Les vraies batailles sont devant nous

Chronique de Claude Bariteau


TRIBUNE LIBRE 13.12.2003
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Propos tenus auprès des Amis de la souveraineté
Le dimanche 23 novembre 2003 à 11h30
Valleyfield
Introduction
Nous sommes à un tournant majeur et décisif. Nous avons devant nous quelques années pour fonder le pays du Québec. Il nous appartient de déployer nos énergies dans cette direction en misant uniquement sur les points essentiels. Telle est l'idée maîtresse de mon propos, que j'ai divisé en trois parties.
La première traite de la question de l'indépendance du Québec dans la conjoncture actuelle. Cette question comme cette conjoncture sont incontournables mais encore faut-il en décoder les éléments déterminants, ce que je vais esquisser en signalant, entre autres, que l'idée de sécession est désormais ce qui nous anime. Par la suite, j'aborderai la nécessité de recentrer le discours indépendantiste sur les dossiers stratégiques, soit ceux qui mènent à la fondation du Québec. Je poursuivrai en montrant que des actions précises devront être déployées afin d'entreprendre les vraies batailles au cours des prochaines années, l'une d'elles est l'élection fédérale qui aura lieu incessamment, mais la plus décisive étant les prochaines élections au Québec. Ce sera mon dernier point avant de conclure.
La question de l'indépendance du Québec dans la conjoncture actuelle
Le dernier sondage a révélé que 47 % des Québécois et Québécoises de toutes origines veulent que le Québec devienne un État souverain. Après huit ans d'intenses propagandes émanant du Canada et des institutions qui s'y rattachent, un tel pourcentage témoigne que les Québécois ne sont pas dupes, encore moins des sujets qu'on peut «canadianiser » en les contaminant. Ce support, qui dépasse celui obtenu par le PQ aux élections de 1998 et 2003, indique que l'idée d'un Québec souverain, qui veut dire un Québec indépendant, rejoint des supporters chez les autres partis. Ce point a déjà été mis en relief dans un sondage réalisé en 2000 par Pierre Drouilly et Pierre-Alain Cotnoir. Il n'est pas le seul point qui mérite une attention particulière. Drouilly et Cotnoir ont aussi montré que le projet de faire du Québec un pays reçoit un appui des Anglo-Québécois et des Québécois de l'immigration récente, respectivement de 20% et de 33%. Dans leur livre intitulé Les Raisons fortes (Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 2002), Gilles Gagné et Simon Langlois signalent aussi l'existence d'un appui à la hausse chez ces derniers. Par ailleurs, s'agissant des Québécois de l'immigration récente, un sondage fait en 2003 financé par Génération Québec indique que leur appui est à la hauteur de 40%.
Voilà qui témoigne, à mon sens, que le mouvement d'affirmation nationale canalisé depuis les années 1970 par le Parti québécois s'est transformé en un mouvement sécessionniste qui s'irradie partout au sein de la population du Québec. C'est un changement majeur. Il est très rare qu'un mouvement nationalitaire se transforme ainsi. Lorsque c'est le cas, la dimension politique prend le dessus et le projet de pays devient l'objectif recherché. En quelque sorte, une nouvelle hiérarchie s'instaure et l'accent est mis sur le pays à faire, l'intégration de responsabilités découlant de la sécession, la présence internationale, l'armée, le régime politique, la citoyenneté, l'aménagement des pouvoirs existants, etc. Dans un tel contexte, il importe d'abord de s'entendre sur les éléments qui fondent le pays, quitte par la suite à leur donner des colorations émanant des partis politiques qui véhiculent des projets de société.
Ce point est important parce qu'au Québec nous avons tendance à lier projet de pays et projets de société. Dans tous les pays, il y a divers projets de société. En France, le projet de société de la droite n'est pas celui des socialistes, encore moins celui des communistes. Néanmoins, ces trois partis partagent une volonté de vivre ensemble et les règles qui en font des républicains. Cette volonté de vivre ensemble, ils l'ont exprimée avec force en se mobilisant pour chasser les Allemands qui occupaient leur territoire. Il en fut de même aux États-Unis lorsqu'il s'est agi de faire sécession de l'Angleterre. Voilà pourquoi je considère qu'il importe présentement, au Québec, de trouver la voie qui nous incitera à nous entendre sur un projet de pays et à travailler à le réaliser en dessinant, par exemple, les contours du vivre ensemble qui nous anime. Il nous faut nous entendre sur la maison à construire et les règles de base pour y vivre dans le respect des différences qui nous sont propres.
Aux dernières élections, le PQ, dont les dirigeants savaient que le projet de pays était supporté par plus de 45% de la population, n'a pas composé avec cette idée. On connaît le résultat. Depuis, ce parti est en intense réflexion. Il ne faut pas s'en surprendre outre mesure. Au Québec, selon Vincent Lemieux, politologue de l'Université Laval, les partis qui drainent la ferveur nationaliste auraient une espérance de vie inférieure à 40 ans. Aussi, estime-t-il que le PQ, qui vient de franchir le cap des 35 ans, serait en sursis. Ou bien il se transforme radicalement, ou bien il sera en proie à un schisme. Comme le PQ s'est fait le promoteur de l'idée du pays à faire, tout porte à penser qu'il se recentrera sur l'indépendance du Québec, probablement en abandonnant l'idée d'un quelconque partenariat et celle de la gouvernance d'une simple province.
La nécessité de recentrer le discours et les actions pour fonder le Québec
À mon avis, ce recentrage s'impose, entre autres, pour : 1) clarifier nos objectifs de sécession du Canada; 2) préciser la citoyenneté québécoise et la nation politique québécoise parce que fonder un pays, c'est instituer une nouvelle citoyenneté et affirmer une nouvelle nation au sein des organismes internationaux; et 3) éliminer nos tendances partenariales avec le Canada. Bien sûr, il y a d'autres points qui devront être recentrés. Je m'arrêterai uniquement sur ceux-ci parce que je les considère déterminants.
Fonder un pays, ce n'est pas négocier une égalité quelconque. Fonder un pays, lorsqu'on est déjà dans un pays, c'est modifier l'ordre existant en créant une nouvelle entité politique. Fonder un pays dans un tel contexte, c'est faire sécession. Et faire sécession, c'est un geste d'affirmation que seuls les États existants seront appelés à reconnaître. Fonder un pays, c'est fondamentalement se rendre responsable à la face du monde et s'ouvrir au monde. Il existe des règles à respecter, notamment celles associées à la prise en charge des responsabilités assumées par l'État-souche, en l'occurrence le Canada, et aux respects des droits de l'homme. Il faut les révéler et faire en sorte que les futurs citoyens et futures citoyennes du Québec en soient conscients. Par ailleurs, lorsque ces règles impliquent des démarches, il faut se préparer à les réaliser en évitant d'imaginer que tout se déroulera dans la joie et l'allégresse. Il faut se préparer à faire sécession et s'armer collectivement pour contrer les discours alarmistes concernant les processus de sécession. Le Québec deviendra pays en faisant sécession du Canada de façon pacifique. Il y a des précédents. Il faut les connaître comme il faut connaître tout ce qui se dit et s'écrit sur la sécession, notamment que le Québec est l'un des quelques endroits au monde où une sécession peut se réaliser pacifiquement. Sur ce point, le BQ, du lieu où il s'anime, pourrait devenir un spécialiste en matière de sécession et de reconnaissance sur la scène internationale, ce qui lui permettrait d'informer les Québécois entre autres sur la teneur des traités de sécession et l'existence d'instances internationales qui peuvent intervenir pour faciliter la transition qu'implique une sécession.
Fonder un pays, c'est aussi instituer un nouveau citoyen. Quelle sera la citoyenneté québécoise ? Quels en seront les éléments constitutifs ? Le BQ s'est déjà penché sur ce sujet; le PQ, un peu moins. Il revient aux indépendantistes de tracer les contours de la citoyenneté québécoise. À mon avis, la conception de la citoyenneté québécoise sera un sujet fondamental dans le processus menant à la création du pays du Québec. Ce le sera parce que créer un pays au XXIième siècle nécessite de définir les principaux contours du vivre ensemble auquel pourront s'associer les Québécois de toutes origines. Qui dit vivre ensemble dit citoyenneté, droits et obligations des citoyens, processus d'acquisition de la citoyenneté, valeurs mises de l'avant par une culture politique commune et, aussi, précision du régime politique au sein duquel cette citoyenneté s'exprimera en privilégiant, par exemple, une séparation des pouvoirs ainsi qu'une participation active des citoyens aux décisions qui les concernent. À cette fin, il faut reprendre le travail sur les institutions politiques du Québec en l'abordant uniquement dans l'optique d'un pays.
Dans la fondation d'un pays, si la citoyenneté est un incontournable, l'est aussi la conception de la nation. Récemment, le député bloquiste, Yves Rocheleau, a présenté une motion à la Chambre des communes affirmant que le Québec constitue une nation. Elle a créé un certain émoi. Les députés libéraux ont voté contre, alléguant que, ce faisant, ils ne remettaient pas en cause le fait que le Québec constituait une nation. À l'Assemblée nationale, une motion différente axée sur la notion de nation a reçu l'aval de tous les députés. Dans l'un et l'autre cas, je n'ai jamais été en mesure de bien cerner à quelle définition de la nation référaient les promoteurs des motions présentées. S'agit-il d'une nation politique, d'une nation culturelle? Personnellement, je soutiens depuis plusieurs années que nous formons une nation politique qui, jusqu'à ce jour, n'a pas dit qu'elle entend s'assumer en se dotant d'un pays. Je soutiens aussi que la présence de deux nations politiques dans un seul pays fait qu'il y en a une trop. Aussi, les deux doivent avoir leur propre pays. Au Québec, la nation politique canadienne est de trop. Au Canada, la nation québécoise n'a d'avenir que son assujettissement et sa disparition. Il faut choisir.
Fonder un pays, c'est se prendre en main et entrer en relation avec les autres pays existants. En votant la loi C-20, le gouvernement canadien, qui voulait par cette loi nous imposer sa conception de la clarté, a précisé un point important qui obstruait l'imaginaire québécois. Dans cette loi, ce gouvernement affirme qu'il ne négociera pas une refonte du Canada sur la base des désirs de partenariat du Québec. Cette prise de position, qui voulait figer les ardeurs réformistes des nationalistes nostalgiques, a favorisé un alignement nouveau du paradigme souverainiste. L'idée de partenariat avec le Canada s'est depuis progressivement dissipée. Aujourd'hui, les promoteurs de la souveraineté du Québec parlent de partenariats au pluriel. Dans peu de temps, si la sécession est bien expliquée, ils privilégieront des ententes ou des traités, termes qui sont utilisés sur la scène internationale.
Le temps des vraies batailles est devant nous
Ces précisions devront, à mon avis, être accompagnées d'actions précises. À cette fin, il faut réorienter nos priorités en vue de nous préparer pour les vraies batailles car le temps des vraies batailles est arrivé. Il l'est pour plusieurs raisons. La première est que le PLQ, dont le support aux dernières élections fut de 32.2% de l'électorat québécois (46%X70% des personnes qui ont voté = 32.2%), s'active à construire au Québec le modèle provincial canadien en défaisant le modèle québécois basé sur le partage, l'équité et l'affirmation nationale. Ce parti n'a pas reçu un tel mandat. Il faut que les porteurs du pays du Québec le lui rappellent avec force.
La deuxième raison est le fait qu'à la Chambre des communes, le PLC, Paul Martin en tête, cherchera à finaliser la construction nationale canadienne activée par son prédécesseur, Jean Chrétien. Paul Martin entend d'ailleurs entreprendre une refonte de la conception de la citoyenneté canadienne. Elle aura comme objectifs de responsabiliser les députés et, surtout, d'instituer un lien social imprégné de programmes nouveaux en santé, en éducation, dans les domaines culturels et auprès des jeunes. Ces programmes, qui découlent de la participation du Canada à l'ALÉNA, viseront à inscrire l'identité canadienne sur le terrain des provinces, limitant du coup les aspirations québécoises. Il nous faudra être d'attaque car il en ira de l'enfermement de la nation politique québécoise dans le moule canadien, ce à quoi est d'emblée complice le PLQ. Être d'attaque consistera, en gros, à faire valoir que nous serons vraiment nous-mêmes lorsque nous aurons sorti le Canada du Québec.
Pour mener ces batailles, toute alliance stratégique avec des partis canadiens devrait être mise de côté. Le BQ comme le PQ n'ont aucun intérêt à s'agiter de la sorte. Si cela a pu faire sens avant la loi C-20, on sait aujourd'hui où crèchent les partis canadiens. Ils ont clairement indiqué qu'ils œuvrent à faire le Canada sur la base de la nouvelle constitution de ce pays. Alors, pourquoi travailler avec des gens qui travaillent contre nous? Mieux vaut investir les énergies créatrices du BQ, du PQ et de tout autre parti politique prônant l'indépendance du Québec auprès des Québécois de toutes origines afin de présenter ce que pourrait être le pays du Québec. À cette fin, visiter les Cégeps et les milieux de travail, occuper l'espace public, débattre des dossiers fondamentaux, etc. sont des activités qui auront des retombées plus significatives que celles dérivant d'une participation à des commissions canadiennes ou de discussions parlementaires qui ne font aucunement avancer la cause de l'indépendance du Québec.
Somme toute, le temps des vraies batailles nécessite une radicalisation pacifiste de la démarche. D'ici 2008, les promoteurs de l'indépendance du Québec doivent se préparer à se battre. À cette fin, il importe de toute urgence de clarifier le projet de pays et de revoir les moyens qui y conduisent. D'ici peu, il y aura des élections fédérales. À cette occasion, le BQ devra mettre le cap sur le projet d'indépendance du Québec plutôt que de cibler Paul Martin. S'agissant de ce dernier, il devra surtout montrer aux Québécois de toutes origines que ses idées nationales sont aux antipodes de celles qui animent le peuple québécois et qu'elles auront, comme elles ont déjà eu, des conséquences néfastes pour l'ensemble des Québécois. À mon avis, c'est cette approche qui permettra de faire élire les candidats du BQ, donc de battre ceux du PLQ dont la mission est de poursuivre le travail de sape déployé depuis le référendum de 1995.
Cela dit, le temps des discours valorisant la défense des intérêts du Québec est dépassé. Il faut passer à l'attaque, faire la promotion de la nation politique québécoise et préparer son accession à l'indépendance. En somme, inviter les Québécois à dire non au Canada des Paul Martin de ce monde. Voilà qui devrait être la plate-forme électorale du BQ, ce qui implique d'y subordonner tout autre élément. Ces points devraient être aussi au centre des débats d'idées au PQ. S'agissant du PQ, il me semble que le temps est venu de préciser que la gouverne provinciale ne l'intéresse pas et, parce qu'elle ne l'intéresse pas, qu'il entend, s'il est élu, travailler à faire le pays. En clair, le PQ devrait déjà dire haut et fort qu'il cherchera à se faire élire uniquement pour mener à terme le projet de pays que partagent les Québécois et les Québécoises de toutes origines et la façon dont seront définis les contours de la citoyenneté québécoise. Ce faisant, le BQ et le PQ prépareront la table pour les prochaines élections au Québec. Du coup, un vote pour le BQ deviendra un vote d'affirmation de la nation politique québécoise. Ce vote sera porteur de sens. Mieux, il annoncera les batailles à venir.
Conclusion
Si nous optons pour une clarification des objectifs et une radicalisation pacifiste, nous deviendrons la cible préférée de tous les partis canadiens, y compris du PLQ. Au Québec, cependant, nos positions seront reçues par le peuple québécois. À mon avis, plus nous approfondirons les questions essentielles, plus nous contribuerons au déploiement et à l'irradiation d'idées favorables à la création du pays du Québec. Plus nous révélerons le travail de déstabilisation en cours de la nation politique québécoise, plus les Québécois découvriront qu'ils ont des ennemis internes et plus ils le découvriront, plus cela renforcera l'idée qu'ils ont tout avantage à contrôler leur destinée en devenant indépendant. Alors, ceux et celles qui, au Québec, oeuvrent au sein d'institutions canadiennes et québécoises à transformer les Québécois en Canadiens, seront tentés de fournir des informations pertinentes sur ce travail de déstabilisation qui se fait partout, y compris dans les médias avec le support de journalistes et sur la scène internationale, etc.
Les Québécois ne veulent pas du Canada qui leur fut imposé en 1867 et en 1982. En 1992, ils n'ont pas voulu du Canada de Bryan Mulroney auquel avait souscrit le PLQ sous Robert Bourassa. Ils n'ont jamais dit qu'ils veulent vivre au Québec en canadien, encore moins fait savoir qu'ils sont heureux d'en être contraints. Les fédéralistes du Québec le savent. Pourtant, ils font comme s'ils ne le savaient pas. Pour une poignée de dollars. Une carrière. Un statut. Le plaisir d'assumer le pouvoir du conquérant. Je ne sais quoi. Il y a là un déni politique qui dépasse l'acceptable. Les indépendantistes doivent s'y attaquer la tête froide en invitant les Québécois et Québécoises de toutes origines à choisir entre : 1) faire le pays du Québec et affirmer les valeurs et les règles qui nous définissent; et 2) vivre au Québec selon les valeurs et les règles canadiennes. Les valeurs et les règles canadiennes imposent un sens qui annihile le nôtre. L'inverse est aussi vrai. Le premier choix conduit à devenir un Québécois à part entière; le second, un canadien de province. Le premier fait naître ce qui est en gestation; le second le tue. Il faut tuer cette mort avant qu'elle nous tue.

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Claude Bariteau49 articles

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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