Par André Parizeau (*)
Coup d'éclat. Il y a trois mois, les quatre principales formations politiques souverainistes, en Catalogne, prenaient le contrôle du Parlement en allant chercher 57% des suffrages et 64% des postes de députés. C'est ce qu'on appelle dans le jargon poltique la double majorité.
Depuis ce temps, les deux plus importantes de ces quatre formations politiques, qui regroupent à elles seules 52% des postes de députés, ont aussi conclu une entente. Le premier de ces deux partis, "Convergence et unité", qui détient 50 des 135 postes de députés au Parlement, qu'on pourrait comparer au PQ, qui se retrouve donc aussi dans une position assez similaire à celui-ci, ici, et qui forme un gouvernement minoritaire là-bas, s'est entendu avec le parti de la "Gauche République" pour mettre le gros de ses énergies à enclencher le processus d'accession de la Catalogne à sa pleine indépendance.
Ce deuxième parti, soit la "Gauche Républicaine", est associé à la frange plus radicale et militante du mouvement souverainiste; c'est en même temps un parti de gauche dont les racines remontent loin en arrière dans le paysage catalan et joua d'ailleurs, à ce titre, un rôle important durant la guerre civile de 1946 à 1939, du côté des forces républicaines et de gauche. Il peut actuellement compter sur une députation plus forte que jamais jusqu'à présent, soit un total de 21 députés.
Comme partie prenante de cette entente, et à la demande exprès de la "Gauche Républicaine", "Convergence et unité" s'est en même temps engagé à ne pas mêler les cartes d'ici à la réalisation du processus d'indépendance, en renvoyant aux oubliettes un certain nombre de mesures d'austérité qu'ils avaient en tête.
Un autre résultat très concret de cette entente a aussi résulté en l'adoption par le Parlement catalan, cette semaine, d'une résolution spéciale identifiant la supématie de ce Parlement pour la suite des choses dans le cadre du processus d'accession d'indépendance, laquelle a en surplus le mérite d'avoir recu l'appui des deux autres partis souverainistes plus petits, soit "l'Innitiative pour la Catalogne" qui regroupe entre autres les communistes catalans ainsi que les Verts, ainsi qu'un autre parti appelé "Unité Populaire".
Cette résolution fut adoptée par plus de 80 voix, et seulement une quarantaine contre. Seuls deux partis ont voté: il s'agit, d'un côté, du Parti populaire (droite), soit le mëme parti au pouvoir, au niveau central, à Madrid, et d'autre part du Parti socialiste catalan, une sorte de NPD.
Tout cela se produit là-bas dans un contexte où le gouvernement central espagnol de droite, à Madrid, est lui-même engagé dans une offensive tout azimut pour non seulement démolir tous les acquis sociaux obtenus de dures luttes à travers toute l'Espagne, mais aussi de renier la parole des précédents gouvernements centraux, au niveau de la reconnaissance de la langue catane, en tant que langue distincte, ainsi que du droit des Catalans à une certaine forme d'autonomie régionale.
C'est comme si les Catalans vivaient aujourd'hui ce que nous-mêmes avons vécu, ici, au début des années 90, avec l'échec des Accords de Meech et de Charletown, qui allaient favoriser une resurgence sans précédent du mouvement souverainiste québécois, et qui allait aussi déboucher sur la fameuse campagne référendaire de 1995. Mais là s'arrête les comparaisons. D'une part, et contrairement à ce qui pouvait exister chez nous, dans les années 90, il n'y a pas en Catalogne un seul parti souverainiste, ou même deux, mais bien quatre, et qu'aucun ne peut prétendre diriger ou représenter l'ensemble de ce mouvement là-bas.
Le mouvement de la rue est en même temps très impressionant, comme en fait foi les manifestations de rue de septembre dernier et qui virent jusqu'à 2 millions de Catalans descendre dans les rue de Barcelone, la principale ville de Catalogne. Soulignons au passage que la population totale de la Catalogne avoisine celle du Québec et se situerait à environ 7,5 millions de personnes. Aussi bien dire que jusqu'à un Catalan sur quatre descendit alors dans les rues de Barcelone ! C'est quand même pas rien...
Le fait que ces quatre partis, et notamment les deux premiers, travaillent maintenant ensemble, ce qui ne se faisait que faiblement avant, fait en sorte de non seulement leur donner une claire majorité au sein du Parlement, mais leur permet aussi d'avancer de manière plus affirmée pour leur projet d'accession à l'indépendance.
Sur le plan social, cela évite en même temps une plus grande aggravation des conditions de vie pour une majorité de Catalans.
L'adoption cette semaine de cette fameuse résolution sur la souveraineté de la Catalogne est présentée par bien des médias comme n'ayant qu'une porte limitée et essentiellement symbolique. Et pourtant, et de part sa valeur d'abord très symbolique, elle a d'autant plus son importance.
Il ne s'agit pas en soi d'une déclaration unilatérale d'indépendance. Mais celle-ci affirme en même temps la suprématie de ce Parlement catalan sur le reste des autres institutions espagnoles; elle clarifie que ce sera aux Catalans et à eux seuls de déterminer leur avenir et la manière dont ils procéderont. C'est un premier geste de rupture, lequel sera suivi d'autres plus tard.
Il est en même temps intéressant de voir que les forces plus à droite, au sein du mouvement souverainiste, auraient, sous toutes réserves, accepter de mettre de l'eau dans leur vin, au niveau de leur propre programme, et que cela semble indiquer aussi la poursuite de la montée des forces de gauche au travers de tout ce processus.
On notera également le fait que tout cela ne s'est pas produit à la suite d'un référendum, et qu'il y aura ultimement un référendum, mais que celui-ci se produire plus tard. En d'autres mots, le référendum ne sera pas le point de départ de tout ce processus, comme on l'a souvent pensé, ici, mais interviendra beaucoup plus tard dans ce même processus.
En ce sens, tout cela ressemble à plusieurs égards à ce qu'Option Nationale propose déjà chez nous, et qui est également proposé par le Parti communiste du Québec (PCQ). Cela montre en même temps la faisabilité d'aller au delà des vieux schèmes étapistes des années 70.
Tout cela se produit dans un contexte où les partis politiques souverainistes là-bas semblent jouer de fait un rôle très important et pro-actif, mais où les différents mouvements sociaux, au niveau de la société civile, jouent également un rôle non-négligeable et qui n'est pas forcément inféodé à un ou l'autre de ces mêmes partis. C'est comme si, eux, là-bas, avaient trouvé la manière de jouer des dix doigts au niveau de l'action politique. Cela démontre du même coup l'interelation de ces deux composantes, ainsi que le fait qu'une fois mobilisés, toutes deux peuvent devenir des éléments cruciaux pour faire bouger les choses.
Voilà autant de choses à réfléchir, ici-même, et qui devrait en même temps nous encourager à sortir des vieux sentiers battus, lesquels marchent de moins en moins, et tout cela, pour nous aider à débloquer une situation qui a parfois tendance à se figer inutilement, chaque fois qu'on frappe un obstacle. Oui, on peut changer les choses et les Catalans semblent nous donner l'exemple. Saurons-nous tous et toutes apprendre de tout cela ?
(*) : André Parizeau est le chef du Parti communiste du Québec (PCQ); ce texte est également disponible sur le site www.pcq.qc.ca.
Les Catalans montrent que tout est encore possible ...
Tribune libre
André Parizeau39 articles
Chef du Parti communiste du Québec (PCQ), membre fondateur de Québec solidaire, membre du Bloc québécois, et membre de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal (SSJBM)
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1 commentaire
Jean-Claude Pomerleau Répondre
27 janvier 2013Pour cadrer la réflexion sur le changement de statut d'un État (ce qu'est la proposition souverainiste), on peut difficilement ignorer la discipline qui fait de l'État l'objet premier de son étude : La géopolitique.
Et un de ses principes clés : le principe d'effectivité (il ne suffit pas de prendre une décision, il faut surtout la rendre effective sur son territoire).
Le principe d'effectivité par ordre de difficulté : Catalogne ; Québec ; Écosse.
La Catalogne part de loin pour faire reconnaitre un changement de statut, vers la souveraineté. L'État central refuse de reconnaitre son droit à l'auto-détermination, et donc la décision de l'État catalan qui en découlerait.
Donc la Catalogne est dans un rapport de force avec l'État central en deux étapes pour rendre effective une décision portant sur son changement de statut (la souveraineté).
Dans le cas du Québec. Le droit à l'auto détermination est reconnu (depuis quand ?) par l'État central. Mais lui est refusé de facto : Ottawa a clairement indiqué qu'il ne reconnaitrait pas les résultats des référendum de 1980-1995 ; il serait temps d'en prendre acte ( J M Aussant : "le Canada est un pays démocratique").
Donc, le référendum au Québec ést un jeu de dupe à moins d'avoir la capacité et l'aptitude d'imposer notre décision sur notre territoire (ce qui n'a jamais été le cas jsuqu'à maintenant).
Dans le cas de l'Écosse. Le problème du droit à l'auto détermination et de l'effectivité d'un éventuel décision pour la souveraineté, ne se pose pas depuis que l'État anglais s'est engagé à reconnaitre d'avance les résultats du référendum de 2014 (Entente d'Édimbourg).
Ce qui manque au mouvement souverainiste, c'est une doctrine politique claire ; l'incontournable principe d'effectivité en fait partie.
Pour conclure sur le Québec.
La première condition pour en arriver à un changement de statut de province à État souverain est celle d'établir un rapport de force favorable. Ce qui n'a jamais existé auparavant et qu' il reste donc à la bâtir. Et c'est à partir de notre État nationale, vecteur du projet souverainiste, que l'on peut agir, mais certain préfère demeurer dans le dire et dériver dans l'imaginaire.
JCPomerleau