Pandémie

Les écoles: moteur important de la pandémie?

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Rien n'indique que le confinement fonctionne réellement

Rouvrir les écoles au beau milieu de la seconde vague de COVID-19 est-il un «risque calculé», comme le gouvernement Legault aime décrire sa décision, ou un pari dangereux, comme plusieurs observateurs l’ont dénoncé? La science n’a pas encore eu le temps d’établir clairement quel rôle jouent les enfants et les écoles dans l’actuelle pandémie, mais Le Soleil a mis la main sur des données inédites qui suggèrent fortement que les écoles (celles du Québec, du moins) ne sont pas un «moteur» important de l’épidémie.


«Les résultats d’études qu’on a eus jusqu’à maintenant sur la question des écoles sont vraiment très variés, indique la virologue de l’Université de Montréal Nathalie Grandvaux. Ça a été analysé sous bien des angles différents et avec des protocoles de recherches différents, si bien qu’on n’a pas de consensus clair qui se dégage pour l’instant. Et ça peut porter à confusion.»


Par exemple, une étude parue à la mi-décembre dans Science a examiné la vitesse de propagation de la COVID-19 — plus précisément son «R0», soit le nombre moyen de gens que chaque personne porteuse du virus va infecter — avant, pendant et après l’application de diverses mesures sanitaires, comme l’interdiction des rassemblements, les couvre-feux, etc. Et elle a conclu que la fermeture des écoles et des universités (qui ne sont pas séparées dans l’article) réduit la transmission d'environ 35 %, ce qui en fait la deuxième mesure la plus efficace de cette étude, derrière l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes (environ 40 %).


Mais d’un autre côté, d’autres travaux suggèrent l’inverse. Par exemple, un article paru l’été dernier dans Nature estime qu’à exposition égale au nouveau coronavirus, les enfants ont environ 50 % moins de chance d’être infectés que les adultes. Et dans plusieurs pays, les réouvertures d’école n’ont pas été suivies de flambée de COVID-19.


«La difficulté avec toutes ces études-là, c’est qu’il y a toujours plusieurs mesures sanitaires qui sont prises en même temps, alors c’est à peu près impossible d’identifier quelle mesure a eu quel impact exactement», indique la Dre Caroline Quach, pédiatre et épidémiologiste de l’Université de Montréal. «Ma conclusion générale, c’est que c’est sûr qu’il y a un peu de transmission dans les écoles, mais est-ce qu’on peut dire que les écoles sont un driver de l’épidémie? Je ne pense pas.»


La Santé publique européenne a d’ailleurs tiré des conclusions semblables en décembre dernier, après avoir examiné l’ensemble des preuves scientifiques — les écoles ne sont pas une source majeure de transmission de la COVID-19.


Des experts doutent


Mais plusieurs experts doutent de ces conclusions, notamment parce que la COVID-19 ne provoque souvent aucun symptôme chez les enfants, ce qui fait qu’on les teste moins. Une bonne partie des «cas pédiatriques» ont donc pu passer inaperçus, ce qui aurait fait conclure (erronément) à certaines études que les écoles ne sont pas des lieux de contagion significatifs.


À cet égard, cependant, la Santé publique du Québec a effectué quelques opérations de dépistage systématique dans des écoles qui permettent de contourner ce problème méthodologique. Quand il semblait y avoir une éclosion sérieuse dans un établissement, la Santé publique a souvent envoyé des équipes sur place pour tester tous les élèves de l’école, ou du moins ceux de plusieurs classes. Il peut certainement y avoir eu des enfants qui sont passés entre les mailles de ce filet — par exemple parce que leurs parents n’ont pas rempli le formulaire autorisant à tester leurs enfants —, mais cela donne quand même des statistiques qui sont largement indépendantes de la présence de symptômes, et possiblement le plus solide indicateur que l’on ait de la transmission dans les écoles.


C’est grosso modo la lecture qu’en font Mme Granvaux et Dre Quach. «Pour réussir à voir combien d’enfants ont été infectés par le cas index [NDLR : la première personne qui amène le virus dans un milieu], le seul moyen est de tester tout le monde à un moment précis», dit cette dernière.


Malheureusement, ni la Santé, ni l’Éducation, ni la plupart des directions régionales de santé publique n’ont pris soin de noter le résultat de ces dépistages systématiques, a constaté Le Soleil en frappant à toutes ces portes. C’est particulièrement dommage dans le cas de Montréal, où se trouve la majorité des cas de COVID-19, dit Dre Quach.



INFOGRAPHIE LE SOLEIL


Mais dans les quelques cas où des chiffres (ne serait-ce que partiels) sont disponibles, le portrait qui s’en dégage est plutôt rassurant. Si la propagation était importante dans les écoles, on s’attendrait à trouver des cas en «grappes», concentrés dans les mêmes quelques classes. Mais comme le montre notre tableau ci-dessus, ces opérations de dépistage systématique n’ont généralement trouvé que des cas très uniformément répartis, à raison d’un ou deux par classe.


Il y a eu, soulignons-le, quatre classes en Outaouais où il semblait y avoir eu des véritables éclosions, soit de quatre à six cas par groupe, ce qui montre qu’il peut y avoir de la contagion à l’école. Mais dans les 15 autres classes où le CISSS de l’Outaouais a fait des dépistages systématiques, on ne trouvait qu’un cas (huit classes), deux cas (quatre classes) ou trois cas (trois classes).


Dans l’ensemble, commente Mme Grandvaux, «ces chiffres-là sont quand même rassurants» puisque sans être une preuve formelle ils suggèrent que les écoles ne sont pas des foyers d’infection, mais que la transmission qui s’y produit est plutôt le reflet de ce qui circule dans la communauté en général. Dre Quach interprète ces chiffres essentiellement de la même manière.


De là à dire que la réouverture était «la» chose à faire, cependant, il y a un pas que Mme Grandvaux refuse de franchir. La science peut éclairer les politiques publiques, mais ne peut pas prendre les décisions à la place des dirigeants.


«Ce n’est pas à moi de décider si les écoles doivent être ouvertes ou fermées, dit-elle. Mais on peut constater que depuis que les écoles ont fermé, à la mi-décembre, on a vu un impact sur les taux de positivité, qui est passé de 11 à 7 %. Donc on est sur une sorte de plateau actuellement, et là on ajoute le confinement, mais on rouvre les écoles. Alors peut-être que ces deux décisions-là vont s’annuler. Peut-être aussi qu’on est rendu à un point où ce qu’il faut, c’est vraiment de limiter les contacts au maximum, et les écoles font partie de ça. Il y a de la transmission dans les écoles, même s’il n’y en a pas beaucoup, et peut-être qu’il faut couper cette source-là aussi.»


«Les écoles viennent juste de rouvrir, alors on va espérer qu’avec le port du masque et les autres mesures, il y aura moins de transmission, ajoute pour sa part Dre Quach. C’est possible qu’à un moment donné, si les hôpitaux finissent par déborder, on doive reconfiner au complet et fermer les écoles comme au printemps. Mais il faut garder en tête le bien-être des enfants, et je crois que ce serait la dernière chose à faire.»


Des données inédites suggèrent fortement que les écoles ne sont pas un «moteur» important de l’épidémie


Des données inédites suggèrent fortement que les écoles ne sont pas un «moteur» important de l’épidémie


LE SOLEIL, YAN DOUBLET


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DANGEREUSES OU PAS, LES ÉCOLES?


Jusqu’à maintenant, la recherche n’a pas pu accoucher de résultats qui rallient une bonne majorité de scientifiques sur la question de savoir si les écoles propagent activement la COVID-19 ou si elles ne font que refléter la transmission communautaire. Pour chaque expert qui, comme les signataires d’un texte paru en septembre dans le New England Journal of Medicine, estiment qu’on peut rouvrir les écoles sans trop d’inquiétude, on en trouve un autre qui, comme l’épidémiologiste australienne Zoe Hyde, s’y oppose fermement. Voici donc, pour y voir plus clair, un bref survol des arguments de chacun des «camps».


Les écoles sont sécuritaires


1. Plusieurs pays européens ont rouvert leurs écoles à la fin du printemps dernier, une fois la première vague passée, sans que cela provoque une recrudescence de la COVID-19.


2. Les enfants semblent moins susceptibles d’attraper le nouveau coronavirus que les adultes. Cela pourrait s’expliquer par le fait que le récepteur cellulaire auquel le virus s’accroche pour infecter nos cellules, le poétiquement nommé ACE-2, est moins présent chez les enfants. Au Québec, on compte environ 1600 cas de COVID-19 par 100 000 personnes chez les 0-9 ans, contre 2750 par 100 000 personnes pour l’ensemble de la province.


3. Il est possible que les enfants soient moins contagieux. Comme ils sont plus petits et que leurs muscles respiratoires sont moins développés, ils projettent moins de gouttelettes (et moins loin) lorsqu’ils toussent, éternuent ou respirent. Et comme ils sont plus souvent asymptomatiques, ils toussent moins aussi.


Les écoles sont un danger


1. Au moins deux grandes études ayant intégré des données provenant de plusieurs dizaines de pays, parues dans Science et The Lancet l’automne dernier, ont conclu que les fermetures d’écoles sont parmi les mesures qui ont le mieux freiné la COVID-19.


2. Comme les enfants sont plus souvent asymptomatiques que les adultes, on les teste moins. C’est peut-être juste pour ça qu’un peu partout dans le monde, les enfants ont des taux de COVID plus bas que la moyenne : parce qu’ils sont moins testés, pas parce qu’ils l’attrapent moins.


3. Quand on mesure la concentration de virus dans les sécrétions nasales et la salive, on se rend compte que les enfants n’en ont pas moins que les adultes. La «charge virale», comme on l’appelle, n’est pas le seul indicateur de contagiosité, mais c’est sans doute celui qui se mesure le mieux, et il suggère que les enfants sont aussi infectieux que les adultes.