Lendemains d'élections

Élections américaines de mi-mandat



Ouf! C'est le cri qui s'est élevé dans la plupart des grandes capitales occidentales. En Europe, où les populations n'ont appris la nouvelle que mercredi matin, le soulagement semblait manifeste. Même des pays qui ont soutenu la guerre en Irak, par exemple la Grande-Bretagne et plusieurs pays d'Europe centrale, ne semblaient pas malheureux que le président le plus idéologue de l'histoire récente des États-Unis ait dorénavant à composer avec un Congrès démocrate.
George W. Bush en a encore pour deux ans à diriger les États-Unis, mais le porte-parole du gouvernement allemand est déjà convaincu que, sous la pression d'un Congrès démocrate, il ne pourra pas faire autrement que d'être plus à l'écoute des Européens. Le premier ministre du Danemark, Anders Fogh Rasmussen, un des alliés les plus solides de George W. Bush, a appelé le président et le Congrès à s'entendre à propos de l'Irak.
Est-ce le signe de quelque chose? Dans le dernier débat télévisé de la campagne interne des socialistes français, la favorite, Ségolène Royal, a surpris tout le monde en disant qu'il fallait laisser le temps aux Irakiens de reconstruire leur pays et à la démocratie de s'installer. Comme si les Européens craignaient plus que tout un retrait en catastrophe des troupes américaines qui mettrait le feu aux portes de l'Europe.
Ces élections auront fait mentir tous ceux qui, il n'y a pas si longtemps, affirmaient que les citoyens américains avaient vendu leur âme au diable républicain. Elles nous obligent à revenir à une lecture beaucoup plus nuancée de la réalité américaine, qui ne se résume pas à une guerre entre évangélistes hystériques et écolos pacifistes.
Plus qu'un changement dans l'orientation d'une administration en fin de course, ce scrutin annonce le retour au centre de la politique américaine. La droite du Parti républicain, entêtée dans sa stratégie en Irak, en sort inévitablement affaiblie. Elle vient d'ailleurs de perdre un de ses représentants les plus intransigeants, Donald Rumsfeld, que George W. Bush aurait dû congédier au lendemain du scandale d'Abou Ghraïb. Sur le terrain, les républicains ont aussi perdu quelques-uns de leurs élus les plus radicaux, par exemple J. D. Hayworth et Randy Graf (Arizona), qui faisaient campagne contre l'immigration.
Le phénomène est moins apparent à gauche, mais ces élections marquent aussi le retour des démocrates à un discours moins pacifiste et moins antimilitariste. C'est ce qui a permis la reconquête d'États comme l'Indiana, la Caroline du Nord et la Virginie. Plusieurs nouveaux élus n'ont pas hésité à se démarquer par ailleurs des positions traditionnelles de la gauche démocrate, comme Bob Casey (Pennsylvanie), opposé à l'avortement, ou Joe Lieberman (Connecticut), qui soutient l'effort en Irak.
Ces élections de mi-mandat laissent donc entrevoir un certain retour au pragmatisme qui a si cruellement fait défaut depuis quelques années. Les démocrates ne sont pas pour autant devant une route sans obstacles. Certains ténors républicains se réjouissent déjà à l'idée de les voir trébucher au Congrès sur la sécurité et la politique internationale, où leur crédibilité est faible. Après avoir repris contact avec l'Amérique profonde, les démocrates devront démontrer qu'ils sont capables de maintenir ce lien. Le sort de la présidentielle de 2008 en dépend.
Cette défaite méritée est sans aucun doute celle de George W. Bush et de son action en Irak. Mais il importe de ne pas tout confondre. George W. Bush peut être tenu responsable de l'incurie de l'intervention américaine. Il peut être accusé d'avoir agi sans la moindre connaissance du terrain. On peut aussi lui reprocher cet amalgame ridicule entre al-Qaïda et Saddam Hussein.
Mais le président ne peut pas être tenu responsable de la guerre civile latente qui ravage ce pays. Certes, Bush a soulevé le couvercle de la marmite, mais il n'est pas responsable de ce qui grouillait dedans. Ce sont des Irakiens pure laine qui font aujourd'hui sauter des mosquées chiites et sunnites, où il n'y a pas l'ombre d'un GI. Comme nous le confiait l'archevêque de Bagdad, Mgr Jean-Benjamin Sleiman, les Irakiens, au lieu de profiter de l'incroyable chance que représentait la chute de Saddam Hussein, pourraient avoir choisi de «réveiller en eux tous les conflits non résolus, toutes les identités frustrées».
Ces nuances sont essentielles. Les Américains ne sont pas plus la cause d'une éventuelle guerre civile irakienne qu'ils ont été responsables de la guerre civile, on ne peut plus réelle celle-là, qui a suivi l'effritement de l'ancienne Yougoslavie. Là-bas comme ici, la disparition d'un tyran a fait éclater les haines qui couvaient entre des peuples maintenus ensemble par la force. Il a fallu plus qu'une décennie pour rétablir une certaine stabilité aux portes de l'Europe. Il se pourrait qu'il en faille autant en Irak.
S'il faut se réjouir du retour au pragmatisme, la pire conséquence de ces élections serait qu'elles annoncent la renaissance de l'isolationnisme américain. Selon un sondage Pew, 42 % des Américains jugent aujourd'hui que leur pays ferait mieux de s'intéresser à ses propres affaires et de se préoccuper le moins possible du reste du monde. C'est le niveau le plus élevé jamais enregistré depuis 1964, année où cette question fut posée pour la première fois.
C'est ce que certains appellent déjà le syndrome irakien. Après un échec militaire, il suffirait d'un ralentissement économique pour mener les Américains à conclure qu'il ne sert à rien de s'intéresser au sort du monde. Le pays ne manque ni de républicains en guerre contre l'ONU ni de démocrates qui détalent à la vue d'un simple canon de fusil. Personne n'a pourtant rien à gagner d'une Amérique isolationniste qui se retirerait confortablement sur son continent. Pas plus d'ailleurs d'un retour à ce réalisme cynique qui laisse aux dictateurs de ce monde le soin de maintenir le calme.
crioux@ledevoir.com


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