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Le bombardement systématique de la ville de Québec du 12 juillet au 17 septembre 1759 enveloppe la page d'histoire la plus dramatique de notre ville. Ces bombardements ont effacé en quelques jours, l'espace de vie et de culture de plus de 8000 Québécois et Québécoises, tout en créant une épouvantable frayeur chez la population.
En tant que résidant de la ville Québec, dont la famille est enracinée ici depuis 1690, j'aimerais survoler avec le regard du sociologue, les acteurs et les événements qui ont façonné ce triste 250e anniversaire du bombardement de la ville de Québec. Nous devons surtout retenir le rôle des principaux acteurs concernés, et leur accorder la place qu'ils méritent dans l'histoire.
Le bombardement de la ville de Québec est d'abord venu des hauteurs de Lévis. Une batterie de 33 canons dont plusieurs pesaient plus de 2 tonnes a «vomi» plus de 40 000 boulets et 10 000 bombes incendiaires sur la ville à l'été 1759. Durant ces affreux bombardements, 535 maisons ont brûlé et celles qui ont échappé au feu ont toutes eu le toit et les murs crevés par le canon.
Les officiers de Wolfe jugeaient que cet affreux bombardement de Québec n'avait aucun sens, d'un point de vue militaire: «Notre armée a réduit nos opérations à un théâtre d'échauffourées, de cruauté et de dévastation (...) Nous avons déjà dépensé trois fois plus de munitions que durant le siège de Louisbourg», où il se tirait tout de même 1500 boulets par jour!»(1)
En plus de blesser et de faire périr de nombreux civils innocents, le bombardement d'une ville a aussi créé une épouvantable frayeur chez les 8000 habitants de la ville. Le feu, les bombes incendiaires et les boulets qui faisaient trembler le sol et le ciel. Ces bombardements de jour et de nuit ont duré plus de deux mois et ont aussi provoqué la ruine et la famine à l'arrivée d'un hiver qui s'annonçait des plus rigoureux.
Le bombardement vu de Québec
Lorsque les premiers projectiles anglais tombent sur la ville le soir du 12 juillet, ils plongent la population dans l'effroi et dans l'épouvante. Les femmes avec leurs enfants en grand nombre près de la citadelle, dans les pleurs, les lamentations et les prières se regroupant par peloton pour dire des chapelets.
«Boulets, bombes, carcasses, pots à feu foudroient l'agglomération durant plus de deux mois. Le 9 août, les pots à feu allument trois incendies qui détruisent l'église et 135 maisons de la basse ville. Les dévastations ajoutent aux difficultés de ravitaillement, mais aussi à la ruine des 8000 citoyens de la ville. Les voleurs pillent les maisons éventrées c'est l'anarchie dans la ville de Québec.»(2)
Les bombardements sont plus tard accompagnés des tirs de la flotte anglaise, qui prend la ville sous un feu croisé. On a tout prévu pour augmenter la terreur. Il «pleut» plus de 1500 boulets par jour sur la tête des citoyens, sur leurs maisons, sur leur ville. Le peuple abasourdi, étourdi par le bruit, les éclairs et les explosions prie avec son clergé pour que les munitions de l'ennemi s'épuisent un jour.
En cet été de 1759, Québec est maintenant soumise au feu, au tonnerre des explosions, de jour comme de nuit. C'est une atmosphère Dantesque. En quelques mois, la ville a été rasée au sol!
535 maisons ont brûlé au cours des incendies et les autres ont tous eu les murs et le toit défoncés. Les 8000 habitants de la ville ont droit à une vision apocalyptique qui rappellera à certains les grands feux de Loto-Québec, mais avec en prime les cris et les tremblements de terre! Il flotte au-dessus de Québec une odeur de soufre et de cendres, qui enveloppe la ville pendant deux mois. Le nuage âcre s'étire de Beauport à Cap-rouge.
Le bombardement vu de Lévis
Vu de Lévis, l'atmosphère semble aussi dantesque mais très «agréable» pour Monckton et ses hommes. Cet homme, bien connu des Acadiens, a été chargé du bombardement de la ville par Wolfe. Il a l'habitude des missions délicates, puisqu'il vient de finir d'incendier 15 villages et plus de 1400 fermes et maisons le long du Saint-Laurent. Il vient aussi de terminer la déportation des Acadiens avec Lawrence, quelques mois auparavant.
Fin juillet, son fidèle lieutenant Williamson affirmait avoir érigé sur le promontoire de Lévis 4 batteries totalisant 20 canons et 13 mortiers. Le 2 septembre Williamson rapporte avoir déjà tiré un total de 2498 obus de 13 pouces; 1920 obus de 10 pouces, 283 carcasses (bombes incendiaires) de treize pouces; 93 carcasses de dix pouces ainsi que 11 500 boulets de 24 livres et 1589 boulets de trente-deux livres.
Ainsi, du 12 juillet au 17 septembre 1759, il est tombé plus de 40 000 boulets et 10 000 obus et bombes incendiaires sur la ville de Québec. C'est trois fois plus qu'à Louisbourg qui était pourtant une forteresse militaire retranchée. L'artillerie dont disposent les Anglais sur les hauteurs de Lévis regroupe des canons puissants et meurtriers dont plusieurs pèsent plus de deux tonnes. Ils sont de même type que ceux que l'on retrouve à place George 5. Ils tirent des boulets de 24 et 32 livres et des mortiers de 10 et 13 pouces. Les projectiles des canons sont des boulets pleins, en fer, pesant respectivement 24 et 32 livres. Les mortiers classés selon le diamètre du tube de leur canon tiraient des corps creux en fer, chargés de poudre.
On lançait aussi des bombes incendiaires qui portaient le nom de carcasses. Remplies d'un mélange hautement inflammable de poix, de poudre à canon, de soufre et de salpêtre, elles pouvaient brûler jusqu'à 10 minutes. Les carcasses crachaient des jets de feu par les ouvertures mélangées de leurs sphères de fer.
Les boulets de canon qui volaient par-dessus le fleuve (1200 verges - 600 pieds de haut) causaient des dommages par simple énergie cinétique; les obus de mortier (bombes) explosaient, détruisant les édifices et dispersant dans toutes les directions de fragments de métal destructeurs. Les projectiles lourds et les bombes explosives faisaient éclater des toitures et s'écrouler des constructions. Les carcasses allumaient celles-ci, déclenchant de la sorte des incendies qui pouvaient se propager à une ville entière et qui rasait tout sur leur passage.
De Lévis, le soldat anglais Edward Coat rapporte ceci: «Par trois fois, j'ai vu Québec tout enveloppée de flammes sous l'effet des bombes et des carcasses, sans parler des nombreux incendies de moindre importance. Il y a plus de 300 maisons brûlées. La basse-ville est une scène de destruction totale et la situation de la haute ville est à peine meilleure.»(3)
Williamson, le lieutenant de Monckton, déclare à la fin d'août: «Tant de choses ont été brûlées ou détruites, qu'y perdre des munitions ne vaut plus trop la peine, mais le moment est encore mal choisi d'un cessez-le-feu»(4)
Cette vision dantesque et féerique, inspire aussi un grand poème au sergent Ned Botwood, grenadier du 47e régiment :
«Monckton et Townshend, braves Brigadiers,
Nous mettrons avec vous cette ville à nos pieds.
Lorsque se seront tus les canons, les mortiers,
Deux, trois mots, Mère Abbesse, aux nonnes agenouillées!
Nos soldats entreront entre vos murs ? à poil
Et ils vous feront voir tout un bouquet d'étoiles »(5)
Pour les Britanniques, c'est un sublime «QUÉBEC CRASH FIRE»
Québec avant le bombardement
Or, on doit savoir, qu'en 1758, Québec était la plus belle ville en Amérique. C'était la fin de l'âge d'or (1747-1758) du développement de la Nouvelle France.
Québec est superbement campée sur son promontoire. C'est la capitale et seul port de mer. Québec est ceinturé de solides remparts garnis de canons. «Les 8000 habitants de la ville s'enorgueillissaient de leur haute-ville qui se dressait en plein ciel entouré des clochers ajourés des églises et de ses chapelles.»
«De nombreux monuments embellissent ses principales places, tels le château Saint-Louis, la résidence du gouverneur, le Palais de l'intendant, le collège des Jésuites et la cathédrale, auxquels s'ajoutent l'évêché, le couvent des Ursulines, l'Hôtel-Dieu et l'Hôpital Général.»
«Au gré de ses rues en pente, s'alignent ses hautes maisons de pierre, chapeautées de larges cheminées. Plus modeste, la basse-ville encercle de ses boutiques sa place centrale, que domine un buste de Louis XIV, face à la jolie chapelle au fier vocable de Notre dame des victoires.»(6)
Après ces affreux bombardements, la ville en ruines, sera réquisitionnée. Québec deviendra garnison anglaise; 42% de ses terrains à l'intérieur des murs réquisitionnés par l'armée, et de très larges bandes de terre autour de la ville, sont aussi réquisitionnées dont les plaines et le port. On imposera l'économie et la langue du vainqueur. On improvisera plus tard un développement architectural archaïque et baroque : mi-Britannique, mi-Tudor, mi-Victorien, mi-Gothique, mi-Écossais, mi-figue et raisins, bref, on fait disparaître les traces qui rattachent la ville à sa culture, à son passé.
Un legs
Les Québécois qui connaissent bien leur histoire devraient plus souvent regarder ces belles plaques fédérales sur la terrasse Dufferin. Elles soulignent, ces beaux «grands feux», ces superbes explosions qui ont fait éclater les maisons et les hommes et qui ont fait un jour trembler le ciel et la terre pour raser au sol de la plus belle ville d'Amérique.
Généralement les militaires observent un code d'éthique qui bannit les actions contre les civils et les cités. On nomme généralement les déviants : des criminels de guerre. Les Québécois, qui connaissent bien leur histoire, ont décidé d'honorer ces grands criminels de guerre. On grave une rue du nom de Monckton. On élève deux monuments à James Wolfe, on grave son nom sur trois rues et on lui sculte aussi une statue qui a mystérieusement disparu dans les années 1970.
En cette année du 250e anniversaire du bombardement de la ville de Québec, je suggère que l'Angleterre fasse un grand legs à la ville de Québec. On pourrait ainsi déménager le monument de Wolfe avec son socle, et l'installer comme pilier sous l'arche centrale du manège militaire en ruines pour soutenir ce grand symbole colonialisme néo-gothique et ainsi commémorer les cendres de la ville de Québec en 1759.
En guise de pieux de soutènement, on pourrait installer à droite comme «gargouille», le buste de Monckton, bien entouré par des statues des exilés acadiens. On pourrait l'appuyer à gauche sur la bouille de Jeffreys Amherst le maître d'oeuvre de l'invasion du Canada, qui procéda plus tard à la première guerre bactériologique au Canada en inoculant des virus mortels (SMALLPOX) à plus de 5000 nos amis amérindiens.
Ainsi, je pense qu'une fois que les «bouilles» de grands criminels de guerre réunis, et bien ancrés dans le béton et dans l'histoire des 400 ans de la ville de Québec, nous pourrons enfin passer à autre chose, et effacer de notre mémoire collective, le souvenir, l'image de ce qui fut un jour la plus belle ville d'Amérique!
Pierre Lépine, Québec
***
Notes de bas de page
1. Douglas & McIntyre Northern Armageddon
2. Récher p. 22
3. Douglas & McIntyre Northern Armageddon: the Battle of the Plains of Abraham p.117
4. Douglas & McIntyre Northern Armageddon: the Battle of the Plains of Abraham p.118
5. Ned Botwood « Hot Stuff » Revington's New York Gazetteer no 55
6. Lanctot p 287
RÉFÉRENCES :
Guillmor D. & Turgeon P. : Le Canada, une histoire populaire. Des origines à la confédération, Fides, Bibliothèque nationale du Québec.
Hébert J.C.: LE SIÈGE DE QUÉBEC EN 1759 par 3 témoins, ministère des Affaires culturelles, 1972, Série Place Royale.
Douglas & McIntyre, Northern Armageddon: the Battle of the Plains of Abraham.
Lanctôt Gustave, Histoire du Canada 1713-1763, Bibliothèque nationale du Québec, 1964.
Macleod Peter, La vérité sur la bataille des plaines d'Abraham, Éditions de l'Homme, 2008.
Ned Botwood, «Hot Stuff» Revington's New York Gazetteer no 55.
Têtu Henri, ed. Journal de Récher
Williamson George, Williamson and Family Papers, 2 septembre 1759
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