Analyse de l'IRIS

Le Plan Nord ne serait pas rentable pour Québec

le déficit du Plan Nord s'élève à 8,45 milliards pour les contribuables québécois

PLAN NORD - gérer nos richesses naturelles




Le dossier du Devoir sur le Plan Nord
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Alexandre Shields - Non seulement le Plan Nord si cher à Jean Charest ne représente pas l'eldorado que son gouvernement vante depuis des mois, mais ce vaste chantier de développement industriel a toutes les chances d'être déficitaire pour l'État québécois. C'est ce que soutient l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques dans une analyse obtenue par Le Devoir.
«Selon notre scénario le plus optimiste, le manque à gagner entre les revenus et les dépenses prévues par le gouvernement est de 2,3 milliards de dollars sur 25 ans, a calculé Bertrand Schepper, auteur de cette analyse et diplômé en administration des affaires à HEC Montréal. Cependant, nous constatons aussi que le gouvernement sous-estime grandement certaines dépenses liées au Plan Nord. Par exemple, il ne s'attarde pas à l'effet de la croissance rapide de la population sur le coût des services sociaux dans ces régions éloignées, ni aux coûts des crédits d'impôt remboursables pour l'exploration minière. Au final, le gouvernement devra payer 8,45 milliards de plus que ce qu'il recevra du Plan Nord.»
Selon ce que prévoit le gouvernement libéral, le «chantier d'une génération» devrait rapporter 14,2 milliards de dollars au trésor public sur une période de 25 ans. Ce montant comprend les recettes fiscales, les droits miniers et les redevances hydrauliques. Et ce plan de développement centré sur l'exploitation minière doit permettre de créer et de maintenir une moyenne de 20 000 emplois par année.
Or, l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) estime que les retombées ne seront pas suffisantes pour permettre à l'État de dégager un excédent, en raison de l'importance des dépenses gouvernementales liées au Plan Nord.
Québec a prévu des investissements totaux de plus de 80 milliards sur 25 ans. De ce montant, une somme de 33 milliards est inscrite comme étant une combinaison d'investissements publics et privés. Ces dizaines de milliards doivent servir au déploiement de l'industrie minière et des infrastructures — routes, ports, aéroports, voies ferrées — sur un territoire de 1,2 million de kilomètres carrés. Impossible cependant de savoir quelle portion de cette facture sera acquittée à même le trésor public. Partant de ce qu'il estime être le «scénario optimiste du point de vue du contribuable», Bertrand Schepper a évalué que la part du secteur privé et celle du public seront équivalentes. Cela veut dire que le gouvernement investirait pas moins de 16,5 milliards de dollars.
Uniquement d'ici cinq ans, les libéraux entendent consacrer 1,2 milliard aux infrastructures du Plan Nord. Cette enveloppe comprend entre autres le prolongement de la route 167 pour rejoindre un projet de mine de diamants, d'autres projets routiers et la construction de logements au Nunavut. Mais l'IRIS estime qu'il faudrait y ajouter des sommes pour l'entretien des routes, surtout dans un contexte où les infrastructures seront exposées à «des températures extrêmes et de lourdes charges routières dues à l'exploitation minière. Nous pouvons donc déjà prédire une hausse importante des coûts inclus dans les prévisions budgétaires du Plan Nord».
Cette facture ne tient pas non plus compte de possibles dépassements de coûts. Dans le cas de la route 167, ceux-ci seront entièrement assumés par les contribuables, a reconnu le ministre des Ressources naturelles, Clément Gignac. Il a aussi évoqué récemment la possibilité de prolonger la route plus au nord.
Développement risqué
Qui plus est, plusieurs municipalités de la Côte-Nord ont appelé Québec à investir de toute urgence des centaines de millions dans les infrastructures de logement, de services de garde et de voirie en raison de l'afflux de travailleurs. La pénurie de logements a par exemple fait grimper le prix d'une maison à plus de 300 000 $ à Sept-Îles. Ce développement effréné est très risqué, estime M. Schepper, puisque «rien ne laisse présager que les villes du Nord se développeront de manière à échapper à une mono-industrialisation créatrice d'inégalités sociales».
L'IRIS considère par ailleurs qu'en plus des 16,5 milliards, le gouvernement devra, sur une période de 25 ans, ajouter une somme de près de 6 milliards de dollars pour «absorber les effets socio-économiques d'un boom minier et de la hausse de population qui s'ensuivra». L'organisme évalue que la facture pour les services en santé et les services sociaux devrait avoisiner 1,7 milliard. S'ajouteraient à cela au moins 1,5 milliard pour l'entretien des routes et 1,2 milliard en crédits d'impôt pour les minières. Sans oublier la restauration des sites miniers abandonnés, qui pourrait atteindre 1,25 milliard. Des estimations «conservatrices», selon M. Schepper.
«Au final, analyse donc le regroupement de chercheurs, le Plan Nord, dans son montage actuel, nous apparaît exagérément favorable à l'entreprise privée en faisant porter la plus grande part des risques aux contribuables québécois en échange de faibles retours sur leur investissement collectif. En effet, entre ce que le gouvernement investira sur 25 ans et ce qu'il obtiendra en redevances, le déficit du Plan Nord s'élève à 8,45 milliards pour les contribuables québécois.»
Ces manques à gagner n'incluent pas les investissements de 47 milliards prévus pour Hydro-Québec, a précisé l'IRIS. L'ancien premier ministre Jacques Parizeau et des économistes ont remis en question la pertinence de continuer sur la voie de la grande hydraulique et toujours plus vers le nord, avec les coûts prohibitifs que cela implique. Il faut rappeler que Québec accorde déjà le tarif L — 4,5 ¢ le kilowattheure (kWh) — à des entreprises minières. Or, le coût de nouveaux projets comme celui de la Romaine atteint plutôt 10 ¢/kWh.
Et quoi qu'on fasse, le poids du secteur minier dans l'économie québécoise — actuellement de 1,6 % du PIB — demeurera faible. «Les nouveaux projets vont accroître ce pourcentage, faisait valoir M. Parizeau en novembre dernier, mais de là à considérer le Nord québécois comme la "nouvelle frontière", comme la source du financement de l'expansion des services de santé et d'éducation, il y a une marge. Tout cela relève de l'inflation verbale. L'avenir du Québec est lié à l'économie du savoir, pas à l'exploitation du fer.»


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