Les casseroles déferlent

Le tintamarre se répand aux quatre coins de Montréal et du Québec

Conflit étudiant - Désobéissance civile - 22 mai - un tonnerre d’espoir


Isabelle Porter , Marco Bélair-Cirino , Mélissa Guillemette - Dès le début de la soirée, l’action se divisait dans plusieurs quartiers de Montréal, notamment sur la photo dans Rosemont.
Au lendemain d’arrestations massives à Montréal et à Québec, des milliers de mécontents ont une nouvelle fois bravé l’interdit en prenant la rue - serrant fermement casseroles et cuillers de bois - sans avoir fait connaître à l'avance leur itinéraire aux forces de l’ordre.
De façon générale, les manifestations d'hier se sont déroulées dans le calme et sans anicroche: au final, quatre personnes ont été arrêtées pour différentes infractions à des règlements municipaux, selon le bilan fait ce matin par le Service de police de la Ville de Montréal.
Dans ce contexte apaisé, ce sont les manifestations de casseroles qui ont volé la vedette. Plusieurs rues ont été prises d'assaut. Lucie Mineau, une cinquantenaire du Plateau rencontrée à 20 heures pile, lorsque le tintamarre commençait, est l’une de ces personnes qui souhaitaient reprendre la rue malgré les risques d’arrestation. Comme les autres percussionnistes improvisés, elle dénonce la loi 78, adoptée il y a une semaine par l’Assemblée nationale, et la hausse des droits de scolarité. « Hier [mercredi], mon amie et moi, à 15 minutes près, si on n’était pas parties de la manifestation, on se serait fait arrêter. C’était pourtant convivial à ce moment-là. » Plus de 518 personnes ont été interpellées ce soir-là, à Montréal, contre 176 à Québec. Peu importe, Mme Mineau comptait bien marcher avec ses voisins.
« Oui, on a peur de se faire arrêter, mais de plus en plus, ça devient un devoir de sortir manifester », a indiqué un Montréalais qui travaille dans le milieu de la restauration, Emmanuel Charron-Boucher, rencontré sur un perron, un ustensile à BBQ à la main pour frapper une casserole.
Dès le début de la soirée, l’action se divisait dans plusieurs quartiers de Montréal, notamment dans Villeray, Verdun, Saint-Henri, Rosemont, Notre-Dame-de-Grâce et Outremont, où des jeunes filles scandaient : « Les citoyens sont en colère, hourra, hourra ! » Autour de 21 heures, deux regroupements de plusieurs milliers de manifestants se sont rejoints au coin des rues Saint-Denis et Saint-Zotique. Une seule voiture de police était visible.
Comme la veille, la manifestation nocturne quotidienne qui s’ébranle chaque soir à partir du parc Émilie-Gamelin à Montréal a été déclarée illégale avant même de commencer, vers 20 h 30, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) n’ayant pas reçu de trajet préétabli. Les policiers ont indiqué aux manifestants qu’ils ne toléreraient aucun méfait et que si une sirène retentissait, ils devraient partir sur-le-champ, sans quoi ils seraient arrêtés. Le journaliste du Devoir présent sur place ne l’a toutefois pas entendue, comme plusieurs protestataires et autres casseroleux.
Simon Lévesque, étudiant au doctorat en sémiologie à l’UQAM, juge sévèrement le travail des policiers. « Ils oublient leur rôle de citoyens. Il n’y a pas de cours d’éthique à Nicolet ? S’il y en a un, force est de constater qu’ils ne s’en souviennent plus », a dit l’étudiant, rencontré une demi-heure après le départ de la manifestation du parc Émilie-Gamelin, au coin de l’avenue des Pins et de la rue Saint-Denis, où une arrestation a eu lieu. « On est tous sur les dents, il y a une génération qui est mise à bout », a ajouté M. Lévesque.
Karine, une citoyenne de Saint-Élie-de-Caxton rencontrée au fil de la marche montréalaise, a indiqué se faire un devoir de participer à au moins trois manifestations par semaine. « La loi 78 est une entorse sévère à nos droits fondamentaux. »
Deux grands rassemblements et plusieurs petits se sont déplacés dans les rues de Montréal. L’ambiance était festive dans tous les cas. Des policiers à vélo suivaient les cortèges. Le tout s'est terminé calmement vers 1h30 du matin. Il ne restait plus qu'autour de 150 personnes environ au coin des rues Ontario et Fullum, dans l'arrondissement Ville-Marie. Un manifestant a pris la parole pour inciter les gens à retourner à la maison. Les policiers du SPVM ont fait de même. On n'a pas rapporté d'arrestations à ce moment-là.
À Longueuil et Beloeil aussi, le bruit des ustensiles de cuisson a retenti. Des appels avaient également été lancés dans plusieurs villes des couronnes nord et sud de Montréal.
À Québec, quelques centaines de manifestants munis de casseroles ont déambulé dans le Vieux-Port et le Vieux-Québec hier soir. Ils avaient pour leur part fait parvenir leur itinéraire au service de police.
Bien que d’une tout autre ampleur que celles de Montréal, des manifestations ont eu lieu tous les soirs dans la capitale ces dernières semaines. Le point de rendez-vous est toujours le même à 20 heures devant le Parlement.
Les manifestants ont reçu la visite hier de la mascotte AnarchoPanda, accueillie en superstar. Plus tôt hier, la mascotte annonçait sur sa page Facebook qu’elle aussi s’en allait « se faire arrêter pour rien à Québec ». L’évêque anglican de la cathédrale Holy Trinity a aussi fait un discours en appui aux manifestants. Au moment de mettre sous presse, aucune arrestation n’avait eu lieu.

La veille, 694 arrestations
Près de 700 personnes ont été arrêtées dans la nuit de mercredi à jeudi à Montréal et à Québec au terme de manifestations jugées illégales par les services policiers. Parmi les 518 arrestations effectuées dans le cadre de la 30e manifestation nocturne consécutive dans la métropole, on compte 506 arrestations de groupe et 12 arrestations isolées, dont 14 en vertu du Code criminel et une en vertu du règlement municipal proscrivant le port d’un masque « sans motif raisonnable ».
Vers 1 heure, deux ou trois manifestations se seraient en partie rejointes au coin des rues Sherbrooke et Saint-Denis. Par la suite, « des objets [roches, pièces pyrotechniques] ont été lancés vers les policiers », a indiqué le porte-parole du SPVM, Raphaël Bergeron. « Nous avons lancé un nouvel appel à la dispersion, après quoi nous avons procédé à une arrestation de groupe. »
Regroupés dans des autobus de la Société de transport de Montréal (STM), les manifestants ont été transportés dans un centre de détention, où ils ont été identifiés. D’ailleurs, Matthieu Théorêt s’en est plaint dans une lettre envoyée hier à la STM, l’accusant de fournir « gentiment [ses] autobus aux forces de l’ordre », brisant « un petit peu plus les reins de la contestation populaire, qui, en grande partie, emprunte [ses] autobus plusieurs fois par jour ». Sur la page Facebook de la société, des internautes ont également manifesté leur désaccord hier et l’un d’eux a détourné les initiales de la STM en écrivant « Société de transport des manifestants ».
Plusieurs soupçonnent le SPVM d’avoir créé mercredi en fin de soirée une souricière afin de surprendre les manifestants, puis de procéder à leur arrestation. En revanche, au SPVM, on indique que de nombreux avertissements ont été lancés, que les gens - surtout ceux partis du parc Émilie-Gamelin - savaient pertinemment que la manifestation était illégale et que la police est intervenue seulement après avoir reçu des projectiles.

Casseroles chez le maire
Les Montréalais peuvent bien taper sur leurs casseroles pour protester contre la Loi 78, mais ils devraient le faire sur leur balcon et non dans la rue, avait plus tôt déclaré le maire de Montréal, Gérald Tremblay, excédé par la multiplication des manifestations dans la métropole. « Ils peuvent rester sur leur balcon pour faire du bruit. On va l’entendre, le bruit. Moi, je suis à Outremont et je l’entends, le bruit. Pas besoin d’aller dans la rue, de se promener et de commencer à paralyser Montréal », a-t-il expliqué lors d’un point de presse à l’hôtel de ville. « Ils ne sont pas obligés de faire ça dans la rue, sans donner l’itinéraire », a-t-il ajouté. Le maire a par ailleurs reçu la visite de manifestants devant sa résidence hier soir.
En après-midi, une manifestation regroupant des personnes déguisées en pirates et en ninjas s’était déroulée dans le calme au centre-ville de Montréal.
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Avec la collaboration de Jeanne Corriveau, Guillaume Bourgault-Côté et Marie-Pier Frappier


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