Quand j'ai pris la décision en 1994 de revenir en politique après une éclipse d'une dizaine d'années, j'en ai discuté avec mon épouse. Le jour même, un sondage accordait 80% de confiance aux professeurs d'université, dont j'étais, et 8% aux politiciens auxquels je voulais de nouveau me joindre. Malgré l'appui indéfectible de ma conjointe dans mon engagement politique, dont elle partageait tous les fondements, elle ne put s'empêcher, sourire en coin, de s'étonner que je veuille diviser ma crédibilité par dix!
Le sondage des dernières semaines n'a pas changé grand chose quant au niveau d'estime des gens de politique. Les Français réagissent comme nous, et bien d'autres peuples démocratiques. Ce phénomène est d'autant plus surprenant que tout ce déficit de confiance vient justement de ceux et celles qui élisent et réélisent ces personnes qu'elles estiment si peu. Où est le mystère? Si ces gens en qui nous n'avons pas confiance ne briguaient pas les postes électifs, comment pourrions nous vivre en démocratie et jouir du gouvernement du peuple par le peuple?
Il faut dire que les élus de tous les niveaux forment une infîme minorité de la population, ils ne sont donc pas nombreux pour se défendre. Plusieurs se disent intérieurement que les sondages ne les concernent pas personnellement mais visent leurs adversaires ou leurs collègues qui sont moins fiables qu'eux. Ils se disent: "S'ils m'élisent moi, c'est qu'ils m'estiment", sans se rendre compte que cette mathématique est incompatible avec les sondages qui les visent tous. Ne se sentant pas personnellement concerné, aucun politicien ne défend ouvertement l'ensemble des élus.
Je vais me permettre, après de longues années d'expérience, de le faire à leur place. Établissons d'abord que ce métier, au Québec, n'en est pas un d'enrichissement personnel. Les gens de politique ne sont pas dans la misère, mais leurs revenus sont beaucoup plus bas que ceux des grands sportifs, des artistes-vedettes, des animateurs et chroniqueurs célèbres, sans compter évidemment les capitalistes à hauts revenus. Les médecins spécialistes gagnent beaucoup plus que le Premier ministre du Québec, malgré son supplément longtemps tenu secret. En résumé, consacrer sa vie à la politique, c'est accepter de n'être jamais riche contre l'assurance de n'être jamais pauvre...
Quant aux heures travaillées, aucune convention collective ne pourrait en tolérer autant, et ce sans temps supplémentaire, cela va de soi. Semaines au parlement, et fin de semaines auprès des électeurs de son comté. Été comme hiver. Même en vacances, tout peut arriver: une inondation, une crise du verglas, ou le décès d'un notable. J'ai eu, dans la belle ville de Québec, de charmants appartements mais je ne les ai pratiquement jamais vu de jour: j'en partais à sept heures du matin et j'y revenais après dix heures de soir.
Pour l'intégrité liée à l'intérêt personnel et malgré les préjugés répandus, il n'y a eu, depuis la révolution tranquille et la loi de financement des partis politiques, pratiquement aucun cas de malversation de la part d'un député. Une condamnation criminelle, peut-être deux, en cinquante ans. Bien en-deçà de la moyenne de la population.
Comment donc expliquer ce phénomène de mépris global, mettant la classe politique au même niveau que les vendeurs d'automobile usagées? D'abord en raison même de notre système démocratique, les gens de politique doivent se critiquer entre eux, c'est leur devoir et ils s'en acquittent parfois de façon excessive. La période de questions, intégralement télévisée, prend souvent l'allure de foire d'empoigne dont la dignité et la modération ne sont pas toujours les caractéristiques.
Autre explication pour ceux et celles qui ont ou ont eu le pouvoir: l'addition des mécontents. Un pour cent par ci, dix pour cent par là, de gens en désaccord avec telle ou telle décision: c'est inévitable. Après quelques temps, cela fait beaucoup de gens pour répondre aux sondages qui leurs servent de moyen de défoulement.
Enfin, et c'est une composante majeure, le respectable et difficile métier de journaliste porte beaucoup plus à la critique qu'à la louange. Un rôle de chien de garde, oui c'est évident. Quatrième pouvoir qui a aussi la tendance naturelle à s'élever au dessus des trois autres. La commercialisation des média se fait mieux avec des attaques spectaculaires qu'avec des commentaires positifs. Si les élus font bien leur travail, c'est normal et c'est tout. Il n'y a pas lieu d'en parler. S'ils font des erreurs, les journalistes en parlent sans fin. Il me semble que ces tâches devraient être mieux équilibrées. Ce serait plus juste envers les hommes et les femmes qui donnent le meilleur d'eux-même pour que nous vivions en démocratie. Et peut-être qu'à la longue, les sondages seraient moins accablants.
Bernard Landry
L'opinion de Bernard Landry #55
Maudits politiciens
L'opinion de Bernard Landry
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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