Le Sénat pourrait complexifier davantage le travail de Trudeau

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Un Sénat qu'il faudrait réformer en profondeur ou abolir comme l'a fait le Québec


Le mandat de Justin Trudeau pourrait être assez difficile au cours des prochains mois; il ne contrôle ni la Chambre des communes, où les libéraux forment un gouvernement minoritaire, ni le Sénat, qui est plus indépendant et plus éclaté depuis quelques années.




C’est historique, explique le leader du gouvernement en Chambre, Pablo Rodriguez. C’est lui qui est désormais responsable de s’assurer que les projets de loi du gouvernement seront adoptés en temps opportun.


Ça ne veut pas dire que parce que c’est unique que ce n’est pas possible, dit-il.


Est-ce que ça complique le travail du gouvernement ? Oui!, lance Geneviève Tellier, professeure titulaire à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa.



Le gouvernement a besoin du Sénat pour faire adopter ses projets de loi. Et comme le visage de la Chambre haute a changé depuis l’élection de Justin Trudeau, le gouvernement n’a pas le luxe de la négliger.


Ça va être extrêmement difficile pour lui de faire progresser sa législation sans mettre de la pression. Donc, tordre un petit peu de bras pour qu'il puisse avancer dans beaucoup de négociations à venir, soutient le sénateur conservateur Claude Carignan, qui a aussi été représentant du gouvernement Harper au Sénat.


On a eu certains exemples lors du premier mandat des libéraux. Des projets de loi, comme la légalisation du cannabis ou l’aide médicale à mourir ont donné lieu à des débats houleux.


Qu’est-ce qui a changé?


Le principal changement, c'est l'indépendance des sénateurs. Les sénateurs n'ont plus à suivre une ligne de parti. Ils sont libres d'esprit et ils font ce qu'ils veulent, explique la professeure Tellier.


La transformation du Sénat a commencé en 2014, en plein scandale des dépenses, lorsque Justin Trudeau a expulsé les sénateurs libéraux de son caucus. Certains ont vu dans cette décision une façon d’éviter d’être attaqué lors du dépôt du rapport du vérificateur général. Le chef libéral assurait plutôt qu’il s’agissait d’un geste visant un meilleur fonctionnement de l’institution.



Le Sénat est brisé et doit être réparé, avait alors expliqué Justin Trudeau.


Quand il a pris le pouvoir, il a nommé des sénateurs sans affiliation politique. Il a assuré qu’ils sont nommés en fonction de leur mérite et non plus comme récompense partisane, comme c’était souvent le cas dans le passé.


Au cours de son premier mandat, Justin Trudeau a nommé 50 sénateurs.


Une immense salle avec des meubles bruns et un tapis rouge.

La chambre du Sénat.


Photo : Sénat du Canada




L’ex-journaliste André Pratte était l’un d’eux. Il a quitté le Sénat en octobre dernier, l’accusant de ne pas être assez indépendant et d’être malgré tous les efforts, une institution politique partisane.


La sénatrice Raymonde Saint-Germain a aussi été nommée par Justin Trudeau.


Le sénateur [Pratte] a une vision du Sénat qui est très idéaliste et qui diffère peu de la mienne, soutient Mme St-Germain, qui est aussi facilitatrice adjointe du Groupe des sénateurs indépendants.



Ma vision du Sénat, c'est que le Sénat ne remplace pas le gouvernement, et que le sénateur a un rôle de recommandation, de second regard attentif.


Raymonde Saint-Germain, sénatrice


Elle rappelle qu’au cours du premier mandat des libéraux, plusieurs projets de loi du gouvernement Trudeau ont été modifiés : 30 au total, contre un seul lors du dernier mandat du gouvernement Harper. Mais il faut toutefois que les sénateurs comprennent les limites de leur rôle, estime-t-elle.


Ça veut dire qu'une fois que notre travail est effectué et que nous recommandons des amendements, nous allons respecter la volonté ultime de la Chambre des communes et du gouvernement, ajoute-t-elle.


Elle note toutefois qu’en contexte minoritaire, le Sénat pourrait être moins enclin à modifier des projets de loi adoptés par la Chambre des communes, à la suite d’un compromis entre le gouvernement et au moins un autre parti.


Nous aurons ce devoir de précaution, de bien nous assurer que, pour respecter les intérêts des régions, l'équilibre entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif, l'intérêt des personnes vulnérables, des peuples autochtones, que nous ayons bien dans la tête qu'il y a déjà un équilibre qui a été convenu de l'autre côté, dit-elle.


Le conservateur Claude Carignan n’est toutefois pas d’accord.


Imaginez un employeur qui, au lieu de négocier avec un syndicat pour une convention collective, doit négocier avec l'ensemble des salariés, illustre-t-il. En ce moment, il faudrait qu'ils négocient la convention collective avec les 105 salariés pour la faire accepter.



Actuellement, le groupe des sénateurs indépendants est le plus important avec 51 membres. Les conservateurs qui font toujours partie du caucus du parti à la Chambre des communes sont 24. Les sénateurs canadiens, un nouveau groupe formé en novembre, sont 13, et 12 sénateurs n’ont aucune affiliation.


Sur les 105 sièges, 5 sont vacants.


La suite des choses


À court terme, le premier ministre devra trouver un remplacement à Peter Harder, qui a annoncé en novembre dernier qu’il quittait son poste de représentant du gouvernement au Sénat. Son rôle était de présenter les projets de loi et de s’assurer qu’ils seront adoptés.


Pour l’instant, on ne sait toujours pas qui occupera ce rôle.


Les libéraux avaient aussi promis de [maintenir] en place le nouveau processus de nomination du Sénat, non partisan et fondé sur le mérite, et [de mettre] à jour la Loi sur le Parlement du Canada afin qu’elle reflète le nouveau rôle non partisan du Sénat.


Aucun projet de loi à cet égard n’a encore été déposé.




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