Le pouvoir de se créer

Chronique de Claude Bariteau


En 1982, Pierre Elliott-Trudeau ferme la porte aux rêves de plusieurs
Québécois, toutes origines confondues, de vivre dans le Canada comme ils le
souhaitent. Du coup, il édifie un mur de désespérance, que Jacques Parizeau
n’arrive à bannir de leur esprit en 1995. Depuis, ces rêves, qui perdurent,
se transforment de jour en jour en d’innommables cauchemars.
Le sondage dévoilé les 7 et 8 mai dans Le Devoir le révèlent. Les
Canadiens sont en mode affirmatif et nient aux Québécois quasi tout, sauf
de rêver, alors que ces derniers s’engoncent dans des mirages
assujettissants tellement ils ne s’estiment pas équipés pour se prendre en
main.
Ce point est majeur. Au Québec, les revers, qui furent nombreux depuis la
reddition de Montréal le 8 septembre 1760 (1763, 1775-76, 1837-38, 1980 et
1995), et des alliances douteuses avec les détenteurs du pouvoir, notamment
celles de 1840, 1867 et 1984, ont concouru au déploiement d’une logique
d’opposition associée à une attitude d’attentes, ce qui ressort du sondage
Crop réalisé pour le compte d’un organisme dénommé L'Idée fédérale.

Ce déploiement entrave l’affirmation et l’action, deux éléments essentiels
pour se révéler. Plus j’y réfléchis, plus je suis convaincu que leur
activation nécessite simplement de faire ce que d’autres peuples ont
réalisé avec succès : 1) concevoir le pays que nous voulons, ce qui
implique de se projeter dans le monde; 2) préciser les contours du régime
politique et ceux de la citoyenneté; 3) procéder selon les règles reconnues
pour devenir un État indépendant du Canada.
Un pays, c’est un peuple qui instaure politiquement son autorité sur un
territoire, précise les règles de vie commune, choisit ses priorités et
établit des liens avec les autres pays. Dans tout pays démocratique, il
revient aussi au peuple de définir les assises de la gouvernance politique.
Quant au processus menant à la reconnaissance d’un pays, il nécessite
l’aval de l’État souche. Ce peut être par référendum. C’est connu. L’est
moins que sa tenue nécessite une entente entre les parties, car, sans elle,
l’État-souche est dans une position avantageuse.
Au Québec, s’il y a des hésitations à quitter la désespérance, c’est en
partie parce que ces points demeurent problématiques. Le pays est pensé en
imaginant un lien, économique ou autre, avec le Canada. Le cadre d’ensemble
du projet politique n’est pas clairement précisé, la citoyenneté demeure
floue, le « vivre ensemble », objet de tensions, et notre arrimage au monde
à peine développé. Quant au processus, le recours au référendum est
mythifié.
Pour préciser tout ça, il faudra radier les ambiguïtés et nous projeter
collectivement dans le monde. Autrement, la désespérance qui nous mine
depuis 1982 et encore plus depuis 1995, deviendra une source de lamentables
lamentations dont tirent profit nos adversaires, surtout ceux qui
s’investissent à nous distraire pour que nous continuions à rêver et à
attendre. Pour inverser cette dynamique, il faut plutôt activer la bombe à
retardement qui gît en nous.
***
Claude Bariteau, anthropologue
-- Envoi via le site Vigile.net (http://vigile.net/) --

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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