Le nouveau vilain

Course à la chefferie du PLC

Jacques Parizeau disait toujours les choses comme il les pensait. Quand le temps était venu pour les libéraux de choisir le successeur de John Turner, en juin 1990, il ne s'était pas gêné pour dire à quel point il souhaitait l'élection de Jean Chrétien. Non seulement comme chef du PLC, mais aussi comme premier ministre du Canada.
Six mois avant le congrès de Calgary, qui avait coïncidé avec la mort de l'accord du Lac-Meech, il le clamait déjà haut et fort. «Chrétien est parfait, disait-il. Il faut quelqu'un qui fasse effet de repoussoir. Quelqu'un qui dise: mangez de la... et allez au diable. Dans ce western qui va se dérouler, moi, j'ai besoin de vilains.»
Plus de cinq ans avant le référendum d'octobre 1995, il voyait déjà M. Chrétien dans l'obligation de négocier les modalités de la sécession du Québec et ça l'amusait beaucoup. «Ça va être extraordinaire, c'est à se taper sur les cuisses.»
Cette franchise brutale n'est pas précisément le genre d'André Boisclair. Rectitude politique oblige, il dirait plutôt que la politique du pire est la pire des politiques et qu'il souhaite l'élection du candidat le mieux disposé à l'endroit du Québec, par exemple Michael Ignatieff, même si le PQ pourrait en pâtir.
Il est vrai que l'enfer est pavé de bonnes intentions. Brian Mulroney, qui souhaitait sincèrement réconcilier le Québec avec le Canada, a sans doute fait plus pour la cause souverainiste que n'importe quel autre premier ministre canadien en échouant dans sa tentative.
Il est cependant très difficile de croire que M. Boisclair préférerait demeurer dans l'opposition afin de donner au camp fédéraliste le temps nécessaire pour rééditer le drame du lac Meech, alors qu'un «vilain» pourrait lui permettre de devenir premier ministre et peut-être même de tenir un autre référendum.
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Même dans leurs rêves les plus fous, les souverainistes n'ont sans doute jamais osé imaginer que Stéphane Dion devienne premier ministre du Canada, mais la course au leadership libéral est devenue une telle boîte à surprises que cette hypothèse n'est plus complètement farfelue.
Son passage au ministère de l'Environnement a permis à M. Dion de faire oublier pour un temps le personnage haïssable auquel Chapleau avait donné les traits d'un rat. Il faut d'ailleurs reconnaître l'habileté avec laquelle le père du plan B et de la Loi sur la clarté a réussi à se métamorphoser en sauveur de la planète.
Le fidèle lieutenant de Jean Chrétien est cependant réapparu à la faveur du débat sur la reconnaissance de la nation. D'entrée de jeu, cette idée l'horripilait et il n'a appuyé qu'à contrecoeur la motion que le premier ministre Harper a présentée à la Chambre des communes.
Même à l'Environnement, M. Dion a eu bien du mal à refréner son ardeur centralisatrice. Avant d'être sacrifié sur l'autel de la bonne entente fédérale-provinciale, son vis-à-vis québécois, Thomas Mulcair, avait déclaré que le qualificatif «méprisante» ne suffisait pas à décrire son attitude.
Il ne fait pas de doute que M. Dion ferait un «vilain» idéal. Le problème est que ses chances de battre Stephen Harper ne semblent pas très bonnes. Sa relative popularité chez les délégués québécois ne doit pas faire illusion. Avec lui, le PLC devrait renoncer à tout espoir de déborder le cercle étroit des fédéralistes «purs et durs» et, malgré l'appui du Globe and Mail, on imagine mal une «dionmanie» embraser l'Ontario.
De prime abord, avec son étiquette progressiste, Bob Rae semble moins détestable, mais il aurait l'incontestable avantage d'être un adversaire beaucoup plus redoutable pour M. Harper, et sa conception du fédéralisme est très similaire à celle de M. Dion.
Quand ce dernier a décidé de tenir son Forum des fédérations à Mont-Tremblant, à la barbe du gouvernement Bouchard, c'est à M. Rae qu'il en avait confié la présidence. Que l'un ou l'autre devienne premier ministre, c'en est fait de tout espoir de réforme constitutionnelle.
D'ailleurs, quoi de mieux qu'un ancien premier ministre de l'Ontario pour illustrer la véritable nature du PLC, devenu un parti essentiellement ontarien? Mon ami [Don Macpherson, de The Gazette->3171], a bien décrit l'atmosphère qui règne au Palais des congrès depuis que le cirque libéral a débarqué. On y entend si peu de français qu'on pourrait se croire au... Yukon, écrivait-il hier.
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Les péquistes et les libéraux fédéraux ont toujours été les meilleurs ennemis du monde. Depuis trente ans, l'élection ou la réélection d'un gouvernement libéral à Ottawa a immanquablement été le prélude à une victoire du PQ, sauf en 2003.
Inversement, en 1984, Brian Mulroney avait ouvert la voie au retour de Robert Bourassa en se faisant élire sur la promesse de ramener le Québec dans le giron constitutionnel «dans l'honneur et l'enthousiasme».
Cette fois encore, il est impérieux pour Jean Charest que Stephen Harper soit toujours premier ministre du Canada quand lui-même déclenchera des élections générales au Québec. L'amitié entre les deux hommes a peut-être un peu tiédi depuis quelque temps, mais la motion sur la reconnaissance de la nation québécoise a scellé la réconciliation. Mieux encore, M. Harper envisage maintenant de limiter formellement le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, qui constitue le principal grief du Québec depuis des décennies.
Dès le début de la campagne électorale de 1998, M. Charest s'était fait scier les jambes par Jean Chrétien, quand ce dernier avait déclaré que la Constitution n'était pas un magasin général. La perspective d'un retour au pouvoir des libéraux à Ottawa n'a rien de rassurant à la veille d'une nouvelle campagne.
À tous égards, Michael Ignatieff représente le meilleur candidat pour le PLQ. Au mieux, il va se faire battre par les conservateurs. Au pire, il pourrait limiter les dégâts en prévenant un retour aux excès du trudeauisme.
Malheureusement, dans le passé, l'arrivée d'un gentil garçon à la tête du PLC a réservé d'aussi mauvaises surprises aux fédéralistes québécois que celle d'un vilain aux souverainistes. L'apathie des Québécois face aux attaques répétées du tandem Chrétien-Dion a découragé Lucien Bouchard au point de le pousser à la démission. Et qui regrette aujourd'hui le départ de Paul Martin?
mdavid@levoir.com


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