Le retour des écoles-passerelles, permettant aux parents plus fortunés de contourner la Loi 101 afin d’envoyer leurs enfants au réseau public anglophone, constitue le pire des reculs pour la société québécoise, personne ne peut en douter. Désormais – merci au gouvernement libéral de Jean Charest – l’argent permet de s’acheter des places à l’école publique anglaise après seulement trois ans dans des écoles privées non-subventionnées. Le gouvernement s’en défend en disant qu’il y aura d’autres facteurs permettant de juger du « parcours authentique » d’un élève, mais c’est précisément cette justification au cas par cas qui risque de nous entraîner vers les pires excès et consacrer le pire des reculs: celui de l’application d’une loi unique et impartiale pour tous.
En effet, à partir du moment où la loi ne s’applique plus d’une manière claire et univoque à chaque citoyen, à partir du moment où une foule de facteurs particuliers permettent d’établir une règle arbitraire, on ouvre la porte aux pires des excès. On a déjà vu le gouvernement libéral se servir des garderies privées ou de l’industrie de la construction pour se financer, mais il serait désormais possible d’imaginer que les enfants de donateurs du parti pourraient se voir traiter différemment et se faire offrir une voie rapide (« fast track » pour la prochaine génération de Québécois) vers l’école anglaise. Le principe est relativement simple: la ministre de l’éducation, qui jouit d’un pouvoir discrétionnaire, serait en mesure de faciliter le passage des enfants des argentiers du parti. À partir du moment où une loi s’applique au cas par cas, il devient beaucoup plus facile de prendre un dossier, de le mettre sur le dessus de la pile, et de recommander un traitement favorisé.
Or, c’est précisément le problème avec le gouvernement actuel. Plutôt que d’instaurer des règles claires et des garde-fous qui s’appliquent à tous les citoyens, on préfère saupoudrer quelques mesures par-ci ou par-là afin de satisfaire les uns et les autres. Plutôt que de réaffirmer la laïcité de l’État et la primauté du respect du calendrier scolaire, on tente de le modifier en cachette pour plaire à quelques écoles juives. Plutôt que de déclencher une commission d’enquête publique sur la construction, on organise une escouade Marteau et on lui fait accomplir des actions ciblées. Plutôt que de réellement nationaliser les Centres de la Petite Enfance (CPE) ou de mandater un organisme indépendant d’attribuer les permis, on permet à un ministre de s’attribuer ce pouvoir et de décider, en dernier recours, qui aura la chance de s’occuper de nos enfants. Plutôt que de réaffirmer le caractère français du Québec, d’appliquer la Loi 101 aux écoles non-subventionnées ou de mettre fin au sur-financement des institutions anglophones, on propose une loi qui gérera le cas par cas et permettra, encore une fois, des passe-droits qui minent la confiance des citoyens dans l’appareil gouvernemental.
Le courage
Le courage, dans un État comme le nôtre, ce n’est pas de voter des lois « respectueuses des individus » comme l’affirmait bêtement Jean Charest. La loi 103 ne respecte pas les individus, car une société est formée d’autre chose que d’une somme de personnes désolidarisées et individualisées, vivant les unes et les autres repliées sur elles-mêmes. La loi 103 ne respecte pas les individus, car ce qui permet aux individus de s’épanouir, c’est précisément l’existence d’une société où les lois sont impartiales et où les règles sont claires et s’appliquent d’une manière identique à chacun. Lorsque je brûle un feu de circulation, je m’attends à ce que le policier me donne une contravention, pas à ce qu’il me mette à nu et commence à me fouiller. De la même manière, j’exige que mon voisin reçoive la même pénalité; ce sont ces règles identiques pour chacun de nous qui permettent notre vivre-ensemble et qui empêchent que l’arbitraire et le « cas par cas » nuisent à la cohésion sociale.
Le courage, c’est de définir les valeurs collectives qui nous animent et d’adopter des lois qui permettent de protéger celles-ci. C’est aussi de réaliser que sans société cohérente, sans société régie par des valeurs collectives appliquant des lois impartiales, nous vivrions dans un état d’anarchie, en guerre perpétuelle les uns contre les autres. Ce courage, c’est de réaffirmer que l’attachement du Québec à sa langue et à sa culture françaises ne sont pas que des mots vides de sens, mais que ceux-ci doivent précéder l’action. Ce courage, c’est de voter les lois qui permettent à nos valeurs communes de persister et qui réaffirment que la langue nationale, commune et consensuelle au Québec doit être le français et qu’il ne saurait être question pour l’État de faciliter d’une quelque façon que ce soit l’apprentissage d’une langue qui mine ce consensus.
Ce courage, le gouvernement actuel en manque cruellement. Cette loi 103, c’est le retour vers le « bill » 22, qui précédait la Loi 101 et qui décidait de l’attribution de places dans les écoles anglophones en fonction de tests de compétence en langue anglaise. Cette loi 103, c’est aussi un énième pas en arrière vers le « bill » 63, qui conférait le libre-choix dans l’apprentissage des langues à l’école et qui permettait de financer notre propre disparition avec l’argent de nos impôts. Cette loi 103 consacre également la suite du recul de notre démocratie et du retour insidieux à cette vieille façon de faire de la politique où le courage était remplacé par le patronage et où l’impartialité de la loi s’écrasait devant la toute puissance d’un cas par cas profitant surtout au parti au pouvoir.
La loi 104, qui empêchait les écoles-passerelles et qui réaffirmait la nécessité de soumettre tous les citoyens à la Loi 101, n’était pas parfaite. On pourrait même dire qu’elle était aussi timide que le gouvernement péquiste qui l’a adoptée. Cependant, elle était nécessaire et elle a réussi à stabiliser la croissance continuelle de la clientèle des écoles anglaises depuis le début des années 1990. Le gouvernement libéral actuel fait honte à son vote de 2002, alors qu’il l’avait appuyée, et il ajoute l’insulte d’avoir non seulement été incapable de la protéger, mais d’avoir ouvert la porte aux pires reculs linguistiques ET démocratiques en faisant du cas par cas son nouveau dogme.
En attendant d’avoir de vrais politiciens courageux au parlement, des gens honnêtes qui sauront faire entrer le Québec dans le vingt-unième siècle en mettant fin au financement d’un réseau anglophone public parallèle au réseau francophone national, en attendant que le Québec rejoigne les autres nations du monde qui ont choisi de ne financer qu’un seul réseau éducationnel dans la langue de la majorité, en attendant d’avoir autres choses que de veules opportunistes et carriéristes à l’Assemblée nationale, on peut tout de même se contenter des quelques grains de bon sens échappés de la loi 103 et qui nous donneront à picosser pendant que le bourreau de notre anglicisation affûte sa hache et prépare la scène finale de notre présence française en Amérique.
Au moins, lors de notre disparition finale, il n’y aura pas d’arbitraire.
Ce sera aussi systématique que le gaélique en Irlande ou le français en Ontario.
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