Quand les rebelles sont entrés au coeur de Tripoli, dimanche, Adem Khalil est allé célébrer l'événement au centre-ville de Montréal avec quelques amis, comme lui étudiants d'origine libyenne. Exultants de bonheur, ils ont mangé des Timbits dans un Tim Hortons avant d'entonner des chants anti-régime
Ce soir-là, Adem Khalil avait le sentiment de vivre le plus beau jour de sa vie. Quand je les ai rencontrés, mercredi, ses amis et lui flottaient tous sur un nuage. Pourtant, un des trois Mohamed du groupe venait tout juste de perdre un frère, tué alors qu'il combattait du côté des insurgés. Mohamed était triste, bien sûr. Mais il se sentait aussi fier de son frère.
Adem, Abdul, Ahmed, Mohamed... Une dizaine d'hommes dans la jeune vingtaine, qui ont passé les derniers mois rongés d'inquiétude pour leurs proches. Les parents d'Adem ont fini par fuir en Tunisie, la vie étant devenue impossible dans les dernières semaines. Certains de ses amis n'arrivaient pas à joindre leurs proches à Tripoli, parfois parce que ces derniers avaient peur de répondre au téléphone. «Sous Kadhafi, on avait même peur de penser», dit Adem, qui a enfin pu parler librement au téléphone avec un cousin, cette semaine.
Adem et ses amis ne sont pas encore rassurés sur le sort de leurs parents et amis restés là-bas. Il y a toujours des tireurs embusqués sur les toits de Tripoli. Mais ils sont tous convaincus d'une chose: quand Kadhafi sera arrêté, le pays s'apaisera. «Un arbre dont on coupe le tronc finit par mourir», se rassure Adem.
Et après? D'abord, disent-ils, il faut régler le cas de Kadhafi. Car tant qu'il continuera à se cacher, tant que ses partisans persisteront à croire qu'ils ont encore un chef, la Libye pourra difficilement tourner la page.
Et qu'arrivera-t-il au dictateur une fois que les insurgés l'auront capturé? «Il sera pendu!», lance spontanément un des jeunes hommes. «Non, non, il aura droit à un vrai procès», rectifie un autre. Avant d'ajouter: «Bon, s'il est exécuté, je serai content quand même...»
Adem et ses copains ne craignent-ils pas de voir leur pays imploser comme l'Irak après la chute de Saddam Hussein? Non: ils sont convaincus que la Libye s'en sortira très bien, merci. «La Libye n'a rien à voir avec l'Irak, dit Adem. Les Libyens ont fait leur propre révolution, ils n'ont pas été envahis par les Américains.»
Son copain Mohamed ajoute que, en Libye, le Conseil national de transition se prépare depuis six mois à administrer le pays. Il n'y avait rien de tel en Irak. Ça peut prendre un peu de temps avant que la situation s'apaise, reconnaissent-ils. «Mais les États-Unis ont aussi passé par une période bordélique avant de devenir un vrai pays!»
La Libye dont ils rêvent sera un pays libre qui offrira des chances égales à tous. Quand ils l'ont quitté pour venir étudier au Canada, Adem et ses amis ne pensaient jamais retourner vivre dans leur pays. Ils n'y voyaient aucun avenir pour eux. Que la perspective de vivre une vie de misère ou de vendre leur âme à Kadhafi. Et maintenant? Envisagent-ils un retour?
Ma question soulève un «Oh oui!» général dont la sincérité ne fait aucun doute.
Oui, la Libye s'expose à des lendemains périlleux. Mais l'optimisme de ces étudiants qui ont fêté la prise de Tripoli avec des Timbits aux fraises est très, très contagieux. Et s'ils avaient raison?
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