Passage de Michael Ignatieff à TLMP

Ces questions que l'on ne pose pas à TLMP

Course à la chefferie du PLC


Guy A. Lepage recevait, ce dimanche 8 octobre 2006, Michael Ignatieff, député libéral et candidat à la chefferie du PLC, à l'émission Tout le monde en parle.

Guy A. Lepage se prétend indépendantiste, progressiste et pacifiste.

Guy A. Lepage prétend éclairer le public sur les sujets dont tout le monde parle et être maître de ses questions à ses invités. À quoi pouvait-on s'attendre lors du passage de Michael Ignatieff?

On pouvait d'abord s'attendre à ce que M. Lepage questionne Ignatieff sur son appui sans réserve à la croisade yankee en Irak en 2003. Cela n'aurait-il pas intéressé les Québécois? Pas une question ne porta là-dessus.

On aurait pu penser que l'animateur demanderait à M. Ignatieff d'expliquer son appui au bouclier antimissiles américain, d'autant plus qu'Ignatieff favorisait la complicité du Canada en ce domaine. Pas un mot sur cette question.

On pouvait au moins espérer que Lepage demande à son invité d'expliquer pourquoi ce dernier appuie certaines formes de torture dans la guerre contre le « terrorisme » (privation de sommeil aux détenus, vacarme dans les cellules, lumière permanente, etc.). L'animateur ne semble même pas avoir songé à cela.

Ignatieff a défendu la « technique » des assassinats ciblés dans la guerre contre le « terrorisme » dans certains de ses écrits. Lepage cautionne cette vision de la justice internationale? En tout cas, il ne la questionne pas : aucune question là-dessus lors du passage d'Ignatieff.

On aurait aussi pu penser que le populaire animateur demanderait à Ignatieff pourquoi, dans son livre Blood and Belonging et dans un documentaire du même nom vu par des millions de personnes, le candidat à la chefferie libérale s'était fait le chantre du Quebec bashing et avait dépeint le Québec comme une société tribale, réactionnaire et xénophobe entretenant un nationalisme primaire et extrémiste. C'était rêver.

Dans Blood and Belonging, Ignatieff a également tenu des propos envers les Ukrainiens qualifiés par plusieurs d'«ukrainophobes ». Cela a fait grand bruit au Canada anglais. Au Québec, peu de gens sont informés de cette polémique. Une question là-dessus n'aurait pas été appropriée? Lepage s'est gardé d'aborder le sujet.

Lepage aurait au minimum pu demander à Ignatieff de développer un peu sa pensée sur son rejet de la loi 101 à cette époque alors qu'il présentait la « police de la langue » au Québec comme une gestapo des temps modernes et qu'il comparait la législation linguistique québécoise aux lois lettones en la matière. Mais non, Lepage a plutôt laissé la chance à Ignatieff de dire que, maintenant, il appuie la loi 101.

Dans le même sens, Lepage a laissé dire à Ignatieff qu'il appuie à 100% le protocole de Kyoto. Aurait-il pu au moins lui demander pourquoi alors il a qualifié ce protocole sur la protection de l'environnement d'« énorme handicap politique », et ce, pas plus tard qu'en mai dernier? Cela aurait sans doute perturbé le ton éminemment complaisant de l'émission, alors que Lepage s'est même permis d'appeler le politicien fédéraliste par son prénom.

Les Québécois sont soucieux des libertés individuelles. Le sujet les intéresse. Ignatieff, pour sa part, est en faveur du contrôle des identités par données biométriques et serait d'accord pour que les pouvoirs du président des U.S.A. soient renforcés dans la guerre au « terrorisme ». Il a semblé impertinent pour M. Lepage d'aborder ces sujets.

Au minimum du minimum, Guy A. Lepage aurait pu poser certaines questions sur la vision qu'entretient Ignatieff sur l'histoire du Québec. Par exemple, M. Lepage est-il d'accord avec Ignatieff qui prétend que la Conquête anglaise a apporté la liberté aux Canadiens français? Il faut croire que oui.

Par ailleurs, Ignatieff s'est montré réfractaire à ce que le Québec joue un quelconque rôle sur la scène internationale, même au sein de Team Canada à l'Unesco. Des questions là-dessus? Pas une.

De plus, Lepage a laissé à son invité une magnifique tribune pour dire qu'il reconnaissait la nation québécoise. Un minimum de rigueur de la part de M. Lepage aurait été de souligner que la contrepartie de cette admission symbolique est qu'Ignatieff est totalement fermé aux demandes du Québec, notamment en ce qui concerne le déséquilibre fiscal, sujet d'intérêt majeur actuellement. En effet, le député libéral ne veut concéder aucune partie de l'assiette fiscale au Québec pour régler le déséquilibre. Cette question n'intéresse pas les Québécois?... Ils seraient à tout le moins intéressés d'apprendre qu'Ignatieff parlait encore en mars dernier (lors d'un discours à l'Université d'Ottawa) d'un seul peuple au Canada. Pas de question sur cela.

Ignatieff affirme que si le Québec ne respecte pas la loi fédérale C-20 (dite de la « clarté ») au prochain référendum sur la souveraineté, la guerre civile risque d'exploser au lendemain de l'exercice démocratique. Lepage a-t-il eu peur de lui demander de préciser sa pensée? Espérons-le, car si M. Lepage pense que ces questions ne sont pas d'intérêt public, il a toute une vision de la chose politique! Et si M. Lepage croit que ce n'est pas son boulot que de poser de telles questions politiques cruciales à ses invités politiciens, qu'il renomme son émission Besoin d'amour.

Voilà quelques exemples de choses que vous n'aurez pas apprises sur Ignatieff, puisque le but de l'entrevue n'était pas de le connaître et de le questionner, à l'évidence, mais bien de le présenter complaisamment en évitant les questions controversées.

Bien sûr, l'équipe de Tout le monde en parle répliquera que certaines des questions soulevées dans mon papier ont été abordées mais coupées au montage. C'est possible mais c'est donc qu'elles n'existent pas dans l'espace public en raison d'un choix éditorial que je me retiendrai de qualifier de révélateur.

On répliquera aussi, cela est facile, que je tente de « ploguer » mon dernier pamphlet. Les Éditions du Québécois se développent depuis quatre ans sans appui aucun des canaux médiatiques. Et nous ne tentons pas de nous y faire des amis. On laisse cela à d'autres. La preuve en est ce papier.

Cependant, il est clair qu'un minimum de rigueur aurait dicté que l'animateur fasse mention ne serait-ce que de l'existence du seul ouvrage à jamais avoir été publié sur Ignatieff (Michael Ignatieff : un danger pour le Québec?), d'autant plus qu'il constitue un essai polémique très critique à l'endroit du politicien. Bref, une façon de connaître l'autre côté de la médaille. Le journal Le Devoir n'a-t-il pas cru bon y consacrer une de ses principales critiques dans son exemplaire du samedi? À l'opposé du spectre médiatique, TQS n'a-t-il pas jugé bon recevoir l'auteur en entrevue dans le cadre de son bulletin de fin de soirée? Et ce n'est pas parce que l'équipe de TLMP ne connaît pas l'existence de l'ouvrage : on nous a demandé une copie de presse supplémentaire de toute urgence le mardi précédant l'émission.
Toutefois, il semble que, pour Radio-Canada, cet ouvrage n'existe pas. Ou ne doit pas exister, diront certains. En regard du traitement favorable réservé à Ignatieff sur les ondes de Radio-Canada, peut-on penser que certains ont eu peur de faire mal paraître le possible futur premier ministre du Canada à la société d'État fédérale?...

Guy A. Lepage se prétend indépendantiste, progressiste et pacifiste.

Guy A. Lepage prétend être maître de ses questions à ses invités : c'est à espérer que non.

Pierre-Luc Bégin
Directeur des Éditions du Québécois
Auteur de Michael Ignatieff : un danger pour le Québec?


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    11 octobre 2006

    Monsieur Bégin,
    J'ai lu avec intérêt votre texte. Je vais vous dire ce que je pense:
    Guy A. s'est fait "passer un savon" par ses patrons et peut-être même a -t-il
    été menacé de congédiement...
    Une chose que vous n'avez pas mentionnée:
    est-ce que Guy A. va recevoir les autres candidats à la
    chefferie?
    Les élections s'en viennent: Radio-Canada-Gesca commence
    à s'activer! Ils seront à surveiller.
    Merci de votre travail, j'attends le prochain journal Le Québécois.
    Thaïs Potvin