Nous assistons avec l’entrée dans cette nouvelle décennie à ce que certains sociologues et politologues appellent un collapsus de la représentation politique. Les strates catégorielles ne tiennent plus la route. Au-delà des oppositions binaires – et simplistes – gauche et droite ou progrès et tradition, c’est toute la dialectique héritée de la révolution des lumières qui passe à travers les fourches caudines d’un populisme qui reprend du tonus. Beaucoup de tonus.
Les sociologues nous préviennent que l’élite oligarchique disqualifie le populisme en cela qu’il renvoie à l’expression d’une certaine souveraineté populaire sur les affaires de l’état. Il faut lire l’intéressant essai de Jacques Rancière sur la question. Le philosophe Rancière nous ramène à l’éternelle question du style et de la manière des discours qui s’adressent «directement au peuple par-delà ses représentants et ses notables». Autre chose que la langue de bois. Toutefois, le populisme serait-il une aptitude à se reconnecter de façon symbiotique avec le peuple d’une nation donnée ou plus subtilement un raccourci trompeur afin de disqualifier ceux qui pratiquent la langue de bois, tout en ne manifestant pas clairement ses véritables intentions ?
Les ventriloques
Jacques Rancière pointe du doigt les démagogues – sauce Berlusconi ou Sarkozy – qui prennent un ton populiste tout en se gardant bien de «propager l’idée populiste que les élites sont corrompues». D’après lui le terme ou l’acception «populisme» serait un agrégat d’impressions et de concepts servant «à dessiner l’image d’un certain peuple». Puisque, toujours selon le principal intéressé, «le peuple n’existe pas».
Comme au théâtre il y aurait des figures, des avatars de la communication qui représenteraient diverses facettes du peuple. Il souligne, au final, que «la notion de populisme construit un peuple caractérisé par l’alliage redoutable d’une capacité – la puissance brute du grand nombre – et d’une incapacité – l’ignorance attribuée à ce même grand nombre». Il nous semble que cette analyse est pertinente au niveau des mécanismes de la représentation politique. Toutefois, le distinguo manque cruellement entre l’avènement d’un populisme qui serait l’expression d’une authentique prise de conscience des couches «populaires» de la vacuité du discours et, dans un registre plus machiavélique, l’utilisation d’un populisme servant à manipuler les foules en faisant appel à l’instinct grégaire et à certaines pulsions inavouables.
Les politiciens sont d’habiles ventriloques qui font dire à leurs adversaires des choses qu’ils pensent ou défendent en catimini. Ainsi, on assiste à la dérive, au délitement, du rapport entre les avatars du discours politique et le sens de cette communication. L’hiatus entre les outils et les intentions contribue grandement à causer l’actuelle désillusion des couches populaires face à la chose politique. Dans un contexte où les forces conjuguées de la finance mondialiste jouent sur les mouvements de flux de capitaux afin de déstabiliser le monde économique, le retour d’une certaine forme de populisme peut être un mouvement de balancier salutaire.
La vulgate des prédateurs
Les opérateurs des marchés boursiers prélèvent une ristourne sur les transactions dont ils ont la charge. La même logique s’applique en politique, alors que la classe dirigeante prélève des bakchichs sur les opérations qu’elle mène sur le terrain des services à la population, de la réfection des infrastructures ou de l’encadrement des stratégies de développement économique. Le jargon politique est vulgarisé par les médias. Cette vulgate sert d’argumentaire afin de faire avaler des mesures qui sont de moins en moins «digestes» pour les classes populaires. Ainsi, on concèdera des droits d’exploitation minière forts généreux à des entreprises étrangères sous prétexte de relancer l’économie des régions. Rien de vraiment sérieux sera entrepris en termes macroéconomiques afin d’évaluer les retombées objectives des opérations anticipées sur une région donnée. L’important demeurant l’impact des investissements et des profits sur les bakchichs escomptés.
Dans le même ordre d’idée le Fonds Monétaire International – ou d’autres instances de crédit – forcera un gouvernement à réduire de façon drastique les services à la population. Évidemment, la vulgate perfide des prédateurs parlera du déficit qu’il convient de résorber par des ponctions ciblées. Toujours rien sur les effets en cascade de l’effondrement des services à la population dans un contexte où l’économie n’est pas une discipline coupée de la réalité sociologique ou culturelle.
Le populisme pourrait être l’expression du désir d’abolir cette vulgate qui ne fait pas correspondre les intentions réelles avec les affirmations de la classe politique. Au-delà de sa récupération par certains démagogues mal intentionnés, il s’agit peut-être d’un mouvement de fond qui correspond à un ras-le-bol qui tente de se transformer en quelque chose de positif. Et, c’est ici qu’il faut parler du peuple.
L’éclatement de l’identitaire
Sans partager nécessairement l’ensemble de ses idées, nous croyons important de souligner quelques concepts mis de l’avant par le jeune intellectuel Mathieu Bock-Côté. Le principal intéressé pointe du doigt les effets pervers du multiculturalisme – et de ses nombreux avatars politiques – sur la cohésion de l’identité et des valeurs d’une nation.
Il situe le concept de nation au niveau de la formation d’une «communauté historique». Donc, la nation serait le produit de l’histoire, mais dans un contexte où l’état joue un important rôle d’agrégation. Justement, les opposants du nationalisme québécois joueraient sur la peur de la «régression identitaire» - et du tribalisme correspondant – pour faire en sorte que l’état se désengage de la protection et de la promotion d’une culture correspondant à la dite «communauté historique». Il s’agit là d’une séquence de raisonnement qui nous semble féconde dans la mesure où elle identifie ce mouvement de délitement du rôle de l’état dans un contexte où l’arène politique a été investie par des forces motrices qui sont exogènes. Sans prêter flanc aux démagogues qui voient de la théorie du complot partout, nous insistons sur le fait que la sphère politique est désormais bel et bien assujettie à la sphère financière cosmopolite et mondialiste.
Un processus perverti
La nature endogène de la politique – soit ses constituantes citoyennes et territoriales – serait donc inféodée à sa nature exogène – soit les pressions du grand capital et de la politique internationale. Le peuple, si cette catégorie s’explique, serait invité à voter pour des politiques locales favorisant une harmonisation de l’endogène avec l’exogène. Et, la sphère politique fonctionnerait un peu comme la pellicule qui enrobe le médicament et en permet l’ingestion. Au final, la classe politique jouerait un rôle de relationniste pour le compte de puissants groupes d’intérêt qui tentent de faire tomber toutes formes de protection tarifaire, culturelle ou frontalière. La gestion des flux de capitaux, de matériaux et de la main d’œuvre correspondante finirait par abolir le rôle de l’état en termes de gestion des rapports politiques au sein de la cité.
C’est de cela dont il est question dans le Maghreb, au Moyen-Orient, dans certains pays Africains, mais tout autant en Europe méditerranéenne et, dans une certaine mesure, au Québec. Par-delà l’expression de diverses formes d’exaspération des populations houspillées par le grand capital, on peut déceler l’émergence d’un désir de transparence et de réappropriation du discours politique – et de ses instruments – par les classes populaires. Les épiphénomènes idéologiques ou socioculturels n’auraient pas d’incidence lourde, selon nous et un nombre croissant d’observateurs, sur les fondements de cette montée en puissance du populisme et de ses avatars en termes de communication politique.
La démocratie directe
Le philosophe Alain de Benoist affirme que le populisme n’a pas de contenu idéologique, qu’il serait plutôt une forme ou un style politique. Et, c’est la crise de la représentation politique qui serait dangereuse et non pas le populisme. On serait face à deux formes de populisme en définitive. Celui qui s’adresse au peuple et prétend parler en son nom et celui qui consiste à créer les conditions qui feront en sorte que le peuple prenne la parole.
Poussant son analyse un cran plus loin, de Benoist affirme même que la notion de démocratie représentative serait d’essence oligarchique, puisque plus il y a de représentation … moins il y a de démocratie réelle. Donc, nous serions empêtrés dans un procès politique fondé sur le paraître et non plus cette ontologie citoyenne qui présidait aux destinées de l’agora de la cité. La montée en puissance du populisme – au sens de l’action politique et non pas de la politologie – traduirait donc le marasme profond dans lequel le monde politique est plongé depuis plusieurs décennies.
À contrario d’autres régions du monde, le Québec semble incapable de fédérer le mécontentement des classes populaires face à la duplicité d’un bipartisme nauséeux qui ne sert qu’à la spoliation de nos richesses naturelles et de nos acquis sociétaux. Les courants populistes – agitant certains médias ou tribunes – s’opposent à une élite politico-médiatique qui, tel un chancre, vampirise totalement le discours politique. Les classes populaires – travailleurs salariés, travailleurs autonomes, résidus de la classe moyenne et petits producteurs – n’y trouvent pas leur compte et s’abstiennent de voter. Ainsi, de puissants condottieres se font réélire au provincial et au municipal avec des taux de votation ridiculement bas.
Il y a péril en la demeure au pays du Québec, dans un contexte où les forces politiques alternatives sont incapables de se coaliser afin de proposer une troisième voie à l’alternance binaire qui favorise le marasme politique et la dégradation des rapports sociaux qui s’en suit. Pour que cette troisième voie émerge, il faudrait que l’expression du ras-le-bol des classes populaires puisse se coaguler dans une forme ou une autre d’un populisme qui ne serait pas instrumentalisé par d’obscurs lobbies.
C’est ici qu’il importe de réhabiliter ce qu’il est convenu d’appeler la «culture populaire», dans le sens d’une prise de parole par le plus grand nombre. Pour que les maux soient nommés, que les coupables soient désignés et qu’une action politique soit entreprise. Peu importe la nature de cette action, l’important étant qu’elle origine de la base. Et qu’elle soit fédérée par des activistes qui soient autre chose que des mercenaires à la solde du grand capital ou de ses nombreux avatars médiatisés.
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
23 mars 2011Vous avez les yeux bien allignés dans les trous, M. Perrier.
Bravo pour ce portrait du Québec on ne peut plus ressemblant.
Jean-Claude Pomerleau Répondre
23 mars 2011Le Pape de la monidalisation, M David Rockefeller, a communiqué sa vision de la philosophie de l’ordre marchand lors d’une réunion du fameux groupe Bidelberg à Baden-Baden (Allemagne) en Juin 1991 : "(…). The supranational sovereignty of an intellectual elite and world bankers is surely preferable to the national auto-determination practiced in the past centuries."
L'enjeu c'est l'État: Qui le contrôle et au profit de qui. (Aristote)
Mais l'État est d'abord organique (Encore, Aristote).
Et il arrive péridioquement dans l'histoire que la bête se réveil pour reprendre ses droits à la souveraineté et reprend en mains pour quelques temps les leviers de l'État. Compte tenue de la situation actuelle au Québec, à t on idée de l'urgence de le faire !
JCPomerleau