leurs propos sous tous les angles. Les mémoires du Barreau du Québec comme de la Commission des droits de la personne (rendus publics par une fuite politiquement opportune…) ajoutent à la mise en valeur de l’importance des enjeux en cause. Ils ne sont toutefois pas un point final : le fait que nous soyons une société de droit n’implique pas que celui-ci soit statique.
La Commission des droits de la personne du Québec en offre elle-même un exemple probant. En 1982, il a fallu ajouter nommément la grossesse comme motif de discrimination dans la Charte québécoise des droits de la personne parce qu’invoquer la discrimination selon le sexe ne suffisait pas. Perdre son emploi parce qu’on était enceinte était jusque-là légal puisque, comme le veut l’analyse juridique qui ne voit les dossiers qu’en pièces détachées, ce n’était pas toutes les femmes d’une entreprise donnée qui était ainsi congédiées ! Si la Charte a finalement été modifiée par les élus, c’est grâce à la pression de groupes féministes qui trouvaient que cette argutie juridique n’avait aucun sens. Le juriste n’est pas un sociologue : il applique des règles. Seul le jeu d’un ensemble de forces sociales finira par faire bouger celles-ci.
L’analyse que fait la commission sur la charte de la laïcité n’en est donc pas une d’opportunité politique, mais de solidité juridique. Le Barreau ne l’évalue pas autrement. Vu l’état actuel du droit canadien, où la croyance sincère d’un individu sert de premier référent, il est clair que l’ensemble du projet de loi 60 du gouvernement Marois est en eaux troubles. Mais il est loin d’être indéfendable : des juristes pensent autrement que l’avis du Barreau ; tout point de droit se conteste ; et des questions qu’on croyait chose jugée peuvent être revisitées (ainsi de la prostitution ou du suicide assisté).
Surtout, il y a les forces sociales, ce regard plus large qu’offrent les audiences de la commission parlementaire : syndicaliste, philosophe, anthropologue, ex-élu, activistes, citoyens…, ont défilé cette semaine. On se perd parfois dans des considérations byzantines mais on entend les craintes de pertes d’emplois, que le gouvernement ne peut ignorer. Et l’on constate le terrain que le religieux ne cesse de grignoter (un appel à la prière à la garderie !), preuve de la pertinence qu’un État s’interroge sur des situations inimaginables au moment de l’adoption des chartes des droits et qu’il cherche à compléter la mise en place d’une laïcité entamée au Québec depuis les années 1960.
Suggérer d’ajuster les instruments juridiques à la réalité, en débattre, même y arrimer des élections, cela s’appelle jouer son rôle politique. Et cela a encore de l’importance en démocratie.
AUDIENCES SUR LA CHARTE
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