Élu sur une promesse vague de bonne santé économique pour le Québec, le gouvernement Couillard s’est manifestement investi d’une mission inattendue : c’est lui qui, finalement, réformera vraiment le modèle québécois. C’est lui qui le libéralisera.
Robert Bourassa avait échoué en 1985, au temps du rapport Gobeil. Jean Charest a échoué en 2003, en enterrant rapidement sa réingénierie de l’État. Cette fois, le gouvernement libéral ne renoncera pas. Et le Québec connaîtra son moment thatchérien.
Qu’est-ce qu’un moment thatchérien? C’est lorsqu’un gouvernement décide non plus seulement de moderniser la gestion mais de soumettre l’État à une thérapie de choc libérale. On ne se contente plus de mieux gérer les finances publiques. On vise clairement une diminution du rôle de l’État. Et on veut donner un coup de barre, clairement ressenti, qui envoie à la société un message clair : les années fastes sont derrière nous, la situation est critique et le temps des sacrifices est arrivé. Autrement dit, on ne peut plus se contenter de réparer à la pièce l’État social, qui entraine nos sociétés dans la spirale du déclin. Il faut frapper vite et fort. Dans le gouvernement actuel, Martin Coiteux est le principal idéologue de cette politique.
On ne saurait balayer du revers de la main cette vision des choses ou du moins, le diagnostic qui l’inspire. Il suffit de prendre au sérieux la question de la dette pour comprendre que l’État social paralyse peu à peu une collectivité en la faisant vivre au-dessus de ses moyens. Il développe aussi, dans la population, un rapport de dépendance par rapport aux services qu’il prodigue, d’autant que chacun d’entre eux se fait vite traduire en droit fondamental sur lequel il ne serait plus permis de revenir, sans faire régresser l’humanité. Autrement dit, on ne saurait réduire la critique de l’État social au culte idéologique du marché.
Mais l’appel au redressement se métamorphose rapidement en fantasme thatchérien. Qu’est-ce que le fantasme thatchérien qui a transformé l’imaginaire de la droite libérale depuis une trentaine d’années? C’est la croyance profonde en la douleur rédemptrice des coupes sociales. Notre société s’est avilit dans l’esprit festif, elle a perdu le sens du réel en dépensant toujours plus qu’elle n’en avait les moyens, il est temps pour elle de payer. Nous devons renaître à la vertu économique et morale par un consentement à l’ascétisme. Les gens doivent souffrir pour être purifiés de leur tentation étatiste.
Et si les coupes dans les dépenses sociales de l’État ne font pas mal, si elles ne sont pas ressenties intimement par de grands segments de la population comme de terribles privations, c’est la preuve qu’elles ne sont pas sérieuses et qu’il faut pousser plus loin les réformes. Autrement dit, la thérapie de choc qu’on souhaite appliquer n’est pas seulement économique : elle relève de la réforme intellectuelle et morale. Elle doit modifier culturellement, en profondeur, notre perception du rôle de l’État et nos attentes à son endroit. Il ne faut pas seulement gérer différemment l’État : il faut révolutionner les mentalités.
Cette croyance ne vient pas seule : elle s’accompagne d’un désir de conflit, d’une volonté explicite de passer d’une politique de consensus à une politique de polarisation. La recherche de consensus étoufferait la volonté politique et donnerait un pouvoir exagéré à des corporatismes et des groupes de pression très doués dans l’art de la guerre médiatique mais finalement peu représentatifs de la majorité silencieuse, qui désirerait ardemment ce grand coup de barre politique mais qui ne saurait comment l’exprimer. D’ailleurs, le culte du consensus pousserait à la paralysie sociale et engendrerait une culture politique de la demi-mesure, empêchant notre société de prendre une direction claire, avec l’élan créateur qui l’accompagnerait.
Il faudrait libérer l’État de ceux qui l’assiègent et seul un conflit social assumé permettrait d’en arriver à cet objectif. Il permettrait d’ailleurs aux réformateurs au pouvoir de faire la preuve de leur valeur, de leur courage, en confrontant la rue, en ne cédant pas à l’intimidation syndicale, ou à celle des différents groupes de pression résolus à faire reculer le gouvernement. Il révélerait aussi la rupture profonde entre les forces sociales manifestantes et le pays réel, ou si on préfère, la majorité silencieuse, qui endosserait le projet et souhaiterait voir le gouvernement aller au bout de ses idées. Dans l’imaginaire thatchérien, il y a un grand soir : c’est celui où les forces attachées à l’État providence s’effondrent enfin et où le nouveau modèle de société fondé sur le primat du marché peut enfin s’installer en paix.
On comprend dès lors que le projet gouvernemental s’inscrit dans une philosophie globale et s’accompagne d’une conception de la politique qui amène nos dirigeants à croire que plus on les attaque, et plus ils ont raison. La virulence des contradicteurs du gouvernement Couillard prouverait paradoxalement les bons choix de ce dernier. Dans son conflit contre les syndicats, et aujourd’hui, contre les municipalités, il voit l’occasion de prouver qu’il ne reculera pas, et qu’il réussira là où ses prédécesseurs ont échoué. Quoi qu’on en pense, les prochaines années seront conflictuelles.
Le fantasme thatchérien du gouvernement Couillard
Abattre l'État-providence
Mathieu Bock-Côté1347 articles
candidat au doctorat en sociologie, UQAM [http://www.bock-cote.net->http://www.bock-cote.net]
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