Lettre ouverte aux nouveaux Québécois

Quand vous arrivez au Québec, si vous vous identifiez au Canada anglais, vous êtes perçus comme une menace pour nous

Immigration : francisation et intégration

Dans le débat qui se produit ces temps-ci au Québec autour des «accommodements raisonnables», je comprends que la situation des néo-Québécois n’est pas toujours très confortable, mais je souhaiterais qu’ils essaient de comprendre que celle des Canadiens français du Québec, soit celle de la majorité des Québécois, ne l’est pas elle non plus, et qu’ils doivent intervenir dans cette affaire avec beaucoup de prudence et de discernement. Je dirais même: attendez donc avant de prendre parti, avant de vous prononcer. Commencez par regarder ce qui se passe. Essayez de comprendre le contexte historique dans lequel se situe le Québec actuel, quelles sont les forces en présence, quel est le malaise qui habite les Québécois.
Vous ne le savez sans doute pas, vous qui venez d’arriver, mais les Québécois n’ont jamais accepté le rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982, un acte politique qui a été rejeté par l’Assemblée nationale du Québec à l’unanimité. Vous ne savez sans doute pas non plus qu’en 1995, un référendum a été tenu sur la question de l’indépendance du Québec et que ce référendum a été volé, ou du moins c’est ce que croient beaucoup de Québécois, et même s’il s’avérait qu’ils se trompent, il faudrait tenir compte du malaise que leur scepticisme affiche, mais personne n’a jusqu’ici réfuté les arguments de ceux qui soutiennent que le référendum a été volé. Et il y en a eu un premier en 1980. Et là non plus les résultats n’étaient pas tout à fait patents. Et il y a eu l’affaire du Lac Meech. Vous ne savez pas de quoi il s’agit. Instruisez-vous et vous verrez que les Québécois là encore ont été bafoués par le reste du Canada et par le Premier ministre du Québec lui-même qui avait promis que si le Canada n’acceptait pas les recommandations de Meech, il tiendrait un référendum sur notre lien au Canada, ce qu’il s’est empressé d’oublier.
Ce que vous devez comprendre, c’est que la relation du Québec avec le Canada se vit dans un malaise qui dure depuis deux siècles et demi. Vous vous dites, c’est du passé, il faut oublier. Pour vous, cela relève de l’histoire, pour nous, cela fait partie de notre être. Vous ne le savez pas, mais le Canada a combattu le français partout, au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick, au Québec même. Savez-vous ce que la Cour Suprême du Canada a fait de la Loi 101 qui a été promulguée par l’Assemblée nationale du Québec? Vous devez comprendre ceci: Quand vous arrivez au Québec, si vous vous identifiez au Canada anglais, vous êtes perçus comme une menace pour nous. Ne soyez pas surpris si la majorité des Québécois ne sont pas très contents.
J’ajoute que vous ne devez pas prendre à la légère l’héritage historique des Canadiens français. Vous ne pouvez pas prendre à la légère les blessures que l’histoire a infligées à la majorité des Québécois, car cela fait partie de leur être, de leur identité. Les Québécois qui sont ici depuis quatre siècles, se rappellent confusément, mais fermement, –- cela fait partie de leur être –-, qu’ils ont été exclus des affaires publiques pendant une décennie, au début de l’occupation anglaise, à cause de leur identité religieuse, ce qui a permis aux envahisseurs d’occuper les places dont il ne serait pas facile de les déloger par la suite. Ils se rappellent confusément que lorsqu’ils ont combattu pour le respect des règles démocratiques, dans la première moitié du XIXe siècle, ils ont été réprimés violemment, de façon barbare, par l’armée du conquérant et qu’on a exécuté plusieur Patriotes dont le seul crime était de défendre les libertés démocratiques. Ils se rappellent qu’on leur a imposé dans le mépris le plus ignoble l’Union des deux Canadas en 1840, qu’on les a intégrés à la Confédération canadienne en 1967 sans les consulter parce qu’on savait très bien qu’ils n’auraient pas accepté le statut qu’on leur imposait. Ne nous dites pas que tout cela est du passé. Ce sont ces actes d’hier qui commandent la réalité d’aujourd’hui, et tout cela crée un malaise dont les Québécois ne pourront se débarrasser que si un jour ils réussissent à se prendre en main.
Tous des immigrants ?
Je n’aime pas non plus entendre dire par des néo-Québécois que nous sommes tous des immigrants. Encore une fois, de telles allégations constituent une négation de l’histoire, de l’identité du peuple québécois. Une insulte à l’endroit de deux qui ont construit ce pays. Je dis aux nouveaux arrivants: nous ne sommes pas arrivés au pays hier. Mes parents sont au pays depuis quatre siècles. Et on ne peut même pas dire qu’ils étaient des immigrants. Ils étaient au début des colons. Ils s’installaient dans des régions à peu près inoccupées, –- les auteurs de l’époque parlent de « désert ». Puis certains s’adonnèrent au commerce dans tout l’intérieur du continent et d’autres devinrent des « habitants » . C’est ainsi qu’ils construisirent un pays nouveau parmi les Premières Nations qui étaient dispersées dans ce qui s’appelle maintenant l’Amérique. Quand vous affirmez légèrement, comme cela, qu’après tout, nous sommes tous des immigrants, je rage intérieurement, j’y vois du mépris pour les miens et tous ceux qui ont fait ce pays que nous habitons. Vous ne le savez pas, mais ces vastes plaines qui longent le Saint-Laurent étaient autrefois des forêts. Ce sont mes ancêtres qui les ont défrichées, cultivées au prix d’efforts incroyables et innombrables. Ils n’étaient pas des immigrants mais des constructeurs.
S’ouvrir aux autres?
Mais puisque je suis parti à exprimer le malaise des Québécois et le mien en particulier, je vous dirais encore ceci: je me hérisse quand j’entends dire que les Québécois doivent s’ouvrir aux autres, qu’ils doivent cesser de se replier sur eux-mêmes, comme s’ils avaient été confinés à leurs terres et à leurs paroisses. Je sais que beaucoup de Québécois entérinent ces jugements car ils sont habitués à subir leur sort, à encaisser tout ce qui se dit à leur sujet, mais je rappelle que les Canadiens français et leurs ancêtres les Français ont été les découvreurs de l’intérieur de l’Amérique du Nord. Ce sont eux qui ont exploré le continent de Québec à la Nouvelle-Orléans, des Grands Lacs aux Rocheuses. Et un peu plus tard, jusqu’à tout récemment, ce sont eux qui ont envoyé des missionnaires partout dans le monde, pour prêcher l’Évangile, certes, pour rencontrer d’autres peuples et les aider. C’est ainsi que les Canadiens français ont construit des écoles, des collèges et même des universités, et des dispensaires dans tous les pays du monde. Et on nous présente les Québécois comme des êtres antisociaux et repliés sur eux-mêmes. S’il y a en Amérique un peuple chauvin et replié sur lui-même qui ignore tout de ce qui se passe dans le monde, c’est bien notre voisin du sud...
Beaucoup de Québécois en ont assez
Je serais donc heureux si les immigrants essayaient de comprendre les Québécois. Je sais d’ailleurs que certains le font, mais malheureusement, ceux qui parlent le plus fort, ce ne sont pas nécessairement ceux qui comprennent et aiment le Québec. Et il se trouve chez nous des intellectuels frustrés qui prétendent qu’il faut oublier qui nous sommes, qui recommandent de « brûler les souches ». Tout cela explique que la relation des Québécois avec les arrivants est parfois pénible, comme l’ont laissé entendre certains intervenants au cours des sessions de la Commission Bouchard-Taylor.
Beaucoup de Québécois en ont assez de toutes les vexations qu’ils ont subies depuis deux siècles et demi. Ils ne sont pas du tout contents quand, par exemple, à la veille d’un référendum portant sur l’avenir du pays, des milliers d’immigrants qui viennent d’arriver obtiennent en toute hâte la citoyenneté « canadienne » et se prononcent sur l’avenir du pays qu’ils ne connaissent pas encore. C’est ma conviction que les arrivants devraient attendre quelques décennies avant de prendre parti dans les querelles politiques entre le Québec et le Canada. Ils devraient s’intégrer lentement à la société québécoise, regarder, apprendre l’histoire, prendre conscience du problème politique qui alimente un profond malaise chez les Québécois. S’‘ils ne saisissent pas que les Québécois forment un peuple, qu’ils ne sont pas une minorité mais un peuple dans ce qui devrait être une fédération, s’ils prennent parti pour le Canada, ils nient la nation québécoise et ils contribuent à empoisonner le climat politique.
Quand le pays sera un pays indépendant, la situation des immigrants sera beaucoup plus facile, beaucoup plus claire, mais en attendant, s’ils veulent se faire accepter, ils doivent éviter de contrecarrer la volonté politique de la majorité des Québécois.




Laissez un commentaire



5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 avril 2008

    Bâtisseurs, peut être! Mais exterminateurs et oppresseurs des peuples qui vivaient ici avant vos ancêtres. Les "néo-québecois", comme vous aimez les appeler, n'ont tué personne en s'installant ici, et n'ont mis personne dans des réserves comme vos ailleux et comme vous continuez de le faire jusqu'aujourd'hui. C'est là différence.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    20 octobre 2007

    Avis aux agents de dénationalisation, gouv. Qc
    M. Benoît Pelletier : avez lancé une petite roquette contre les Québécois résistants à la rhétorique Harper sur le pouvoir fédéral de dépenser, prétextant l’impossibilité de l’éliminer, sous peine de perdre en même temps la PERÉQUATION. La Presse livre ce samedi 20 oct la correction de ceci par un expert de l’UdeM, M. A.Noël :
    « La proposition Harper sur le pouvoir fédéral de dépenser, c’est un peu comme si Ottawa offrait de laisser aux provinces le contrôle sur la production des téléviseurs en noir et blanc. »
    M. Couilleard : avez lancé une torpille contre le projet Marois de favoriser l’usage du français par les nouveaux arrivants. Citoyens à 2 vitesses… santé à 2 vitesses…gouv. à 2 vitesses (arrêt et recul) Les arguments arrivent en 4ième vitesse, démontrant que le Canada impose des langues, le Qc actuel n’aide pas l’apprentissage du frçs (diluer les votes), l’Angleterre se fixe désormais sur l’exigence de la langue… Ministre militariste, baissez-vous, la torpille vous revient…

  • Archives de Vigile Répondre

    20 octobre 2007

    "que l’allégeance politique d’un nouvel immigrant va nécessairement vers le pays d’accueil, et ce pays est nécessairement le Canada et non le Québec ; le Québec est une province du Canada."(Dalva)
    C'est précisément où siège le mensonge anglais. L'immigrant est dupé.
    La vérité est que c'est le Canada qui est une province du Québec. Le ROC (rest of Canada) est en fait ce qui fut une partie de la Nouvelle France. Le Canada de l'anglais est un faux Canada.
    Le Canada réel est le territoire du Grand Chef Donnacona (tout autour du fleuve Saint-Laurent et le nord des Grands Lacs) et dont la capitale était Stadacona (aujourd'hui Québec).
    Le Canada est une province du Québec.
    Lorsque le Québec sera indépendant, c'est avec le véritable Canada qu'il le sera. Nous pourrons toujours se dire fièrement Canadiens autant que Québécois. Nous ne nous séparons pas du Canada, mais nous reprennons possession du Québec et du Canada pour qu'ils soient indépendants de l'Anglais et de son Dominion britannique.
    Les problèmes identitaires seront uniquement le problème des Anglais dans le Dominion. Ils devront expliquer à leurs enfants pourquoi le pays Québec d'à côté a un Canada dans ses livres d'histoire et qu'ils se disent toujours Canadiens.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2007

    Monsieur Roy,
    Votre réflexion est très approprié par les temps qui courent, cependant je me dois de vous souligner que comme immigrant de vieille date ( 38 ans ), que l'allégeance politique d'un nouvel immigrant va nécessairement vers le pays d'accueil, et ce pays est nécessairement le Canada et non le Québec; le Québec est une province du Canada.
    Personnellement, après avoir vécu un temps en région, ce qui m'a permis de mieux connaitre le "Vrai" québécois, je suis partisan de l'idée du poète Raymond Levesque; un nouvel immigrant ( reste à préciser la définition temporelle ) ne devrait pas avoir le droit de vote lors d'un référendum portant sur la destinée politique du Québec.
    En effet, durant mes dix premières années au Québec n'ayant aucune idée des aspirations politiques des quebecois, la peur d'une instabilité sociale me portait vers le maintien du status quo.
    Il ne faut pas avoir peur de passer pour des "Herouxvillois", ni de se faire ostraciser comme Raymond Levesque pour défendre de façon logique les intérêts et les désirs de la majorité des citoyens de notre province.
    A vrai dire, M.Parizeau avait bien raison...

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2007


    Merci Paul-Émile Roy pour votre très beau texte.
    Oui il faut le dire fièrement , nous ne sommes pas des immigrants, nous
    sommes les enfants des bâtisseurs, le peuple fondateur.