Les jeunes Québécois veulent-ils encore du Québec?

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Les jeunes ne veulent pas du Québec tel qu'il est devenu. Les plus vieux non plus

Le sondage en deux temps de La Presse sur la jeunesse québécoise et la souveraineté laisse un peu perplexe, à causes des catégories étranges dans lesquelles il répartit la jeune génération, mais confirme surtout un sentiment de plus en plus répandu: les jeunes ne sont plus spontanément souverainistes. Ou plus exactement, ils ne le sont plus du tout. La chose choque ceux qui misaient sur une forme de messianisme démographique, comme si le renouvellement démographique conduisait naturellement à l’indépendance. On connait l’explication simple : la souveraineté serait un projet générationnel. Plus encore, ce serait un projet associé à une image perdante, naturellement repoussante pour les jeunes générations. Souvent, la souveraineté les indiffère et, de temps en temps, elles y sont franchement hostiles. Si la tendance se maintient, le Parti Québécois est évidemment appelé à la disparition.
La réponse est vite donnée : c’est une claque pour le PQ. Évidemment. Mais il s’agit moins d’une claque pour le PQ que d’une claque pour le Québec en entier. Car le chiffre le plus important de ce sondage est terrifiant : 60% des jeunes Québécois souhaiteraient bien s’exiler du Québec. On peut y voir un effet de la mondialisation et du discours qui l’accompagne, et qui pousse au déracinement, comme si l’individu libre devait d’abord s’affranchir de sa culture ou la réduire à un attribut individuel, chacun bricolant finalement son identité sans y voir un héritage collectif. L’époque tend à présenter l’enracinement comme une pathologie: celui qui vient d’un pays et s’y trouve heureux au point de penser y faire sa vie ne renonce-t-il pas au même moment à toutes les autres vies possibles, alors que la postmodernité nous invite justement à une mue identitaire perpétuelle? Il se peut aussi que l’inculture historique terrifiante de la jeune génération et ses convictions politiques ne sont probablement pas sans liens.
Les petites nations paient évidemment le prix de cette mondialisation à travers laquelle se dessine souvent le visage de l’empire. Quand l’empire domine, il attire les plus ambitieux. Sa puissance d’attraction est incroyable. Réussir sa vie, c’est parvenir à s’y inscrire, à s’y faire reconnaître, à s’y faire célébrer. Une réussite véritable n’est-elle pas internationale, comme on dit? Et les meilleures écoles, pour marquer leur réputation d’excellence, ne proposent-ils pas des programmes d’éducation internationale? On ne s’en désolera pas en soi, évidemment, et le cosmopolitisme authentique est souhaitable, mais on notera que cet élan vers l’autre s’accompagne souvent d’un triste dédain de soi. Combien de fois a-t-on entendu ce récit de jeunes Québécois, en voyage à l’étranger, obligés de constater, lorsqu’on leur demandait de parler de leur pays et de ses traditions, qu’ils en connaissaient bien peu, et peut-être même aucune?
Le fait que le Québec se situe à la frontière immédiate de l’empire contribue évidemment à sa fragilité, à une époque où la nation est discréditée par l’idéologie dominante. On voit même des jeunes souverainistes embrasser eux-mêmes l’idéal d’un Québec bilingue, ce qui ne les empêche pas d’entretenir une forme de tendresse particulière à l’endroit de la langue française. Mais lorsqu’ils veulent s’adresser au monde, comme on peut le voir lors de certains événements culturels internationaux très médiatisés, lorsqu’ils veulent être compris au-delà de ce qu’ils imaginent être leur tribu, ils passent spontanément à l’anglais, d’autant plus qu’ils considèrent la langue moins comme un vecteur existentiel qu’à la manière d’un outil de communication pour se faire comprendre. On oublie que la langue est aussi un fait politique. À bien des égards, la loi 101 n’a pas atteint son objectif fondamental. Elle devait fabriquer des Québécois francophones : elle a accouché de Canadiens bilingues. Le remplacement progressif du français par le «bilingue» au quotidien n’est-il pas symptomatique de cela?
L’époque pèse donc sur le Québec, qui semble engagé dans une forme de dissolution identitaire. Mais ce qui se révèle surtout, sans qu’on ose le dire, ce sont les conséquences culturelles et identitaires de la défaite politique du Québec. À deux reprises, le Québec a voté Non à sa souveraineté, même si une nette majorité de francophones l’a soutenue en 1995. Mais le résultat est là: le Québec a échoué son indépendance, et il semble intérieurement brisé. Le Québec a perdu et il est entré dans une spirale régressive qui pourrait bien ne plus s’arrêter. L’idéal de l’indépendance, deux fois vaincu, a fini par s’abimer. Mais ce dernier était consubstantiellement lié à l’aspiration à une pleine existence québécoise. La défaite du premier entraine celle de la seconde. C’est la possibilité, pour la culture québécoise, de se poser comme une culture à part entière, s’ouvrant sur le plus de possibilités humaines possibles qui semblent s’effacer.
Un peuple ne peut pas échouer un projet aussi engageant sur le plan existentiel que l’indépendance sans en payer le prix, sans voir son existence compromise, sans en venir à remettre en question la légitimité même de son existence. Et finalement, il risque d’abdiquer moralement sa quête nationale et d’accepter, sans peut-être même le savoir, les institutions qu’hier encore, il pouvait critiquer et combattre. Le régime de 1982 est manifestement entré dans la tête de la jeune génération. La constitution qui nous a été imposé semble avoir transformé en profondeur les mentalités. Nous arrivons peut-être à ce moment où bien des Québécois considéreront que leur émancipation individuelle passera par le sacrifice de la référence collective québécoise, comme si l’identité québécoise était un fardeau dont il fallait se délivrer pour ne plus être enfermé dans une culture insuffisante. Plus nous sortirons de l’histoire, plus nous serons libres.
Finalement, se pourrait-il que la jeunesse québécoise ne soit plus intéressée à être québécoise? On se moque de ceux qui s’inquiètent de la disparition du Québec, mais pourtant, il est arrivé souvent, au fil de l’histoire, que des peuples s’effacent, parce qu’ils se sont vidés de leur substance. D’un côté, les plus ambitieux seront tentés de le fuir mentalement ou physiquement. C’est la tentation postmoderne. On célèbre l’hybridité, le métissage, la mondialisation, tout ce qui permet de se délivrer de soi en camouflant cette dimension dans le langage du progrès moderne. De l’autre, on assistera peut-être à une crispation folklorique de l’identité nationale, qui se muséifie, que n’anime plus un principe de vie. Dans cette perspective, plus la souveraineté deviendra inatteignable, plus le souverainisme risque de se convertir au maximalisme stratégique, dans une forme de radicalisme désespéré. Entre les deux, on trouvera des hommes et des femmes cherchant à sauver l’essentiel sans jamais admettre qu’il reste bien peu de choses à sauver dans un pays qui ne veut plus de lui-même.
On nous dira que le Québec ne s’effondre pas mais se transforme, tout simplement. Que rien n’est vraiment grave et que la vie continue, que ce n’est pas le Québec qui s’effondre, mais une certaine représentation du Québec, tout simplement, et qu’une autre lui succédera. Mais cet optimisme de façade n’est justifiable qu’à condition de réduire le Québec à un territoire administratif et la culture québécoise à la simple vie humaine qu’on y trouve. Le jour où le Québec passera du français au «bilingue», et abandonnera pour de bon la quête souverainiste, ce ne sera plus le Québec, même s’il en portera encore le nom. Le Québec historique ne sera plus. Le jour où les Québécois seront des Canadiens à peu près comme les autres, renonçant à porter leur quête nationale, mais se pavanant comme de parfaits postmodernes enfin délivrés du vieil idéal qui les avait longtemps fait vivre, ils auront pour de bon perdu. Évidemment, une culture peut reprendre vie. Mais qui, aujourd’hui, a vraiment la certitude de la renaissance québécoise?


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