Chronique #13

Le roi dollar - échec et mat

L'opinion de Bernard Landry


Pendant plus d'un demi-siècle, les États-Unis d'Amérique ont rendu un immense service à l'humanité, tout en servant magnifiquement leurs propres intérêts. Ils furent les banquiers centraux du monde et gérèrent une sorte de monnaie mondiale universellement acceptée. "In God We Trust", c'était écrit dessus, et le monde s'est effectivement fié à lui! Il est ainsi resté sans rival depuis la seconde guerre mondiale.
Les États-Unis ont pu assumer efficacement cette tâche en raison du prodigieux succès économique de leur pays: importante population, vaste territoire aux richesses diversifiées, ouvert sur deux océans. Avec en plus une respectable démocratie, et peut-être d'abord et avant tout, les meilleures universités du monde qui constituent, aujourd'hui encore, leur meilleur atout pour vaincre l'adversité présente.
Ils inspiraient donc confiance et étaient, en fait et à presque à tous les égards, la première puissance du monde. Il était donc normal que leur monnaie jouisse d'un prestige à la hauteur de leurs succès. Avant eux, les Britanniques qui avaient eux aussi dominé le monde tout en jouant le rôle moins glorieux d'une puissance coloniale, avaient réussi à hisser leur monnaie au rang de devise mondiale.
Le fait d'être les banquiers centraux de la planète comporte des responsabilités énormes, mais aussi l'avantage et le privilège inestimable d'imprimer de l'argent presque à volonté. Pendant des décennies, le banquier a agi d'une façon tout à fait responsable et l'on a eu tendance à lui accorder une confiance illimitée. Les États-Unis détenaient, pour garantir la valeur de leur monnaie, des réserves d'or énormes, en fait les plus importantes du monde, qu'ils entreposaient à Fort Knox. Ils s'engageaient à vendre et acheter avec une discipline exemplaire, et cela pendant des années, l'once d'or à prix constant. Durant très longtemps, par exemple, et jusqu'à la fin des années soixante-dix, ce prix fixe fut de soixante-dix dollars.
La confiance dont jouissait le roi-dollar était telle que les États-Unis l'ont un jour déconnecté de l'or sans même qu'il ne perde son rôle mondial. Tout pouvait s'acheter en dollars, pétrole compris, et tout le monde était content d'être payé dans cette solide devise. Un certain nombre d'entreprises étrangères et divers pays l'ont même utilisée comme monnaie courante.
Une telle situation privilégiée a fini par rendre l'imprimeur de billets moins rigoureux. C'était à prévoir. Quand on imprime de la monnaie à volonté, pourquoi se priver de dépenser au dessus de ses moyens? Les Américains cédèrent à la tentation et dérivèrent peu à peu vers le double déficit: celui de leur gouvernement et de leur commerce extérieur. Cette situation est reconnue pour générer de graves problèmes.
Dans le cas du commerce extérieur, les Américains achetaient plus à l'étranger qu'ils ne vendaient, et ils imprimaient de l'argent pour payer leurs factures. Dans le cas du budget national, G. W. Bush avec sa catastrophique aventure irakienne confirma un déficit d'une ampleur invraisemblable pour un pays si riche. Il n'eût alors d'autre choix que de se financer à l'étranger.
La Chine, son grand fournisseur de produits bon marché, se contentait toujours de ces dollars moins solides qu'avant mais toujours universellement acceptés. Elle en accumula dans ses réserves des milliers de milliards! Ce sont les Chinois qui financent aujourd'hui les audacieux plans de relance d'Obama.
Tout ces faits ébranlèrent sérieusement la réputation du roi-dollar. L'émetteur en émettait trop, et la confiance s'effrita en proportion. Particulièrement chez ceux qui en avaient d'énormes réserves.
Les Chinois ont eux-mêmes accéléré la décadence du dollar en émettant des doutes à son sujet il y a quelques semaines, et en suggérant qu'il soit remplacé comme monnaie mondiale par une autre devise dont pourrait se charger le Fond monétaire international. Cette attaque frontale contre le souverain monétaire du dernier demi-siècle pourrait bien avoir amorcé la fin de son règne.
Il faut donc nous préparer: ce sera l'oeuvre du FMI, de l'euro, peut-être même du yuan un jour, mais le prix du pétrole sera exprimé autrement qu'il ne l'est aujourd'hui. Ce ne sera plus "In God We Trust", mais une autre monnaie moins divine, plus laïque, universelle et supra-nationale qui deviendra l'instrument des échanges mondiaux.
Adieu et merci au dollar, en souhaitant que son successeur éventuel nous servira aussi longtemps, aussi efficacement, sans finir dans des circonstances aussi tourmentées. Il est en effet souhaitable que le prochain banquier planétaire ne se laisse jamais séduire par le libéralisme religieux qui est en train de ruiner l'actuel


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