Le gouvernement français s’est enfermé dans une position injuste et déraisonnable à l’égard de la Syrie légitime, choisissant de soutenir des «révolutionnaires» armés et violents, déplore l’ancien ambassadeur de France Michel Raimbaud.
RT France : C’est la première fois que les représentants de l’opposition syrienne et du gouvernement se réunissent pour des négociations à Astana. Est-ce effectivement une avancée dans le processus des pourparlers ?
Michel Raimbaud (M. R.) : Le simple fait que des représentants de l’opposition syrienne se réunissent avec des représentants du gouvernement pour des négociations constitue bien entendu une avancée indéniable dans la recherche d’une issue politique à la «guerre universelle» qui détruit la Syrie et son peuple depuis maintenant six ans. Le fait que des protagonistes étrangers, qu’ils soient des alliés de l’Etat syrien comme la Russie et l’Iran, ou des parrains de l’opposition armée (pour ne pas dire terroriste) comme la Turquie, y soient impliqués, donne à ce scénario l’indispensable label «diplomatique» susceptible de garantir le sérieux de l’engagement des parties concernées.
La question n’est pas simple, dans la mesure où les représentants de «l’opposition» ont un passé ou un pedigree qui, en temps normal, ne leur assurerait pas un ticket d’entrée à une table de négociation. Dans la mesure également où l’un des parrains – le régime d’Erdogan, pour ne pas le nommer – se voit gratifié de l’un des premiers rôles dans un processus devant conduire (d’une façon ou d’une autre) à la reconstruction de la Syrie, pays invaincu mais en bonne partie détruit grâce aux bons soins dudit Erdogan.
Pour le reste, il ne s’agit que d’un premier pas (celui qui coûte), qui devrait aboutir à une consolidation du cessez-le-feu généralisé et à séparer les «opposants armés» des groupes terroristes. Ce premier épisode devra être suivi de beaucoup d’autres, à Astana ou à Genève, ou ailleurs. Mais le choix du lieu n’est pas anodin.
RT France : Le ministre allemand des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier s’est montré assez sceptique à l’égard des pourparlers à Astana, arguant que le vrai progrès ne pouvait avoir lieu qu’à Genève lors de la prochaine étape. D’où vient ce scepticisme ?
M. R. : Au fil des cinq cents dernières années, l’Occident s’est progressivement installé dans sa position de maître de l’univers, ce qui lui confère une rente de situation que ses dirigeants trouvent normale, estimant que les questions importantes relatives à la paix et à la guerre ne peuvent se traiter ailleurs que «chez eux».
Les Etats européens, alliés des Etats-Unis au sein de l’Alliance atlantique, ont ainsi du mal à admettre que des négociations sur un dossier phare comme celui de la guerre de Syrie puissent se tenir dans un pays comme le Khazakstan.
Chef de la diplomatie allemande, Monsieur Steinmeier, a dû se rendre à l’évidence : c’est à Astana, capitale d’une ancienne république soviétique restée proche de la Russie, membre du Traité de sécurité collective de Taschkent (OTSC), où la tradition musulmane se mêle à l’influence slave, que les représentants de l’opposition syrienne et du gouvernement se sont réunis pour un premier round de négociations.
Comment voulez-vous qu’un ministre européen sorte des chemins battus de la pensée unique et reconnaisse qu’Astana aura été une étape pionnière en soi ? Le «vrai progrès» ne peut donc avoir lieu qu’à Genève, lors de la prochaine étape.
Monsieur Steinmeier a sûrement la mémoire courte. Sans doute oublie-t-il que Genève avait déjà accueilli (en 2012) des négociations sur la Syrie, et que le résultat n’avait pas pu être qualifié de «vrai progrès», certains des signataires de Genève I affirmant, avant même que l’encre ne soit sèche, qu’ils n’avaient pas la moindre intention de respecter l’accord qu’ils venaient de signer.
Même si elle se trouve hors du champ de l’Union européenne ou de l’OTAN, Genève reste une ville de «chez nous». C’est, en outre, l’un des sièges de l’ONU, organisation qui n’a jamais démérité en matière de complaisance envers l’Empire atlantique. Les Secrétaires généraux et leurs envoyés spéciaux font preuve d’un dévouement et d’un zèle à toute épreuve au service de «l’opposition» armée, y compris De Mistura, que l’on a pu juger sur pièces à l’occasion de la récente bataille d’Alep.
RT : L’administration de Barack Obama a toujours insisté sur le fait que Bachar el-Assad devait partir. Pensez-vous que cela va être également la priorité pour l’administration de Donald Trump ?
M. R. : Sur ce point, permettez-moi de rappeler un point essentiel : il n’appartient ni à Obama, ni à Kerry, ni à Cameron, ni à Sarkozy, ni Juppé, ni à Fabius, ni à Hollande, ni à Ayrault, ni à Donald Trump, ni à Steinmeier de décider si le président Bachar el-Assad doit partir ou rester. Vous constaterez comme moi qu’ils sont tous partis ou sur le point de partir, sauf Trump, qui vient de prendre ses fonctions.
C’est au peuple syrien et à lui seul de décider de son avenir.
Bien malin qui pourrait deviner quelles seront les priorités du nouveau président américain, qui sera sans doute très «flexible» ou imprévisible, comme il le dit lui-même. Pour la Syrie, il n’est pas déraisonnable d’espérer qu’il mettra en œuvre son intention annoncée de dialoguer avec la Russie, ce qui pourrait influer sur son attitude à l’égard de Bachar el-Assad…et de ses opposants.
RT : Quel devrait être le rôle de la France dans la résolution du conflit ? Pourquoi n’est-elle plus protagoniste dans la région ?
M. R. : La France bénéficiait en Syrie d’un capital de sympathie indéniable jusqu’à la seconde guerre d’Irak. La situation s’est gâtée en 2003, suite au retour progressif au «bercail atlantique», selon l’expression consacrée.
Toutefois c’est depuis le début des «printemps arabes» que le gouvernement français s’est enfermé dans une position injuste et déraisonnable à l’égard de la Syrie légitime, choisissant dès le mois de mars 2011 de soutenir des «révolutionnaires» armés et violents, bientôt terroristes. Des slogans comme «Bachar doit partir» ou des propos déplacés ne peuvent servir de ligne diplomatique…
Dans ce contexte, comment voulez-vous que la France, qui s’est mise elle-même hors-jeu, soit un protagoniste dans la région et dans le jeu diplomatique autour des problèmes de ce Grand Moyen-Orient ?
En tant qu’ancien diplomate, je déplore cette position et cette attitude négative, qui seront difficiles à amender et à faire oublier. Mais je ne suis sûrement pas le seul à souhaiter que la France retrouve le rôle traditionnel qui lui valait d’être respectée et écoutée partout dans le monde.
RT – 25 janv. 2017
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