Quand un député du PQ a évoqué la disparition du parti de René Lévesque, il n'a fait que répéter ce que l'on entend partout au Québec et que plusieurs sondages accréditent. Des militants attristés m'abordent dans la rue pour me demander mon avis. Dans certains cas, leur détresse est extrêmement émouvante. Ils sentent bien que le destin de notre nation est en cause.
S'ajoutant à ces demandes personnelles, une lourde et compréhensible pression médiatique me pousse aujourd'hui à donner mon avis. Je considère comme un devoir civique de le faire. Depuis le début de la crise qui frappe le parti, j'ai évité de personnaliser le débat. Je m'en tiendrai à cette attitude.
Je vais donc me concentrer sur le fond des choses tout en tentant d'aider les personnes et les instances, qui ont à faire des choix dramatiques, à les faire dans l'intérêt national. Comme je l'ai souvent dit: «la patrie avant le parti, et le parti avant les ambitions personnelles».
Le désarroi général est facile à comprendre quand on pense qu'en 2005, le parti était à 47 % dans les sondages, la souveraineté à 54 % et il semblait hautement probable que nous allions vers le pouvoir. Et vraisemblablement vers l'indépendance. Aujourd'hui, une série de sondages place le parti au troisième rang. Seule l'indépendance tient à peu près le coup.
Toute forme de déni serait irresponsable, le temps presse et simplifier le problème en le liant exclusivement à une personne n'est pas la façon d'y remédier. Il est plus vaste et plus profond. Lors du pénible épisode de l'amphithéâtre, les démissionnaires ont parlé de «la goutte qui a fait déborder le vase». Essayons de voir ce qu'il y avait de toxique dans le vase.
En tout respect pour ceux et celles qui, de bonne foi, ont concocté ce contenu inapproprié dénommé «gouvernance souverainiste» celui-ci, à l'examen, paraît largement à l'origine de nos difficultés. Et n'est sans doute pas étranger à la tragédie du Bloc Québécois. Ce n'est pas pour rien que cette façon de voir a réjoui les adversaires de l'indépendance.
On ne peut pas faire comme si on était souverain quand on est une simple province, ni agir comme si on était aux Nations unies quand on siège tout bêtement au Conseil de la fédération. Une telle doctrine envoie le message que si l'on peut agir en État souverain sans l'être, la souveraineté n'est donc pas indispensable.
Le premier geste vital que le PQ doit poser, c'est de renouer clairement avec sa raison d'être, et l'esprit du programme voté en 2005 après «la saison des idées». Son objectif numéro un doit être l'indépendance nationale: notre «coffre à outils pour régler nos autres problèmes», comme le martelait si bien René Lévesque.
Soit dit en passant, la sagesse de Lévesque fait ressortir l'incohérence de la CAQ et de François Legault. Celui-ci était d'ailleurs l'un des plus impatients indépendantistes qui, en tant que ministre et de surcroît comptable de formation, a préparé un budget du Québec souverain, lequel illustre bien les immenses pertes matérielles liées à notre statut provincial.
Il faut donc aller de l'avant et «mettre le cap sur l'indépendance» comme le disent si justement un grand nombre de militants. Il faut regarder le peuple droit dans les yeux et aller au pas de charge vers cet idéal d'abord fondé sur la fierté, la dignité et l'identité nationale, mais aussi sur d'évidentes considérations économiques.
D'autant plus que, parti de la marginalité en 1969, notre idéal a récolté déjà 40 % des voix en 1980 et 50 % au référendum de 1995 «volé» par le manque d'éthique fédéral, dont les preuves sont accablantes. Les sondages mettent la souveraineté plus haute aujourd'hui que dix mois avant le référendum de 1995!
Soulignons que cet idéal incontournable n'est ni de droite ni de gauche: il est en avant. Avec nos moyens provinciaux, nous avons construit une des trente premières économies du monde quant à la création de la richesse et en avance sur bien d'autres quant à sa répartition. Nos syndicats, nos entrepreneurs, nos coopératives et évidemment notre État national pourront faire encore bien mieux quand nous serons libres. Les fédéralistes qui, de façon absurde, utilisent nos succès pour défendre le statu quo sont dans la position de parents qui diraient à leur enfant: «Tu as déjà ton bac, pourquoi vouloir un doctorat?»
Le Canada est un pays démocratique et sert d'abord la nation majoritaire. Si nous étions indépendants, il est évident que nous ne serions pas hors de Kyoto, mais très probablement hors de l'Afghanistan. Notre chef d'État est la reine d'Angleterre, d'une façon de plus en plus visible. À Ottawa, il y a quatre Québécois sur quarante ministres. Je pourrais ajouter une liste sans fin des ravages économiques que nous a fait subir le fédéral. Le plus récent: il achète pour trente milliards de dollars de navires de guerre et aucun de nos chantiers maritimes n'est retenu.
La péréquation est une fumisterie et Ottawa nous coûte beaucoup plus cher qu'il nous rapporte. Il faut remplacer la fausse charité par la vraie justice et «une province pauvre» par un pays riche. George Washington a fait l'indépendance des États-Unis en répétant There is no gifts between nations. Cette vérité n'a jamais cessé d'être d'actualité et doit nous inspirer.
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On voit bien que la détresse actuelle de notre parti ne peut donc se résumer à une seule question de leadership. Mais les personnes qui le dirigent actuellement ont un devoir crucial et impérieux: mettre l'intérêt national avant toute forme d'ambitions personnelles. Qui est le mieux placé pour nous conduire rapidement au pouvoir, étape essentielle vers l'indépendance? Cette réflexion s'impose aussi à tous les militants qui doivent faire preuve de lucidité, de solidarité et d'unité pour renforcer notre option.
Je milite depuis quarante ans dans ce parti, et le fais encore. Il fut et est toujours un formidable instrument de progrès national. Pourvu qu'il soit bien orienté et bien dirigé. La sagesse est de le sauver dans l'unité, plutôt que chercher de lentes et incertaines alternatives. Ces recherches sont honorables, mais elles doivent s'effectuer dans un esprit de solidarité et d'efficacité.
Je suis bien placé, avec la trajectoire qui est la mienne, pour dire aux personnes concernées qu'elles doivent penser à la patrie avant tout. Chevalier de Lorimier, à la veille de sa mort injuste et héroïque, pensait-il à ses intérêts personnels quand il a dit: «Vive la liberté! Vive l'indépendance!»? L'heure du réveil a sonné.
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Bernard Landry, Ex-premier ministre péquiste du Québec - Verchères, le 21 janvier 2012
L'heure du réveil a sonné
Mettre le cap sur l'indépendance
ce contenu inapproprié dénommé «gouvernance souverainiste» celui-ci, à l'examen, paraît largement à l'origine de nos difficultés.
PQ - (Joliette-Montréal) conseil national - janvier
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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