On croirait rêver. Le premier ministre Harper s'apprête à signer une entente majeure de libre-échange avec l'Union européenne. Et quelle est la réaction au Québec? On craint que cette entente, en ouvrant la porte à plus de fromage européen, menace notre industrie laitière.
La réaction est réductrice, quand on pense à la disproportion entre les problèmes limités que pourrait connaître l'industrie fromagère et le caractère historique de ce traité de libre-échange qui nous ouvrirait davantage les portes d'un marché plus grand que celui des États-Unis. Le Québec n'est pas qu'une grosse ferme laitière.
Un traité de libre-échange consiste à éliminer ou à réduire les barrières qui entravent le commerce. Cela mène à des négociations musclées où chaque partie essaie d'obtenir le maximum de concessions pour ouvrir le marché de son partenaire, tout en tentant de protéger son propre marché.
Il est très clair que le Canada a fait des concessions du côté de l'industrie laitière. Celle-ci est régie par un système de gestion de l'offre, où la production est limitée par des quotas pour maintenir les prix et les revenus agricoles élevés, ce qui ne fonctionne qu'en fermant nos frontières. Il est impossible pour un autre pays de vendre son fromage au Canada, parce qu'il sera frappé d'un tarif moyenâgeux de 256%, à moins que le Canada lui accorde un permis d'importation. Jusqu'ici, l'Europe avait le droit de vendre 13 471 tonnes de fromage. Ce qui était l'un des points de friction des négociations. L'entente permettra 17 700 tonnes de plus.
Avant de déchirer notre chemise collective, pensons aussi aux gagnants, les firmes-conseils, le secteur manufacturier, les ressources naturelles, d'autres secteurs agricoles, comme le boeuf et le porc. Pensons aussi à l'économie dans son ensemble, dont la vitalité dépend beaucoup de notre capacité d'exporter. Pensons à l'importance de diversifier nos marchés pour réduire la dépendance à l'égard des États-Unis. Pensons aussi aux consommateurs qui auront accès à des fromages à meilleur prix. Il faut mettre tout ça dans la balance.
Il faut aussi tenir compte de l'impact réel de cette concession. Ces 17 700 tonnes additionnelles de fromage européen représentent 4,2% d'un marché de 413 670 tonnes, soit 4,2%. Et comme le fromage représente en gros la moitié des débouchés de l'industrie laitière, l'entente n'affectera qu'environ 2% du secteur.
Mais le Canada produit surtout du cheddar, du mozzarella et autres fromages à pizza. Le fromage européen menacera plutôt le secteur beaucoup plus restreint des fromages fins. En arrondissant, le Canada produit 70 000 tonnes de fromages fins - dont près de la moitié au Québec. Auquel il faut ajouter les importations actuelles, 20 000 tonnes. Les 17 700 tonnes additionnelles représenteront 20% du marché, ce qui est beaucoup, quoiqu'une partie sera absorbée par la croissance et la transformation de la demande. Au bout du compte, c'est peut-être quelque chose comme 10% de ce petit secteur qui sera affecté, et qui devra apprendre à fabriquer et à vendre du fromage à un prix plus abordable.
Ce débat ne devrait même pas avoir lieu. Mais il faut compter avec la puissance du lobby du lait et son extraordinaire maîtrise du chantage. Et avec le contexte politique. Le ministre québécois responsable du Commerce extérieur, Jean-François Lisée, s'est opposé à cet accroissement des importations européennes. On imagine la belle chicane avec Ottawa que l'on accusera de sacrifier notre fromage, avec ses odeurs identitaires, pour soutenir le boeuf de l'Ouest. [Caractères gras de Vigile]
L'industrie laitière, à cause du système de gestion de l'offre qu'elle défend avec acharnement, est, par définition, vouée à la stagnation, parce qu'elle ne peut pas exporter. Ce serait un non-sens de sacrifier l'avenir de secteurs de croissance pour protéger une industrie qui a choisi une forme de plafonnement.
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