Enjeux budgétaires

Les misères de l'idéologie

Publié dans Le Devoir du 20 mars 2024

Chronique de Pierre Gouin

Au lendemain de la présentation du budget, après la tempête médiatique, le Premier ministre a pu s’enfermer dans son bureau et se demander ce qui n’a pas marché. Il était convaincu qu’il allait réussir à diminuer les impôts sensiblement après avoir repris le contrôle des finances publiques. Il doit maintenant remettre les baisses d’impôt à un incertain prochain mandat et aujourd’hui la plupart des Québécois doutent qu’il soit capable de gérer correctement le budget du gouvernement.


Le premier ministre a raison de s’inquiéter pour son avenir. Cependant, pour les Québécois la situation n’est pas aussi désespérante qu’il n’y paraît. L’économie québécoise est solide et pourrait permettre de payer des services publics de qualité. On peut comprendre pourquoi la situation budgétaire s’est si rapidement dégradée et agir en conséquence.    


François Legault ne s’est pas attaqué au manque d’efficacité de l’administration publique, une tâche urgente pour laquelle il était particulièrement bien préparé. Comme ses prédécesseurs, il sait très bien qu’il y a beaucoup d’économies à faire dans l’administration publique par des réorganisations et l’abolition de mandats et de groupes qui non plus leur raison d’être. Ces économies pourraient éventuellement permettre des baisses des impôts. Cependant, cette réingénierie de l’ensemble de la fonction publique demanderait beaucoup d’efforts et, surtout, elle obligerait les ministres à confronter directement les hauts fonctionnaires. Aucun gouvernement n’a osé le faire jusqu’à maintenant parce que les ministres sont trop dépendants de cette fonction publique politisée.  On demande plutôt aux hauts fonctionnaires de se couper eux-mêmes. Monsieur Legault annonce maintenant, en fin de mandat et avec la même approche qui a échoué à maintes reprises, qu’il va s’attaquer aux dépenses inefficaces.


Le premier ministre se considère moins un comptable qu’un homme d’affaires prospère. Il a foi en une croissance économique illimitée pour créer de la richesse et il soutient les entrepreneurs, à même le budget, en concurrence avec les services à la population. Son zèle à surstimuler l’économie est une des causes de la dégradation des finances publiques en raison de l’immigration massive qu’elle provoque, le Québec étant déjà au plein emploi. La politique d’immigration est d’abord la responsabilité du gouvernement fédérale mais François Legault est le seul responsable de l’arrivée de dizaines de milliers de travailleurs temporaires, réclamés par ses entrepreneurs subventionnés, et qui mettent eux aussi de la pression sur les services publics.


Finalement, l’obsession de réduire les dépenses publiques a causé des torts énormes aux institutions publiques, qu’il faut maintenant réparer à grands frais, alors qu’on réalise que la population n’acceptera pas de perdre une qualité de services qu’elle avait il y a vingt ans.


Depuis vingt ans nos gouvernements ont décidé de réduire l’importance des dépenses publiques pour des raisons idéologiques, en s’inspirant de nos voisins américains. Il y aurait une limite à faire payer les riches pour des services publics offerts aux gens ordinaires et qu’eux-mêmes utilisent peu. Il faudrait donc absolument baisser les impôts. Pour faire accepter l’austérité on a utilisé une comptabilité créative qui laisse croire que l’État n’a plus les moyens de payer les mêmes services.


Ainsi, en 2006 on a modifié la Loi sur l’équilibre budgétaire de sorte qu’une partie des revenus du gouvernement sont depuis lors détournés vers un Fonds des générations qui sert à réduire la croissance de la dette du Québec. Ce mécanisme est injustifié, la dette en fonction du PIB est tout à fait acceptable et la dette provient essentiellement des dépenses en infrastructures, qui ne sont pas comptabilisées dans les dépenses courantes et qui mériteraient d’être mieux contrôlées. Surtout, ce Fonds prive la population de services qu’elle peut se payer. Ainsi, on prive les jeunes d’une éducation de qualité sous prétexte que la réduction de la dette serait essentielle pour leur assurer un avenir meilleur.


Les changements comptables ont aussi créé un Réserve de stabilisation qui doit accumuler les surplus budgétaires lorsqu’ils se présentent et atténuer les déficits en périodes plus difficiles. François Legault, voulant aller plus loin dans l’austérité que ses prédécesseurs libéraux, a utilisé cet outil pertinent pour réduire encore davantage les dépenses en services publics. Durant les années prospères précédant la pandémie il a laissé s’accumuler 12 milliards de dollars dans la réserve plutôt que de donner un peu de répit aux services publics sous-financés en raison de la crise financière de 2008. Cette réserve aurait au moins pu servir à atténuer l’effet du ralentissement économique actuel mais elle a été utilisée autrement. Pour les années 2020-2021 et 2021-2022, les dépenses et les pertes de revenus dues à la pandémie auraient créer un déficit cumulé d’environ quinze milliards de dollars et il aurait été tout à fait normal qu’un tel déficit inévitable soit absorbé par la dette publique et repayé sur une longue période. Le gouvernement Legault a plutôt décidé d’utiliser les 12 milliards de dollars accumulés à la Réserve de stabilisation pour régler sur le champ la plus grande partie de ce déficit.


En 2023-2024 on a annoncé des baisses d’impôt permanentes de près de 2 milliards de dollars par année alors que la Réserve de stabilisation était à sec. Dans le dernier budget le gouvernement a inclus des provisions pour éventualités de 1,5 milliard de dollars par année, même s’il avait tout le loisir d’être très prudent dans ses prévisions. Il espère toujours créer un surplus structurel pour baisser les impôts.


À cause de cette provision et du Fonds des générations, les déficits prévus à partir de 2024-2025 sont surestimés d’environ 4 milliards de dollars annuellement. Ainsi le déficit record de 11,0 milliards de l’an prochain est plutôt de 7,3 milliards de dollars.


Le gouvernement met de l’avant le Solde budgétaire au sens de la Loi sur l'équilibre budgétaire tandis que le déficit au sens comptable, qui indique l’écart entre les dépenses et les revenus courants et qui a un impact sur les besoins d’emprunt et sur la dette du Québec est le Surplus (déficit) lié aux activités avant provision pour éventualités, apparaissant aussi dans les tableaux budgétaires.


La stratégie qui visait à convaincre la population qu’il n’y avait plus assez d’argent pour les services publics a échoué dans un contexte où il semble y avoir toujours de l’argent pour les priorités du gouvernement. Les gens ont compris que les demandes syndicales quant aux salaires étaient raisonnables et que leurs revendications quant au manque de ressources étaient aussi les leurs.


Plus fondamentalement, les citoyens considèrent que la vision associant l’impôt des riches à de la charité nie le rôle essentiel qu’ils jouent tous dans la création de richesse et la viabilité de notre système économique.



Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Pierre Gouin Répondre

    25 mars 2024

    Commentaire pour l'équipe éditoriale: Le sous-titre est seulement pour signaler les droits du Devoir. Voici le lien: 


    https://www.ledevoir.com/opinion/idees/809341/idees-miseres-ideologie